La goélette en bois Mary Sachs est le troisième navire acheté
par le gouvernement canadien en 1913 dans le but d'appuyer l'Expédition
canadienne dans l'Arctique. En juillet, de Nome, Stefansson envoie un télégramme
à Ottawa, déclarant que le Karluk et l'Alaska sont
tous deux surchargés et suggérant qu'une autre goélette
soit achetée à Nome plutôt qu'à l'île
Herschel comme il était initialement prévu. Il y avait « de
nombreuses excellentes goélettes à essence à vendre à
un bon prix, en raison des temps difficiles » (télégramme
de Stefansson, juillet 1913, Archives nationales du Canada). L'autorisation est accordée et
le Mary Sachs est acheté pour la somme de 5000 $, et le navire est
prêt à prendre la mer le jour suivant. Le Mary Sachs doit
appuyer les deux équipes et effectuer au passage du travail océanographique.
Une goélette de 30 tonnes et de 60 pieds avec des hélices
doubles, le Mary Sachs a été construit en 1898 à Benicia
en Californie (près de San Francisco) (numéro officiel 92847). Même
si l'histoire des premiers jours du Mary Sachs n'est pas entièrement
connue, le récit suivant donne un aperçu de ce qu'a été
son existence avant l'Expédition canadienne dans l'Arctique.
En 1904, le Mary Sachs est affrété par
Charles Madsen, un immigrant danois de 20 ans, pour un voyage de commerce en Sibérie.
Le propriétaire du Mary Sachs offre la goélette à
Madsen moyennant une commission. Le navire est solidement construit, possède
un grand balancier, un faible tirant d'eau et est doté d'une
dérive centrale pour l'empêcher de dériver sur les côtés
dans les vents forts, mais n'a, à ce moment, aucun moteur auxiliaire.
Madsen navigue à son bord dans le détroit de Béring puis
vers l'ouest le long de la côte arctique, s'arrêtant aux
villages chuckis pour faire le commerce des fourrures, de l'ivoire et des
fanons. Après son retour à Nome, Madsen commence à chercher
un autre navire, étant donné que le Mary Sachs ne possédait
pas, à cette époque, le moteur auxiliaire nécessaire pour
faire face aux dangers des glaces et des tempêtes de la mer de Béring
(Hunt 1975). Le Mary Sachs devient par la suite un
bateau-poste
pour le service des postes américain.
Au moment de son achat par le gouvernement canadien, le Mary
Sachs appartient au capitaine Peter Bernard (même si Etta M. Bernard
figure comme propriétaire sur l'Acte de vente) qui l'exploite
dans les eaux de l'Alaska. Lorsqu'il vend la goélette à
l'Expédition canadienne dans l'Arctique, c'est à
la condition qu'il puisse la racheter à la fin de l'Expédition.
Le capitaine Peter Bernard est engagé comme capitaine à un salaire
de 125 $ par mois durant la saison estivale de navigation.
Lourde cargaison
Lorsque la goélette Mary Sachs quitte Nome, elle
est lourdement chargée. Sur le pont se trouvent des barils de carburant,
dix traîneaux et huit chiens. Stefansson décide d'envoyer Chipman
jusqu'à l'île Herschel à bord du Mary Sachs
pour diriger la goélette, car le capitaine Peter Bernard n'est pas
un navigateur. Le journal de Chipman fournit plus de détails sur le navire
:
« Mary Sachs 36 tonnes, immatriculé, 63 pi 9 po de longueur.
Balancier de 19 pi 8 po. Calaison de 4 pi 8 po, 6 pi 6 po avec chargement. 68
tonnes à bord maintenant. Moteurs Union à hélices jumelles
2 - 30 C.-V. Censé atteindre 7 nuds. 8 couchettes à l'avant,
6 à l'arrière. Vendu pour 5000 $ et Peter Bernard conserve
un intérêt d'un 1/3 et récupère la goélette
à la fin des trois années. Nous avons 350 caisses d'essence
et de distillat à bord. » (Journal de Chipman, le 3 août 1913).
À l'instar de l'Alaska, en 1913, le
Mary Sachs ne peut pas dépasser la pointe Collinson, près
de la frontière de l'Alaska et du Yukon. Là, les deux goélettes
de l'Expédition canadienne dans l'Arctique sont immobilisées
dans une épaisse glace mouillée et se retrouvent emprisonnées
dès le milieu de septembre.
