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Comparaison des catalogues d'Eaton
de Winnipeg et de Toronto
Texte de Catherine
C.
Cole
En 1905, John C. Eaton persuade son père Timothy
de
publier un catalogue régional pour répondre à la
demande
croissante du marché de Winnipeg et de l'Ouest canadien.
Eaton rivalisait
alors avec un certain nombre de commerces locaux et de grands magasins de
cette
partie du pays, et possédait une part importante du marché.
Jusqu'à
la Seconde Guerre mondiale, la forme, les articles et les descriptions des
catalogues
de Toronto et de Winnipeg seront différents, car l'entreprise
avait
réussi à cibler parfaitement le marché de
l'Ouest.
Eaton à
Winnipeg
| La mise en marché destinée aux hommes
pratiques
et individualistes de l'Ouest | Des
vêtements
pour temps froids | Les salopettes : un
vêtement
de travail pratique et patriotique | Les
vêtements pour
femmes : le confort avant l'élégance | Des
tailles plus grandes pour la clientèle de l'Ouest | Les
chaussures : élégantes ou solides ? | Les
vêtements pour enfants | Divertissement
à la maison | La machinerie
agricole
| La marque Imperial | Les
séparateurs de crème | Les
outils
Edgerite | Les harnais | Les
accessoires pour automobiles| Conclusion
| Sources documentaires
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Au début du vingtième siècle, un certain nombre de
grands
magasins établis dans l'Ouest publient des catalogues de
vente par
correspondance. Ceux d'Eaton et de Simpson sont les plus volumineux.
En
1905, Eaton remplace son catalogue de Toronto par celui
qu'édite
son magasin de Winnipeg. Simpson continue de produire le sien à
Toronto,
mais construit un entrepôt à Regina, en 1916, pour faciliter
les
envois dans l'Ouest canadien. La Compagnie de la Baie d'Hudson
fait
paraître un catalogue de 1896 à 1913; Woodward, de 1898
à
1953; Army & Navy, de 1919 à 1986. Les gestionnaires de la
Compagnie
de la Baie d'Hudson, qui se trouvent en Angleterre, ne
réalisent
pas le potentiel de croissance de l'Ouest canadien. Aussi
décident-ils
de ne pas faire concurrence à Eaton. Woodward se débrouille
bien
en Colombie-Britannique pendant de nombreuses années. Comme Army
&
Navy est un magasin à rabais, il n'entre pas en
compétition
directe avec Eaton et Simpson. Des magasins indépendants publient
aussi
leurs propres petits catalogues.
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Eaton à Winnipeg
Le catalogue d'Eaton est un ouvrage qui imprègne le
quotidien
de l'Ouest canadien de sa présence. C'est le fils de
Timothy
Eaton, John C. Eaton, qui entreprend de développer le service de
vente
par correspondance et le magasin de Winnipeg. Le père croit que
Winnipeg,
où se trouve le siège la Compagnie de la Baie d'Hudson
au
Canada, est une ville trop petite pour soutenir un deuxième grand
magasin.
Le fils lui fait remarquer que la croissance de cette localité est
plus
rapide que celle de Toronto. À cette époque, il y a 500 000
immigrants
établis à l'ouest de Winnipeg et la plupart sont des
Américains
qui connaissent les magasins Montgomery Ward et Sears Roebuck.
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Timothy
Eaton, vers 1905-1907. Portrait tiré d'un livret souvenir.
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Portrait
de John C. Eaton, vers 1905-1907, tiré d'un livret souvenir.
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Clients
devant le magasin d'Eaton, à Winnipeg, stéréogramme
numéro 2 d'un jeu
produit vers 1910.
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Employées
du service de vente par correspondance d'Eaton, à Winnipeg,
stéréogramme
numéro 24 d'un jeu produit vers 1910.
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Le premier catalogue de Winnipeg est
publié sans
tambour ni trompette. La couverture montre une femme
élégante,
vêtue d'un manteau de fourrure, écartant un rideau pour
dévoiler
le nouveau magasin de Winnipeg. En 1907, le stock destiné à
la
vente par correspondance est séparé de l'inventaire du
magasin,
et le service s'installe aux trois étages supérieurs
du magasin.
