|
|
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue d'Eaton, Winnipeg, automne-hiver
1928-1929. Ce
nouveau mode de consommation qu'est le catalogue fait désormais
partie
du quotidien des gens.
|
|
|
|
|
|
Catalogues et fidélisation du consommateur
Texte d'Emmanuel
Béland
Diverses stratégies de marketing
publicitaire permettant à l'acheteur de s'identifier
à des
modèles accessibles sont employées par les
concepteurs de catalogues. L'objectif est fort simple
: il ne suffit pas de rejoindre le client, il faut s'assurer
de le fidéliser. Et c'est par l'intermédiaire
d'une imagerie commerciale respectant des patterns
et des procédés précis que le catalogue
parvient à stimuler cette interaction entre le consommateur
et la compagnie.
|
Introduction
Véritable phénomène de société,
ce nouveau mode de consommation que constitue le magasinage
par catalogue s'articule entièrement autour
des clients. Dans un contexte capitaliste où règne
la concurrence, les grands noms que sont Eaton, Simpson,
Woodward's, Dupuis Frères, etc. se livrent une
chaude lutte pour s'accaparer les marchés. Avoué ou
non, le but de ces grands magasins est d'attirer de
nouveaux acheteurs. Mais, plus important encore, ils veulent
les garder comme clients. Dans cette optique, il est clair
que ces compagnies doivent tout mettre en œuvre pour
fidéliser leur clientèle. D'où la
nécessité du catalogue qui, en plus de faire
connaître la compagnie et ses produits, sert davantage
de courroie de transmission directe entre l'émetteur
(la compagnie) et le récepteur (le client).
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Simpson's, automne-hiver 1934-1935.
«A
Great City Store in your Home», un grand magasin dans votre propre
foyer : cette devise de la compagnie Simpson's résume bien la
philosophie et la fonction de l'ensemble des catalogues.
|
|
|
Cette interaction entre le consommateur et la compagnie
s'effectue par le biais de la représentation
et de l'image. Les grandes entreprises s'associent
donc à des concepteurs de catalogues dont le double
mandat est de rejoindre une clientèle cible et de
la fidéliser par des stratégies de marketing
publicitaire. Ainsi, la manœuvre consiste ni plus ni
moins à permettre à l'acheteur de s'identifier
à des
modèles accessibles, c'est-à-dire des
modèles qui reflètent sa réalité et
son quotidien.
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Simpson, automne-hiver 1923. Les
femmes illustrées sur cette image sont à la fois
désignées comme clientes
(elles feuillettent un catalogue) et comme modèles puisqu'elles se
retrouvent sur le catalogue qu'elles regardent. La stratégie est
claire :
le modèle illustré est à la fois accessible et
crédible, car il est
lui aussi un consommateur.
|
|
|
|
De l'imagerie
commerciale à la propagande
Le principe est fort simple : au sein de toute publicité,
l'image joue un rôle déterminant. En effet,
c'est elle qui transmet l'idée, le souci,
le message. C'est également l'image qui
peut influencer une opinion, devenir élément
de persuasion ou d'impression, ou simplement marquer
l'imaginaire collectif d'un souvenir. Si le catalogue
a pour rôle principal de servir d'intermédiaire
entre la compagnie et le client potentiel, l'image
n'est rien de moins que le moteur de cette courroie
de transmission. D'ailleurs, le consommateur tend à
mémoriser
davantage une image qu'un texte. En effet, l'image
attire l'attention sans exiger d'effort puisqu'elle
n'a besoin d'aucun langage pour traduire ce qu'elle
exprime. En résumé, une image vaut mille mots.
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de W. H. Perron, Montréal, saison
1943-1944. Le «V» de
la victoire est fort symbolique en ce temps de guerre et permet à la
compagnie de passer efficacement le message voulu sans avoir recours
à un
long texte.
|
|
|
L'imagerie commerciale remplit donc diverses fonctions.