Atteignant finalement l'île Herschel à
l'été 1914, le Mary Sachs, sous le commandement du
photographe de l'Expédition George Wilkins, traverse jusqu'à
l'île Banks pour transporter
les provisions et l'équipement, s'arrêtant d'abord
aux îles Baillie. Ils doivent rencontrer Stefansson et ses trois hommes
qui traversent les glaces de la mer de Beaufort à partir de l'Alaska.
Durant le trajet, la goélette endommage sa coque dans une tempête
et éprouve beaucoup de difficulté à affronter la tempête.
Avec des fuites importantes, un arbre porte-hélice brisé et
un mécanicien qui est souvent saoul, le navire ne fait pas
une croisière de tout repos.
« Un vent fort, se transformant en tempête, s'était
levé, accompagné de giboulée et de brume. Notre compas était
très capricieux et le pilotage du bateau encore plus difficile. Thompson
est le seul sur le pont qui peut tenir le gouvernail. Billy empêche le bateau
de tanguer d'un côté à l'autre, effectuant presque
des virages de 45 degrés, et j'ai vu le capitaine Bernard faire un
tour complet pendant un guet ». (Journal de Wilkins, le 15 août 1914).
Les provisions sont transportées à terre juste
à l'est de cap Kellett, à l'un des rares endroits où
il est possible de tirer un navire au sec sur la rive pour l'hiver, et l'équipe
est bientôt rejointe par Stefansson et son groupe qui avaient jeté
à terre sur l'île Banks en juin. Le travail de construction
d'une hutte pour les quartiers d'hiver est entamé et le Mary
Sachs est hissé hors de l'eau à l'aide d'un treuil
et repose partiellement sur la grève. Ce camp aux côtés du
Mary Sachs devient, de 1914 à 1917, une base d'hiver pour l'équipe
nord de l'Expédition canadienne dans l'Arctique. En 1914, le
camp, connu sous le nom de base Kellett, est géré par Bernard, Crawford,
Thomsen et sa famille et Baur.
À la dérive, échoué, abandonné
« Un vent fort souffle aujourd'hui du sud-est, de gros morceaux de
glace sont poussés vers la rive. Le Mary Sachs a quitté ses
amarres et est parti à la dérive en raison d'un forte houle.
Il a été amarré après six heures de travail collectif.
Pensons qu'il s'échouera cet automne, car il est dans un mauvais
endroit Une voile a été aperçue cet après-midi qui
s'est avérée appartenir à une goélette à
deux mâts ressemblant au Polar Bear. Elle se dirigeait vers cap Kellett.
M. Steffansen a quitté cet après-midi pour l'intercepter à
cet endroit. Présence d'une forte houle à 20 h. Temp. +38 [F]
Bar 29.82 (Journal de Baur, août 1915).
Ce n'est pas avant l'été 1917 que le
Mary Sachs devient de nouveau un centre d'activité. Les membres
de l'équipe nord qui sont de retour commencent à effectuer
les préparatifs pour quitter l'île Banks à bord du Mary
Sachs tout en attendant le retour de Stefansson du nord. Aarnout Castel a
consigné dans son journal les efforts déployés pour réparer
les moteurs, réparer les dommages à
la coque, terminer le calfeutrage, gréer et peinturer le navire. Pendant
un mois, Castel, Andersen, Binder et Masik travaillent sans relâche pour
préparer le navire à la saison des eaux libres.
Malheureusement, ces efforts sont inutiles. Peu après
l'arrivée d'Henry Gonzales, capitaine du Polar Bear, le
Sachs est emmené pour une sortie d'essai, puis Gonzales ordonne
de le mettre au sec en l'échouant sur la grève. Puis, après
une série de malentendus ou à la suite d'une mauvaise interprétation
des ordres faite intentionnellement, Gonzales ordonne à ses hommes de couper
le mât du Mary Sachs pour en faire du bois de chauffage, d'enlever
le poste de barre et d'utiliser les planches du bateau pour construire une
hutte pour l'hiver. Le poste de barre est installé sur le rivage afin
d'être utilisé comme hutte par Binder et Masik, qui resteront
à Banksland pendant l'hiver pour piéger des
renards
arctiques. Cela représente un avantage évident pour eux, mais
s'avère une perte pour l'équipe nord et le gouvernement
canadien.
Toute l'équipe quitte ensuite pour l'île
Herschel à bord du Polar Bear, quelques jours à peine avant l'arrivée
de Stefansson effectuant le trajet à pied depuis la partie nord-est de
l'île Banks. Ses compagnons, Noice, Eimu et Knight, arrivent le jour
suivant.