En 1909, le service compte plusieurs rayons et commence à acheter
ses
propres marchandises. En 1916, un nouvel immeuble, construit
derrière
le magasin, procure un espace de 20 235 mètres carrés au
service
de vente par correspondance. Un autre énorme édifice est
construit
en 1921. Eaton ouvre des centres de distribution à Saskatoon, en
1915,
et à Regina, en 1917. L'entreprise inaugure d'autres
succursales
dans plusieurs villes de l'Ouest : Regina, en 1926; Saskatoon,
en
1928; Calgary, en 1929, et Edmonton, la même année. Les
succursales
offrent une gamme plus restreinte de biens dans les petits centres.
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Il existe un lien étroit entre les magasins d'Eaton et les
catalogues.
Les magasins possèdent une « salle d'attente pour
les
agriculteurs », que les consommateurs des régions
rurales peuvent
utiliser quand ils viennent en ville, et invitent les gens à
visiter la
ville pour découvrir la gamme complète de produits et de
services
qui soutiennent la vente par correspondance. Le catalogue propose aussi un
service
d'achat personnalisé qui permet de trouver, dans le magasin
de Winnipeg,
les articles absents des pages de la publication.
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La mise en marché destinée aux hommes
pratiques
et individualistes de l'Ouest
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Complets
pour hommes. 1916. Catalogue d'Eaton, Winnipeg,
printemps-été 1916,
p. 97.
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La comparaison des catalogues de Toronto et de Winnipeg
révèle
que l'entreprise Eaton s'adapte aux besoins des habitants de
l'Ouest
canadien. Le format, la disposition, le contenu, la commercialisation et
les
prix des catalogues sont différents. Contrairement à
l'édition
de Toronto, qui cible à la fois les travailleuses des villes et les
femmes
en région rurale, celui de Winnipeg s'occupe davantage des
hommes
du milieu agricole et de leurs épouses. Il y a plus d'hommes
célibataires
que de femmes dans l'Ouest. Aussi la présentation du
catalogue met-elle
cet élément en évidence. À l'origine, la
page
de couverture du catalogue de Winnipeg montre des vêtements pour
hommes.
Si le catalogue a tôt fait de se soumettre aux normes de
l'industrie
et présente des vêtements pour femmes sur cette page, il
continue
d'accorder plus d'importance aux vêtements pour
hommes.
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Ciré
proposé dans
le catalogue de Winnipeg d'Eaton, automne-hiver 1919-1920.
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Eaton soutient qu'il comprend les
goûts
de l'homme de l'Ouest. À titre d'exemple, un
ensemble
de travail offrant une poche frontale inhabituelle, très populaire
dans
l'Ouest, ne figure pas dans le catalogue de Toronto. Des expressions
comme
« les vrais hommes », « le chandail
sauvage »
et « le moissonneur » apparaissent dans les premiers
catalogues.
Les catalogues suivants s'adresseront au psyché de
l'homme
des Prairies. Des expressions comme « de plus en plus
d'hommes
de l'Ouest désirent des vêtements au style et au
caractère
distinctifs », « des offres à tous les hommes
de
l'Ouest » et « l'article
préféré
de l'Ouest canadien », sont utilisées couramment .
« Vos
besoins, vos préférences et vos vêtements - que
nos
longues années au service de l'homme de l'Ouest nous
ont fait
découvrir - nous ont guidés lors de la
préparation
de ce catalogue. », soutient Eaton. Le catalogue rappelle le
caractère
pratique des vêtements pour hommes qu'il offre : on y
trouve
des formules comme « des vêtements pratiques pour
l'homme
pratique » et « le "bon sens"
derrière
chaque vêtement pour hommes d'EATON » afin de
plaire
aux consommateurs de cette vaste régiont.
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Des vêtements pour temps froids
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Splendide
pardessus d'hiver Burberrys, importé d'Angleterre. 1926.
Catalogue
d'Eaton, automne-hiver 1926-1927.