Plus que tout, elle permet au consommateur de s'identifier
aux modèles illustrés ainsi que de s'ajuster à
la
mode suggérée. Avec l'évolution
de cette mode et l'importance accordée par l'acheteur
quant à la possibilité de voir ce qu'il
commande, les grands magasins à rayons illustrent
de plus en plus leurs catalogues. Ainsi, les modestes cahiers
de quelques pages, peu ou pas illustrées et décrivant
une impressionnante liste de produits, deviennent progressivement
de volumineuses briques en couleurs au fil des ans. À ce
chapitre, il est plus que pertinent de mentionner l'apport
de la photographie en ce qui a trait à l'évolution
de l'imagerie commerciale. Plus réelle que le
dessin, la photographie renforce inévitablement la
relation entre les produits offerts et les clients potentiels.
|
|
|
Page
de couverture, catalogue d'Eaton, Toronto, automne 1925 - hiver
1926. De
toute évidence, les vêtements parés de fourrure
détiennent encore la
cote auprès des femmes de l'époque.
|
|
|
|
|
|
|
L'élégance
des vêtements parés de fourrure. Catalogue de Simpson, 1945,
p. 4. L'apport
de la photographie est indéniable en matière de marketing
publicitaire.
Le modèle présenté en image paraît plus
réel, donc plus accessible.
|
|
|
Quoi qu'il en soit, l'image est une arme à deux
tranchants. Si, d'un côté, les concepteurs de
catalogues s'efforcent d'illustrer l'idéal des consommateurs,
ils le façonnent par la même occasion. Inévitablement,
ces spécialistes transposent en images leurs propres
valeurs, ainsi que celles de la compagnie qui les embauche.
Donc, les modèles présentés en images
sont conformes à diverses normes jugées acceptables
par le groupe ciblé, et ce, même si le catalogue
présente parfois des normes sociales contradictoires.
Ce procédé s'effectue en concordance
avec l'évolution des mœurs quotidiennes
et la disparition progressive de divers tabous. Par conséquent,
les valeurs véhiculées par la société sont
vite reprises dans les catalogues.
|
|
|
« Costumes
de bain ». Placard publicitaire de Dupuis Frères,
1939. La
popularité des maillots de bain est telle qu'une compagnie aussi
près
des valeurs du clergé catholique que l'est Dupuis Frères en
fait la
promotion. En revanche, elle croit pertinent de faire approuver ses
produits par la Ligue catholique féminine, la
«L.C.F.».
|
|
|
Cette adaptation des entreprises face à leurs clients
est assez révélatrice des stratégies
de marketing publicitaire employées pour fidéliser
le consommateur. Ceci dit, en associant la notion d'image à celle
de valeurs transmises, une expression se présente à notre
esprit : celle de la propagande publicitaire. En effet,
l'objectif étant
de convaincre les éventuels clients de consommer et
de continuer à acheter chez eux, le métier
des publicistes et des spécialistes de l'image sous-entend
un art de persuasion fortement développé. Les
mérites de la compagnie ainsi vantés, l'acheteur
ne fait pas que se procurer un bien de consommation, il en
vient souvent à prendre position pour une compagnie
en particulier. Celle qui l'a rejoint, qui l'a
interpellé, devient ni plus ni moins son cadre de
référence en matière de magasinage.
|
|
|
Page
de couverture, catalogue d'Eaton, édition française,
printemps-été
1946. La
compagnie Eaton mise régulièrement sur des concepts
liés à l'avenir
et au progrès pour se démarquer de ses concurrents et
inculquer des
idéaux prometteurs à sa clientèle.
|
|
|
|
Qui cible-t-on ?
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Dupuis Frères, automne-hiver
1929-1930.
Dupuis
Frères cible clairement le marché canadien-français
en mettant l'accent
sur diverses représentations familiales.
|
|
|
|
|
|
Qu'il s'adresse
à un public haut de gamme (Simpson, par exemple, dont
les catalogues comptent beaucoup de vêtements et d'articles
luxueux) ou qu'il vise une clientèle ayant des
moyens plus limités (tel Army Navy, qui présente
des vêtements à des prix plus abordables), chaque
magasin a son public, sa philosophie et sa propre vision.
Pourtant, les mandats des concepteurs embauchés au
sein des grandes compagnies sont similaires, car les
représentations
et les sujets exploités sont souvent les mêmes
: femmes, travailleurs, nouveaux biens de consommation, etc.
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Simpson, Toronto, automne-hiver
1917-1918. Accessible
ou non, l'illustration du «chic et de bon goût» capte
l'imaginaire
du consommateur.
|
|
|
|
|
|
À la base, pour interpeller le consommateur ciblé,
il importe que ce dernier se sente concerné, qu'il
s'identifie aux modèles illustrés dans les
catalogues.
En outre, il ne suffit pas de représenter le client
comme tel, mais plutôt d'illustrer la vision qu'il
a de lui-même, ou encore celle qu'il idéalise.