Désolation
« Le 20 août Base de cap Kellett Sommes arrivés
ici à 19 h 30, après avoir parcouru OxS 15 milles. Avons vu le navire
à une distance de 8 milles et avons suivi la crête qui se rend à
Kellett. En raison de la nature du pays, nous ne pouvions pas apercevoir le navire
de nouveau jusqu'à ce que nous soyons à une distance de 600
verges. Puis, à notre désarroi, nous avons constaté que la
navire gîtait sur un côté, puis que le navire avait seulement
un mât. Le navire avait sombré, le nez enfoui dans la grève.
Son gréement est un enchevêtrement de cordes et de câbles se
balançant dans le vent. Oui le Sachs était une
épave nos espoirs étaient anéantis. Le lieu apparaissait
désert, lugubre et désolé. Pas une âme en vue pas
de chiens, tout était mort
En s'approchant plus près, nous avons aperçu un renard qui
jouait dans des boîtes non c'était trop noir pour un renard
- ça devait être un chiot. Et c'était bien un chiot,
c'est alors que nous avons vu d'autres chiens, et finalement, un homme
est sorti du poste de barre qui avait été installée sur la
grève. C'était M. Stefanson. Il avait une histoire tragique
à raconter : une histoire de famine et de mort, d'insubordination
et de fourberie » (Journal de Noice, le 20 août 1917).
Lorsque James Crawford arrive à la base Kellett le 26
août 1917 avec la goélette Challenge, Stefansson ayant besoin
d'un navire pour quitter achète le Challenge pour la somme de 6000 $
et donne à Crawford toutes les provisions de l'Expédition canadienne
dans l'Arctique sur l'île Banks, y compris l'épave
du Mary Sachs.
Lorsque Stefansson rencontre le Polar Bear et le capitaine
Gonzales une journée après avoir quitté Kellett, il obtient
la version de Gonzales concernant le naufrage du Mary Sachs. Gonzales explique
qu'il a coupé le mât et mis le navire au sec parce que le poêle
de la cuisine de son navire manquait de combustible et que, de toute façon,
le Sachs n'était pas en bon état et qu'il n'avait
pas le temps de le remorquer jusqu'à l'endroit qu'on appelait
alors « Baur Harbour », qui est aujourd'hui Sachs Harbour. Il
pensait également que Binder et Masik avaient des choses plus importantes
à faire que de continuer à pomper l'eau du bateau pour le garder
à flot. Les moteurs du Mary Sachs étaient effectivement en
mauvais état un seul fonctionnait bien mais comme Stefansson l'a
souligné, bon nombre de voiliers, du temps des baleiniers, avaient effectué
le trajet de cap Kellett au Pacifique sans l'usage de moteurs.
Le Mary Sachs après l'Expédition canadienne
dans l'Arctique
La présence du navire sur la côte de l'île
Banks est un phare pour les trappeurs inuvialuits, qui commencent bientôt
à faire une excursion annuelle de chasse à Banksland. Les maisons
déjà établies et le Mary Sachs, qui représente
un bon approvisionnement en bois, servent considérablement à ces
premiers habitants.
L'aînée Persis Gruben, qui est arrivé au Mary Sachs
en 1928 avec son père, Lennie Inglangasak, décrit les vestiges du
Mary Sachs et du campement de l'Expédition canadienne dans
l'Arctique:
« Là où nous avons débarqué, il y avait une
petite maison. C'est un poste de pilotage d'un vieux bateau. À
côté, il y avait une maison faite de métal, de tôle,
peut-être un entrepôt. C'était de vieux campements avec deux
moteurs sur la grève qui provenaient du Mary Sachs. La maison de pilotage
est devenue une habitation, les fenêtres étaient des hublots ronds
et nous avions un plancher. Les ours polaires regardaient à travers les
hublots... Tout le monde campait dans la maison de pilotage, la famille d'Inualuyak
y a mis un poêle... papa a réparé la maisonnette faite de
tôle (laissée par l'Expédition canadienne dans l'Arctique)
et a installé des fenêtres et un plancher. À cette époque,
les bidons d'essence étaient carrés placés dans des
boîtes en bois, nous les avons utilisés pour le plancher, mais près
du lit, il n'y avait pas de plancher ». (Persis Gruben, dans Nagy 1999,
Aulavik Oral History Project on Banks Island, NWT: Final Report).
L'aîné David Bernhardt de Kugluktuk se souvient également
d'avoir vu la maison de barre du Mary Sachs sur la rive lorsqu'il
est venu à l'île Banks pour la première fois vers 1929.