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Les catalogues de Winnipeg présentent
davantage
de vêtements pratiques pour temps froids. En 1905, les premiers
articles
du catalogue sont les pardessus pour hommes, signe de l'importance
accordée
aux vêtements chauds par cette catégorie de clients. Le
catalogue
de 1907 décrit les hivers rigoureux de l'Ouest et annonce des
manteaux
adaptés aux hivers froids et violents. En 1919-1920, Winnipeg offre
plus
de manteaux de fourrure, de manteaux en peau de mouton, de pardessus, de
tricots,
de grosses vestes de laine à carreaux et de vestes droites amples
avec
des plis creux et une ceinture, et moins de manteaux de tissu,
d'étoles
et de manchons. Tandis que le catalogue de Toronto vend des
imperméables,
celui de Winnipeg propose des manteaux de pluie et des cirés. Chose
intéressante
: bien que la plupart des manteaux se vendent entre 20 $ et
30 $,
le catalogue de Winnipeg offre un gros pardessus Burberrys à
82 $ !
Ce vêtement ne figure pas dans l'édition torontoise.
L'édition de Winnipeg tient compte du fait que les
habitants
des Prairies passent beaucoup de temps à l'extérieur.
« Les
hommes qui travaillent à l'extérieur, écrit
donc le
rédacteur du catalogue, apprécieront le confort des
Buckskein,
tout comme les membres de l'expédition Byrd, qui les ont
utilisés
comme vêtements officiels lors de leur dernière exploration
des
étendues glacées de l'Antarctique. » La
rédaction
ajoute ces détails : « Le matériel est
choisi en
fonction de la température et des conditions de l'Ouest
-
la coupe et la taille tiennent compte des activités quotidiennes de
l'Ouest
- le style respecte l'esprit de l'Ouest. »
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Les salopettes : un
vêtement
de travail pratique et patriotique
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Cinq
solides tenues de travail proposées aux travailleurs ontariens.
1926. Catalogue
d'Eaton, Toronto, automne-hiver 1926, p. 245.
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Salopette
et habits de travail, catalogue automne et hiver d'Eaton, Winnipeg,
1919-1920.
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Le catalogue de Winnipeg présente quantité de salopettes,
s'attardant
à la description de leurs avantages. On y trouve une section
complète
consacrée aux vêtements de travail tandis que celui de
Toronto ne
renferme qu'une seule page consacrée à ce type de
vêtements
qui, parfois, se porte avec une chemise blanche et, dans certains cas,
avec une
cravate; dans l'Ouest, c'est une chemise de travail qui les
complète.
Les deux catalogues offrent des salopettes
« Federation »:
celui de Winnipeg en précise les caractéristiques :
fond
et genoux doubles, élastique solide et bretelles en denim. Quelques
mannequins
de Toronto affichent des accessoires, alors que ceux de Winnipeg tiennent
une
houe et semblent travailler. Le catalogue 1935-1936 de Winnipeg rend
hommage
aux salopettes : « Les pionniers acharnés des
fermes,
des routes, des mines et des forêts font confiance au
caractère
pratique des salopettes. Aujourd'hui, avec l'expérience
des
années, agriculteurs, travailleurs forestiers, mineurs et
employés
de chemins de fer portent tous des salopettes. »
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Deux
pleines pages de modèles de tenues de travail Federation.
1924.
Catalogue
d'Eaton, Winnipeg, printemps-été 1924, p. 152-153.
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Tenues
de travail pour femmes de l'Ouest. 1918. Catalogue d'Eaton,
Winnipeg, printemps-été 1918, p. 188.
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Au cours de la Première Guerre mondiale, on incite les femmes de
l'Ouest
à s'acquitter de leur devoir patriotique et à
contribuer
à l'effort de guerre en portant des salopettes, comme les
femmes
de la Grande-Bretagne et de la France. « C'est un
vêtement
pratique, opine l'une d'elles, et je ne porterai plus de jupes
à
la ferme. » Le catalogue de Toronto offre aussi un choix de
salopettes
pour femmes, mais ne les met pas autant en évidence.
L'édition
de Winnipeg continue de présenter des femmes en salopette dans les
années
1920, contrairement à celle de Toronto.