Ainsi, plus l'image véhiculée par le catalogue
rejoint celle idéalisée par le consommateur,
plus ce dernier est porté à acheter pour se
rapprocher de son objectif. Toutefois, force est d'admettre
que le tout s'effectue en concordance avec le libre
arbitre du consommateur, car il est évident que c'est
à lui
que revient le dernier mot. |
|
|
|
|
Femme à la
mode. Catalogue d'Eaton, printemps-été 1910,
p. 17. Dans
l'ensemble, les principales images publicitaires des catalogues mettent
en vedette des femmes. Sur cette image, l'exemple de la femme à la
mode est clairement perceptible.
|
|
|
|
|
|
La femme au cœur de l'achat
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Simpson, Toronto, printemps-été
1901.
L'image
montre une femme remplissant un bon de commande postale. Ce type de
représentation suggérant que la femme soit au cour du
processus de
l'achat est fréquent, et ce, dans tous les catalogues.
|
|
|
|
|
|
À l'évidence, la mise en page du catalogue,
la page de couverture ainsi que les images principales (celles
de plus grande taille) gravitent principalement autour d'une
thématique précise : les femmes. Véritable
clientèle cible, elles sont une source d'inspiration
pour les concepteurs de tous les catalogues, et particulièrement
pour ceux de la version torontoise du catalogue Eaton. Mettant
l'accent sur des personnages féminins, les compagnies
les illustrent fréquemment en train d'acheter, de
feuilleter un catalogue ou de remplir un bon de commande
postale. Mieux encore, l'image de la femme est située
au cœur même de la publicité.
Cette position privilégiée,
ou stratégique, s'explique par le fait que les
femmes sont au centre de l'achat et que le catalogue
s'adresse d'abord et avant tout à elles.
En outre, elles sont presque toujours représentées
selon deux thèmes principaux : comme femmes participant
à la mode ou comme mères de famille. En tant
que femmes à la mode, elles deviennent des modèles
pour les consommatrices qui désirent suivre les tendances.
Dans l'ensemble, ce type de représentation met
l'accent sur l'attitude de jeunesse, la beauté,
la grâce, les loisirs, les jardins ou les rues du monde
urbain. Parallèlement, sous les traits d'une
mère, les publicités s'attardent davantage
au rôle d'acheteuse pour toute la famille que
détient la femme.
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Simpson, printemps-été
1931. Difficile
à atteindre
ou non, l'idéal proposé sur cette image de l'édition
du catalogue destiné
à sa
clientèle de l'Ouest est clairement perceptible. La jeune paysanne
admire ainsi une publicité stipulant que les choix plus judicieux en
matière de styles se trouvent chez Simpson.
|
|
|
|
|
|
Ainsi, l'image sert de transmetteur idéal pour
imposer le style et le «bon goût» aux consommatrices.
Certes, il y a là un incitatif à acheter des
objets de convoitise et une invitation, pour les femmes, à être
autocritiques face à leur apparence. Les consommatrices
se comparent donc avec les représentations de belles
femmes et l'idéal qu'elles représentent.
Cette forme de publicité sous-entend qu'en se
procurant les produits illustrés les femmes deviennent
attirantes, désirées et à la mode. Ce
procédé de marketing, où la consommatrice
est à son tour «consommée», apparaît
au début des années 1900 et se prolonge encore
de nos jours.
Parallèlement, il ne faut pas perdre de vue que la femme
achète également à titre de mère,
donc, que l'aspect pratique et utile de divers articles
ménagers doit être fortement illustré au
sein de tout bon catalogue. Par ricochet, ce type de publicité
nécessite
parfois le recours à des modèles de femmes plus
rondes, plus costaudes. En clair, il doit y avoir un bon dosage
entre la mode et l'aspect pratique, plus terre à terre,
des biens de consommation. |
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue d'Eaton, automne-hiver 1930-1931. Cette
publicité, axée sur une image sereine de la famille, inspire
à la fois
la confiance et le bonheur, des valeurs familiales fort importantes
pour les Canadiens de l'époque.
|
|
|
|
|
|
La famille modèle canadienne
Plusieurs pages de couverture de catalogues mettent en lumière
les valeurs familiales. Quoique ces illustrations puissent
paraître banales, elles renferment une panoplie de
valeurs véhiculées dans la société canadienne
de l'époque. Les couleurs, les lieux, les personnages
illustrés ainsi que l'action et, plus que tout, le
rôle des modèles sont tous des éléments
qui révèlent des indices quant à la
représentation de la famille
« modèle » canadienne.
