L'Expédition canadienne dans l'Arctique (ECA) a une
incidence considérable sur les collectivités nordiques
inuites
et inuvialuites
ainsi que dans le sud, où les connaissances acquises
ont ouvert un monde nouveau. Les chasseurs inupiats de l'Alaska,
Natkusiak entre autres,
déménagent dans l'Arctique canadien à
titre d'employés de l'ECA, épousent des femmes
de la région et demeurent là après le
départ de l'Expédition. Grâce au troc, les
Inuits
du cuivre disposent de nouveaux outils, de fusils et de
divers ustensiles. Le piégeage du renard est établi
localement comme industrie et mode de vie. Deux des goélettes
de l'Expédition sont laissées sur place et deviennent
des points d'attraction pour divers camps et établissements.
L'abandon du Mary Sachs dans
le sud de l'île Banks et l'acquisition
du North Star par Natkusiak, de même que l'introduction
du piégeage du renard, entraînent une utilisation accrue de
l'île Banks par les Inuvialuits.
Les quatre îles découvertes en 1915 et 1916 par
l'équipe nord de Stefansson sont les dernières grandes îles
découvertes dans l'Extrême-Arctique du pays et les seules d'importance
à l'avoir été par une expédition canadienne. Plusieurs
autres îles inconnues sont découvertes depuis les airs après
la Seconde Guerre mondiale lors de vols destinés à compléter
la collection de photographies aériennes du Nord. Les expéditions
de l'ECA sur les glaces confirment que la terre de Croker (nord-ouest de l'archipel
Arctique) et celle de Keenan (Alaska septentrional) n'existent pas. En outre,
les mesures de la profondeur de l'océan réalisées
régulièrement durant ces voyages permettent
d'établir la nature de la plate-forme continentale polaire.
L'équipe sud revient avec des milliers de spécimens d'animaux, de
plantes, de fossiles et de roches, des milliers d'artéfacts produits par
les Inuits du cuivre et d'autres cultures, et quelque 4 000 photographies et environ
2 740 mètres de pellicule cinématographique représentant
tous les aspects de l'Expédition et ses objectifs. Ce matériel a
servi à d'innombrables projets et publications
scientifiques, y compris des clés d'identification et des guides. Les photographies
continuent d'être reproduites dans beaucoup d'ouvrages, tandis que les films
tournés par Wilkins passent encore dans de nombreuses émissions
de télévision et de multiples productions de l'Office national du
film. Maints artéfacts et spécimens recueillis, y compris certains
des plus grands mammifères qui ont été naturalisés
par des taxidermistes, sont présentés dans des expositions permanentes
et itinérantes de musées des quatre coins du Canada.
Quatorze volumes des
résultats et de nombreuses communications scientifiques
sont publiés. Quatre livres ont été rédigés
sur le désastre du Karluk et le sauvetage de l'équipage depuis
l'île Wrangel, mais une bonne partie du récit de cette première
grande expédition scientifique canadienne demeure toujours dans les journaux
tenus par ses membres. Il en existe au moins 20, mais seul celui de Diamond Jenness
a été entièrement publié (Arctic Odyssey).
Parmi les livres sur l'équipe nord, on trouve The Friendly Arctic,
de Stefansson, With Stefansson in the Arctic, de Harold Noice, et Advetures
in the Arctic, de Richard Montgomery, qui s'inspire du journal de Lorne Knight.
The Shaman's Revenge, livre jeunesse publié par Violet Irwin en
1925, s'inspire des journaux de Stefansson et fait revivre une bonne partie des
travaux de l'équipe nord. Il se concentre sur les événements
qui se sont déroulés sur les îles Banks et Melville, y compris
la destruction du Mary Sachs. Les seuls livres qui traitent des réalisations
de l'équipe sud sont The People of the Twilight et Dawn in Arctic Alaska,
de Jenness.
L'établissement de la souveraineté
Préoccupé, le gouvernement canadien tient clairement à établir
la souveraineté du pays sur toute nouvelle terre découverte par
l'ECA. Pendant sept ans, soit de 1914 à 1920, l'honorable J.C. Patterson
touche un salaire annuel de 2 400 $ pour étudier les titres des possessions
britanniques dans les mers arctiques. Ex-ministre de la Milice et ex-secrétaire
d'État, il a aussi été lieutenant-gouverneur du Manitoba
entre 1895 et 1900.
Les craintes sont justifiées. Un bon nombre d'îles
de l'Arctique dont la souveraineté a été transférée
du Royaume-Uni au Canada en 1881 avaient été découvertes
par l'explorateur norvégien Otto Sverdrup, qui en avait également
dressé la carte. Des explorateurs américains avaient beaucoup visité
les îles « canadiennes », alors que peu de Canadiens s'y étaient
rendus. Tandis que Stefansson explore l'archipel Arctique à partir de l'ouest,
l'explorateur américain Donald MacMillan retrace les pas de Sverdrup et
confirme, lui aussi, l'inexistence de la « Terre de Croker » de Peary,
qui est censée se trouver au nord de l'île Axel-Heiberg. Depuis sa
base au Groenland, MacMillan se rend sur l'île Ellef-Ringnes en avril 1916,
à peine trois mois avant que Stefansson y trouve son cairn et ses messages.