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Les vêtements pour femmes : le confort
avant
l'élégance
Jusque dans les années 1930, les catalogues de Winnipeg font la
promotion
du caractère pratique, de la valeur et du confort des
vêtements
pour femmes; le style est passé sous silence. Ceux de Toronto
présentent
des ensembles complets afin d'illustrer l'agencement possible
des
différents morceaux et offrent plus de vêtements à des
fins
particulières. En 1918, l'édition de Toronto se
prétend
« le véritable ouvrage de la mode des
Canadiennes »,
prétention qui n'est pas reprise par la publication de
l'Ouest.
Dans les années 1920, le catalogue de Toronto est
rédigé
à la façon d'une revue de mode et démontre une
tendance
au raffinement. Les tenues d'équitation sont d'abord
vendues
à Winnipeg. Quand, à Toronto, on présente des
culottes d'équitation
pour la première fois, on en offre moins de modèles,
qu'on
annonce comme un équipement sportif.
À Toronto, on présente des robes de maison
« pour
la maîtresse de maison et ses aides » et des tabliers
pour les
domestiques, alors qu'à Winnipeg on vend des robes de
ménage
pour les femmes à la maison et les infirmières. Winnipeg
offre
plus de robes de maison que Toronto; le catalogue automne-hiver 1923-1924
en
compte 14, comparativement à 8 dans l'édition
torontoise.
Les deux catalogues décrivent différemment les mêmes
robes.
À Toronto, « si vous portez cette ravissante robe de
guizan
quadrillé, vous ne vous sentirez plus gênée à
l'arrivée
de visiteurs impromptus, car vous paraîtrez soignée et
convenablement
vêtue ». Le catalogue de Winnipeg affirme plutôt
qu'il
s'agit d'une robe « d'un style
agréable dont
vous ne vous lasserez jamais ». Dans les Prairies, une femme
n'est
jamais gênée par des personnes qui arrivent à
l'improviste
et la trouvent vêtue d'une robe de maison.
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Des tailles plus grandes pour
la
clientèle de l'Ouest
Le catalogue de Winnipeg présente ses vêtements avec des
femmes
plus fortes. Les mêmes styles semblent parfois différents
selon
le mannequin utilisé. À titre d'exemple, un tablier
porté
par une femme mince et élégante, à Toronto, est
plutôt
présenté par une matrone plus corpulente à Winnipeg.
À
la même époque, la rédaction de Toronto montre plus de
diplomatie
et utilise des expressions comme « tailles plus
grandes »
et « tailles fortes », alors que celle de Winnipeg
s'adresse
aux « femmes corpulentes ». En 1919, Winnipeg offre
10
robes pour femmes corpulentes; Toronto n'en propose que trois.
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Les sous-vêtements pour femmes sont considérablement
différents
dans les deux catalogues. En 1915, le catalogue
printemps-été torontois
propose d'abord des modèles élégants et montre
ensuite
les variétés plus pratiques; dans le catalogue de Winnipeg,
c'est
la situation inverse.
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Corsets
de marques diverses. 1915. Catalogue d'Eaton, Toronto,
printemps-été 1915,
p. 113.
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Le catalogue de Toronto affirme que le
« corset
autoréducteur » Nemo convient
« spécialement
aux petites femmes corpulentes qui requièrent une diminution
générale
de leur silhouette et un soutien abdominal modéré
».
Celui de Winnipeg le présente sur un arrière-plan qui montre
des
femmes œuvrant dans les champs et le décrit comme
« un
corset particulièrement efficace pour les femmes de maison
puisqu'il
est solide, pratique et confortable » et
un « excellent modèle pour les femmes qui usent
rapidement
leurs corsets »
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Corsets
de marque Acme. 1915. Catalogue d'Eaton, Winnipeg,
printemps-été
1915,
p. 113.
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Dans la livraison torontoise, on trouve de la lingerie fine, des
soutiens-gorge
et des bandeaux-soutien-gorge en 1919, avant celle de Winnipeg. Là,
on
continue de mettre l'accent sur les corsets au lieu des
soutiens-gorge
et des bandeaux-soutien-gorge pendant les années 1920 et on montre
davantage
de vêtements courts et très grands ainsi que des
illustrations de
femmes plus corpulentes.
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