L'Alaska est le seul des six navires achetés pour l'Expédition
qui reste en service du début à la fin. L'histoire de ses quatre
années passées avec l'Expédition est relatée
dans les rapports de l'Expédition, mais elle prend forme dans les
journaux quotidiens de R.M. Anderson, chef de l'équipe sud, qui mène
une carrière canadienne, et dirige ses capitaines Nahmens et Sweeney et
son mécanicien Blue.
L'Alaska est une goélette
en bois, à moteur auxiliaire, pesant 47 tonnes et mesurant
57,5 pieds, dotée d'un moteur à essence
de 50 chevaux-vapeur. Ce navire est construit à Seattle
en 1912 pour le commerce dans la mer de Béring et le
transport du courrier des États-Unis à Kotzebue
Sound. L'Alaska et son navire-jumeau, l'Arctic,
appartiennent initialement à Ira Rank, homme d'affaires
américain oeuvrant à Nome et à Seattle.
Le prix de vente est de 8000 $ incluant l'engin et les
outils de pont.
Le 19 juillet, le « navire du gouvernement canadien » N.G.C. Alaska
quitte Nome et arrive à Teller en Alaska cinq jours plus tard avec
un moteur en mauvais état. Le départ du Karluk et de la goélette
auxiliaire de l'Expédition, le Mary Sachs, est retardé
afin que le mécanicien du Karluk puisse aider à démonter
et à réparer le moteur de l'Alaska. Un changement d'hélice
exige également le déchargement et la mise au sec de l'Alaska,
occasionnant de nouveaux retards. L'Alaska prend finalement la mer
le 11 août, mais vu qu'il est continuellement ennuyé par des
problèmes de moteur, il progresse lentement à la voile. «
Le 14 août. Le capitaine [Nahmens] a menacé de démissionner
et de mettre le cap sur Kotzebue Sound... à moins que les moteurs ne puissent
être remis en état de fonctionnement ». Heureusement pour
l'Expédition, le problème présence d'eau salée dans le
réservoir d'essence de tribord est résolu et « après le
moteur a bien fonctionné. » (Journal de R.M. Anderson, août 1913).
En 1913, les progrès des neuf vaisseaux cherchant à
atteindre l'île Herschel sont retardés en raison des conditions
rigoureuses de la glace au large de la côte nord de l'Alaska.
L'Alaska et le Mary Sachs parviennent jusqu'à pointe
Collinson, sur la côte nord de l'Alaska, près de la
frontière de l'Alaska et du Yukon, où l'Alaska,
pris dans une épaisse glace mouillée, demeure emprisonné
pendant toute l'hiver à partir de la mi-septembre.
Ce n'est pas avant le début juillet 1914 que
l'Alaska flottera de nouveau librement dans le port. Après
de nouvelles réparations à l'hélice, l'Alaska
quitte la pointe Collinson le 25 juillet et atteint l'île Herschel
au Yukon le 5 août, devançant à peine le Mary Sachs.
Ces vaisseaux de l'Expédition sont les premiers à pénétrer
dans les eaux canadiennes de l'Arctique de l'Ouest arborant le drapeau
canadien. À la mi-août, l'Alaska quitte l'île
Herschel en mettant le cap vers l'est et arrive à Bernard Harbour,
où est établi le quartier général de l'Expédition
canadienne dans l'Arctique deux semaines plus tard.
Réparation de l'hélice
Après avoir déchargé la cargaison de l'Alaska,
il est une fois de plus nécessaire de le mettre au sec sur la berge, cette
fois pour réparer une hélice brisée. « M. Blue [mécanicien]
est pratiquement mort de froid pendant les réparations vu que l'hélice
se trouvait sous l'eau et qu'il devait travailler dans environ trois
pieds d'eau et se pencher jusqu'à ce que son menton soit submergé.
Il a travaillé tout l'avant-midi pour tenter de sortir l'Alaska
de la boue où la goélette s'était enfoncée et
rapidement enlisée. » (Journal de R.M. Anderson, septembre 1914).
L'Alaska se dirige de nouveau vers l'ouest
le 6 septembre pour recueillir du bois d'épave et du charbon dans
une réserve aux îles Baillie. Anderson décide de guider
l'Alaska vers l'île Herschel pour aller chercher plus de carburant
et d'autres provisions. L'Alaska parvient à l'île Herschel,
charge la cargaison et est de retour aux îles Baillie à la mi-septembre,
au milieu de la pire tempête de la saison. De précieuses heures sont
passées à déterrer des barils de carburant et des sacs de
charbon qui ont été ensevelis par le sable rejeté par les
vagues et la marée de la tempête.
En tentant de faire demi-tour dans l'étroit point de mouillage, la
proue de l'Alaska touche légèrement le fond boueux.
Avec l'apaisement du vent d'ouest, la marée de la tempête
se retire rapidement et les tentatives de halage échouent. L'Alaska
s'enlise bientôt complètement au sec. Il faut décharger
toute la cargaison, et la goélette flotte finalement librement quatre jours
plus tard. Mais il est déjà trop tard. En raison de la noirceur
grandissante et de la formation de nouvelles glaces, Anderson met le navire en
rade pour l'hiver derrière l'extrémité du cordon
sablonneux de cap Bathurst. Le capitaine Daniel Sweeney, qui s'est joint
à l'Expédition comme commandant l'hiver précédent,
le mécanicien Daniel Blue et Mike Siberia, leur assistant, restent avec
l'Alaska pour garder le navire pendant l'hiver. Anderson retourne à
Bernard Harbour en traîneau à chiens.