La quille de la goélette était également là, rejetée
sur la grève par la glace (Entrevue avec David Bernhardt, Kugluktuk, septembre
2002).
Jimmy Memorana se souvient d'avoir vu, lors de sa première
visite à Holman à l'île Banks, «beaucoup de barils,
du bois rond (près du Mary Sachs) et une sorte de gros tuyau long ressemblant
à un silencieux. Le poste de barre du Mary Sachs avec des fenêtres
rondes, couvertes de peaux d'ours polaire et de buf musqué,
et, lors de ma première visite Jimmy Memorana se souvient d'avoir
vu à cet endroit, la porte était une peau de buf
musqué » (Entrevue avec Jimmy Memorana, Holman, septembre 2002).
Frank Carpenter d'Inuvik suggère que des personnes
ont utilisé de la dynamite pour démanteler encore plus le bateau
afin de pouvoir se servir du bois. Fred Wolki
a construit un grand atelier à Blue Fox Harbour, au nord de cap Kellett,
en utilisant le bois du Mary Sachs. Cet atelier a été
démantelé après la mort de Fred, et le bois a été
utilisé pour construire un hangar d'entreposage à Sachs Harbour. Plus
tard, des personnes de Sachs Harbour et d'autres camps continuent à visiter
le Mary Sachs pour se procurer des pièces de laiton ou de cuivre
de ses moteurs, les utilisant pour fabriquer des oulus ou couteaux (Entrevue avec
Fred Carpenter, Inuvik, septembre 2002).
La destruction finale du Mary Sachs a probablement eu lieu
à la fin des années 1930. Geddes Wolki, un aîné de Sachs Harbour,
se souvient d'avoir vu, dans les années 1940, la longue quille de
bois du Mary Sachs sur la grève à l'époque de ses premières
excursions dans la région avec son grand-père. Il mentionne que
les vestiges étaient orientés le long de la grève (est-ouest)
et que la partie courbée de la proue était encore attachée
(Entrevue avec Geddes Wolki, Sachs Harbour, septembre 2002).
Le Mary Sachs aujourd'hui
Aujourd'hui, le « Mary Sachs » est devenu
un terrain de pique-nique communautaire et un lieu de chasse, 15 kilomètres
à l'ouest de Sachs Harbour, à l'extrémité
du chemin menant vers cap Kellett. Au printemps et à l'automne, c'est
une importante région pour la chasse aux oies. Chaque année, le
1er juillet, les gens de Sachs Harbour se rassemblent à Mary Sachs Creek
pour une célébration communautaire de la Fête du Canada.
C'est l'endroit idéal pour célébrer
l'histoire, car c'est ici que le navire, qui a donné son nom
à Sachs Harbour et à Mary Sachs Creek, a été tiré
au sec sur la grève sablonneuse à l'automne 1914, servant à
établir le premier campement « moderne » sur l'île
Banks. L'épave du navire a servi de point de ralliement et fourni
des matériaux, ce qui aurait été impossible si le navire
avait appareillé en 1917 comme prévu.
Plusieurs vestiges du Mary Sachs peuvent toujours
être aperçus juste à l'ouest de Mary Sachs Creek. Deux
grandes pièces de blocs-moteur Union, une partie de l'arbre porte-hélice,
un grand réservoir d'eau ou de carburant et des fragments de tuyaux
rouillés sont les principaux éléments qui sont probablement
des fragments de navire. De nombreux fragments plus petits, y compris du verre,
des clous et de la poterie, sont toujours éparpillés dans la région.
On peut toujours voir les fondations et les murs de tôle ondulée
des huttes de terre construites par les membres de l'Expédition canadienne
dans l'Arctique, utilisées plus tard par des trappeurs blancs et enfin,
par les chasseurs et les trappeurs inuvialuits d'Aklavik.
En 1967, plusieurs pièces des moteurs du Mary Sachs
sont intégrées dans le cairn du centenaire érigé sur
la colline surplombant le village. La goélette Mary Sachs est également
commémorée par l'utilisation officielle du nom « passage
Mary Sachs » près des îles Cross et Barter, sur la côte
nord de l'Alaska.
Panoramas des glaces et de l'océan à Mary
Sachs, en septembre 2002, 88 ans jour pour jour après l'arrivée
de la goélette Mary Sachs à l'île Banks.
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- Video:
Le Mary Sachs déchargeant sa cargaison à
l'île Banks en septembre 1914.
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