S'identifiant aux personnages, les consommateurs ne souhaitent
pas se comparer à des individus désagréables.
Par conséquent, les membres de la famille sont illustrés
sous les traits de personnages charmants et souriants. Voilà donc
pourquoi retrouvons-nous, dans ces publications, des femmes
de maison coquettes, fortes et exerçant leur contrôle
sur leur demeure, des hommes costauds, fiers et travaillants,
au faciès musclé, ainsi que des enfants heureux
et disciplinés.
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Dupuis Frères, automne-hiver
1925-1926.
Sur
cette illustration d'une famille, seule la représentation de la
femme
dépasse le cadre de l'image. Il est assez évident qu'elle
s'avère le
personnage le plus convoité par les publicistes puisque le catalogue
s'adresse d'abord et avant tout à elle.
|
|
|
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Dupuis Frères, automne-hiver
1952-1953.
Fortement
valorisée au Québec, la famille inspire souvent les
concepteurs de
Dupuis Frères qui illustrent des personnages souriants et à
l'allure
sympathique. Aussi le magasin propose-t-il sa publication comme «Le
catalogue de la famille».
|
|
|
|
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue d'Eaton, automne-hiver 1936-1937.
Directement
ou indirectement, le mari prend part au processus de l'achat par catalogue.
Il ne doit donc pas être exclus de toutes les publicités.
|
|
|
|
|
|
Par le fait même, les rôles assignés
à chacun
sont clairement identifiables. Ainsi, la mère est
la « reine du foyer » au visage épanoui
qui s'occupe de la besogne de la maison. Vêtu
quasi exclusivement de noir ou de teintes sobres, l'époux
est, quant à lui, le gaillard protecteur et le pourvoyeur
de la famille. Toutefois, son visage affiche un sourire approbateur.
Les compagnies endossent ainsi un des mythes répandus
de l'époque voulant que la femme n'achète
pas sans le consentement de son mari.
Quant aux enfants,
ils sont en général âgés approximativement
de quatre à douze ans, c'est-à-dire un âge
suffisamment avancé pour qu'ils puissent prendre part à la
sélection des articles du catalogue. La stratégie
est évidente : les enfants de moins de quatre ans
sont trop jeunes pour comprendre la mécanique de l'achat
par catalogue. Quant à ceux qui ont plus de douze
ans, ils rejoignent davantage le monde des adultes que celui
des enfants. Cependant, cela ne sous-entend guère
que les bébés ainsi que les jeunes enfants
soient écartés des catalogues. Au contraire,
une section fort imagée leur est consacrée
dans l'ensemble des publications. Par contre, ces images
interpellent davantage les mères de famille que les
enfants eux-mêmes.
|
|
|
|
Paletots
pour homme. Catalogue d'Eaton, automne-hiver 1912-1913,
p. 152. Pour
l'homme politique et le professionnel, la classe et le bon goût sont
de mise.
|
|
|
|
|
|
Les activités quotidiennes des membres de la famille
inspirent aussi les concepteurs. Pas étonnant que
certaines thématiques, telles que la réalité
religieuse
des familles catholiques du Québec ou encore l'assignation
des tâches de chacun des membres de la maisonnée,
soient fréquemment exploitées. À ce
propos, les personnages masculins sont généralement
dépeints comme des travailleurs virils, à la
carrure plutôt imposante (livreurs, agriculteurs, mineurs,
commerçants, colons, etc.), ou encore comme des participants
au pouvoir politique et des professionnels.
|
|
|
|
Page
de couverture, catalogue de Simpson, Regina, printemps-été
1929. Le
petit garçon s'apprête à effectuer des travaux manuels
alors que la
fillette reste à la maison avec sa mère. Cette
répartition des tâches,
illustrée avec clarté, s'inscrit bien dans les mours de
l'époque.
|
|
|
|
|
|
Encore une fois, le message est sans
ambiguïté :
les hommes travaillent à l'extérieur
du foyer, alors que les femmes y sont confinées. C'est
ce qu'illustrent plusieurs pages de couverture où la
mère et la fille, vêtues en conséquence,
sont situées à l'intérieur de la maison,
alors que le père et le fils se préparent à effectuer
des travaux extérieurs. Finalement, il est à noter
que, s'ils ne sont pas dépeints en tant que
travailleurs, ces hommes et ces femmes peuvent être
illustrés en train de pratiquer un sport lié à des
réalités canadiennes : patin, bicyclette, natation,
etc.
|
Page 2 >>
|
|