(Note : C'est le capitaine Robert Bartlett, ex-capitaine du Karluk de l'ECA,
qui ramène l'équipe de MacMillan chez elle sur le navire Neptune
en 1917.)
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Bernard Harbour
L'emplacement du quartier général de l'équipe sud de l'ECA
devient un magasin de la Compagnie de la Baie d'Hudson (1916-1932) et la base
de la mission anglicane qui s'établit dans la région à l'été
1916, peu après le départ de l'Expédition. La mission ferme
ses portes en 1928. Plus tard, un poste de la GRC (1926-1932) voit le jour. Compte
tenu de ce pôle d'attraction, de plus en plus d'Inuits du cuivre concentrent
leurs activités dans la région. La construction d'un réseau
d'alerte avancé et d'une bande d'atterrissage entraîne l'accroissement
de la population. Après la fermeture de ces installations, la plupart des
gens déménagent à Coppermine, qui est rebaptisé Kugluktuk
par la suite. Aime Ahegona, de Kugluktuk, exploite un site de villégiature
près du ruisseau de pêche qui se trouve à proximité
de l'emplacement du quartier général de l'ECA.
Sachs Harbour
Sachs Harbour est la collectivité la plus septentrionale des nouveaux Territoires
du Nord-Ouest. Le havre est d'abord décrit par certains membres de l'Expédition
canadienne dans l'Arctique (1913-1918) qui, se trouvant à bord de la goélette
Mary Sachs, jettent l'ancre brièvement derrière la langue
de sable en août 1914. À cette époque, personne n'habite l'île
à l'année longue, mais des sites archéologiques, qui se trouvent
le long de la côte et datent de la période de Thulé, révèlent
la présence d'humains dans la région il y a environ 500 ans. Son
nom traditionnel, Ikaahuk (l'endroit vers où l'on traverse), évoque
à la fois les déplacements effectués de l'île Victoria
à l'île Banks pour la chasse, et plus tard, l'utilisation saisonnière
de l'île pour le piégeage du renard.
Après le départ de l'Expédition canadienne
dans l'Arctique en 1917, les activités de piégeage du renard s'intensifient
sur l'île Banks, et plusieurs camps sont établis le long des côtes
par des personnes en provenance du delta du Mackenzie et de l'île Victoria.
Durant la période baptisée « âge des goélettes »,
Sachs Harbour fournit un endroit où il est possible de tirer les
goélettes au sec en toute sécurité grâce à la
protection de la grande langue de sable située à l'embouchure de
la rivière Sachs. Le nom actuel du havre paraît pour la première
fois sur des cartes officielles en 1946.
Les trappeurs inuvialuits hivernent pour la première
fois à Sachs Harbour en 1932. Durant l'hiver 1941, sept familles vivent
dans un camp à cet endroit. Après une brève période
où les activités se font au ralenti, celles-ci reprennent au début
des années 1950. Un poste de la GRC est établi en 1953, suivi par
un bureau de poste et une station météorologique en 1955. Le nom
du village est officialisé en 1955. En 1958, Fred Carpenter, qui avait
construit la première habitation de villégiature à la fin
des années 1930, ouvre un magasin et un poste de traite afin de desservir
les huit familles qui pratiquent le piégeage dans les environs.
À Sachs Harbour, les années 1960 apportent d'autres
grands changements à la vie communautaire. Les gens commencent à
y passer l'été, et le dernier séjour d'une goélette
remonte à 1961. En 1966, toute l'île Banks est enregistrée
comme région de piégeage en groupe où seuls les membres de
la Sachs Harbour Hunters' and Trappers' Association ont le droit de piéger.
L'année suivante, dans le contexte d'un projet consacré au centenaire
du Canada, un cairn incorporant des pièces des moteurs de la goélette
Mary Sachs est élevé à flanc de coteau au-dessus de
Sachs Harbour afin de commémorer sa fondation.
Aucun buf musqué n'a été vu sur
l'île Banks durant l'ECA, mais au début des années 1970, il
y a tellement d'individus de cette espèce que la chasse est permise. À
partir de 1981, Sachs Harbour assiste aux débuts de la chasse sportive
du buf musqué et au développement d'une industrie locale de
la viande. Plus personne ne passe l'hiver dans les campements, mais ces derniers
représentent un élément important du mode de vie des trappeurs
et des chasseurs du coin. La population actuelle, d'environ 330 âmes, est
surtout constituée d'Inuvialuits.
L'économie de Sachs Harbour repose principalement sur
la chasse et le piégeage. Le tourisme, pour sa part, prend de plus en plus
d'importance. L'établissement du Parc national Aulavik dans l'île
Banks septentrionale s'avère une initiative majeure dans le développement
de ce secteur.
In memoriam
La plaque commémorative officielle énumère toutes les personnes
décédées durant l'ECA de 1913-1918. Dédiée
en leur mémoire, elle est exposée dans l'édifice des Archives
nationales à Ottawa en 1926. Elle est perdue lors du démantèlement
de cet immeuble. Si jamais elle est refaite, on pourrait en profiter pour y ajouter
un nom, celui de Pipsuk.
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