L'année 1915 commence par la construction d'une
maison de neige près de la poupe de l'Alaska pour garder les
hommes au chaud pendant qu'ils creusent dans la glace jusqu'à
l'hélice. Blue espère enlever l'hélice et la découper
pour lui donner une dimension plus appropriée à l'Alaska. Cependant,
le trou s'emplit d'eau et le projet est abandonné.
Après une longue bataille contre le scorbut, Daniel
Blue, chef mécanicien de l'Alaska, meurt d'une
pneumonie le 2 mai 1915 après
dix jours de maladie.
L'Alaska sort de son lit de glace d'hiver
le 15 mai, et les préparatifs de son voyage d'été commencent.
Mike et Jacobsen amorcent le long et frustrant travail de remise en fonction du
moteur de l'Alaska. Vingt-trois jours plus tard, Jacobsen est « payé »
avec 5 $ comptant, 4 sacs de farine, 1 lb de tabac, 2 lb de savon et la
chemise en peau de caribou du défunt M. Blue. Mais le moteur ne fonctionne
toujours pas. Finalement, il semble que le problème est causé par
l'essence achetée l'an dernier et qu'il faut naviguer à
la voile jusqu'à l'île Herschel.
La glace quitte la rive le 10 juillet et l'Alaska
échoue pour la première fois en 1915 tandis qu'il tente de
sortir du port. Le navire avance péniblement dans la glace pendant trois
jours, passe huit heures accroché sur un récif et parvient enfin
à l'île Herschel. Là-bas, le mécanicien du Gladiator
se met au travail pour réparer le moteur de l'Alaska. Trois
jours et 50 $ plus tard, il est finalement en état de marche. Lorsque la
cargaison tant attendue de l'Expédition arrive à bord du Ruby
le 21 août, l'équipage travaille jusqu' à minuit
pour charger l'Alaska et prend la mer à deux heures du matin.
À bord se trouve un nouveau mécanicien, M. J.E. Hoff, la femme de
Mike, Cis, et ses enfants, trois autres Inuits et le caporal W.V. Bruce de la
RGCNO, qui doit enquêter sur la disparition de deux prêtres, tués,
croit-on, par des Inuits. L'Alaska arrive à Bernard Harbour
le 5 septembre et se retrouve bientôt emprisonné par les glaces.
L'été suivant, après plusieurs jours
de découpage et de dynamitage, l'Alaska flotte librement le 23 juin
1916. Arborant fièrement une nouvelle couche de peinture et transportant
une cargaison supérieure à sa capacité de chargement, l'Alaska
quitte Bernard Harbour le 13 juillet et arrive à l'île Herschel
à la fin août. Avec un chargement plus raisonnable et des passagers
en moins, le navire met bientôt le cap vers Nome.
Encore des difficultés
Des glaces jalonnent pratiquement tout le trajet de l'Alaska,
à partir de la frontière internationale jusqu'à pointe
Barrow en Alaska. Après avoir franchi la pointe, l'Alaska éprouve
soudainement des difficultés. « Le navire avait plus de fuites que
d'habitude et la salle des machines a été inondée. La
pompe ne fonctionnait pas bien. Le moteur s'est finalement arrêté.
Le mécanicien s'est découragé et a affirmé qu'il
ne pouvait rien faire pour le faire démarrer de nouveau, mais après
plusieurs ratées, Sweeney...a réussi à passer les chaînes
de l'anguiller et nous avons ensuite pompé et fait baisser le niveau
d'eau. Le mécanicien a de nouveau fait démarrer le moteur et
nous avons atteint pointe Hope. » (Journal de R.M. Anderson, août
1916).
En continuant à traverser l'extérieur de
Kotzebue Sound, ils pénètrent dans la mer de Béring au début
d'une forte tempête, le soir du 11 août. « Nous avancions
difficilement le long de la côte dans une formidable tempête qui soufflait
en descendant les falaises escarpées. C'était à peu
près tout ce que nous pouvions faire pour suivre la côte. Parfois,
nous nous écartions un peu de notre route et commencions à dériver
dans la mer de Béring, mais nous avons en fin de compte pointé le
nez du navire vers une petite baie...et avons jeté les deux ancres »
(Journal de R.M. Anderson, août 1916). Comme la tempête continue,
ils doivent jeter l'ancre pendant quelque temps sous les falaises de Tin
City et de nouveau derrière l'île Sledge, près de Nome.
L'Alaska arrive finalement de nouveau à
Nome en août 1916. Là, l'Alaska est tiré au sec
sur la grève, en bon état, sauf pour ce qui est du moteur et des
fuites autour de la boîte à garniture. Les importantes collections
recueillies par l'Expédition dans les domaines de la géologie,
de l'ethnologie, de la biologie et de la photographie, en même temps
que les dossiers de l'équipe sud, parviennent donc intactes à
Nome. L'Alaska a eu sa part de problèmes dans les eaux peu
profondes, un moteur capricieux et les glaces arctiques, mais il a rempli sa mission
avec succès en tant que navire amiral de l'équipe sud de l'Expédition
canadienne dans l'Arctique.
L'Alaska est mis en vente à Nome au prix de 5000 $, mais aucun
preneur ne se manifeste. En mai 1919, un acheteur est finalement trouvé
et l'Alaska est vendu à L. Seidenverg, par l'entremise de l'Alaska
Lighterage and Commercial Company, pour la somme de 3150 $. Elle complète
son travail dans le cadre de nouvelles affectations le long de la côte de
l'Alaska sous la direction de son nouveau propriétaire.
|
|