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Roch Carrier et Le Chandail de hockey
Texte de Tamara
Tarasoff
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L'authentique
chandail de hockey numéro 9.
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Le Chandail de hockey, cette histoire
que
raconte Roch Carrier, parle de l'enfance, du hockey et de la
déception
ressentie par le narrateur à la suite d'une erreur dans une
commande
postale. Découvrez, à travers ce récit, une anecdote
vécue
par les habitants de Sainte-Justine, un petit village du Québec, en
1946.
Qu'est-ce que ça voulait dire être un partisan de
Maurice
Richard et des Canadiens de Montréal en 1946 ? Pourquoi Roch
Carrier
a-t-il décidé d'écrire sur cette période
de
sa vie ?
Sélectionnez Le Chandail de
hockey
pour entendre un extrait du célèbre conte et pour y voir des
illustrations
tirées du livre. Sélectionnez les autres titres pour
écouter
Roch Carrier parler de hockey, de la vie campagnarde au Québec, de
son
admiration pour Maurice Richard, surnommé le
« Rocket »
(« la Fusée »), de l'importance du
catalogue
d'Eaton dans la vie de sa famille et pourquoi il a
décidé
d'écrire ce conte. Des images tirées d'anciens
catalogues,
de même que des photos, notamment des clichés d'objets
qui
font partie de la collection Maurice-Richard du Musée canadien des
civilisations,
accompagnent chaque extrait.
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Sainte-Justine, Québec
[Écouter l'enregistrement
audio (2,6 Mo)]
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Carte
montrant où se situe Sainte-Justine, au Québec.
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« Sainte-Justine est situé tout
près
de la frontière du Maine, à l'est de la Beauce.
C'est
un pays de collines. La principale colline est celle sur laquelle
l'église
est construite. C'est un tout petit village, une population
certainement
en bas de 2000 habitants. Le prêtre du village aurait aimé
augmenter
ses taxes, ses dîmes, en ayant plus de population. Donc, il a
encouragé
nos mères à produire des enfants. […] Mais jamais on
n'a
atteint le 2000 et il avait toujours un complexe
d'infériorité
par rapport à son curé voisin, qui avait 2500 de population.
C'est
un endroit, donc, où l'édifice le plus
élevé,
c'était l'église. Le clocher était
branché
directement dans le ciel. C'est ce qu'on croyait. La place du
curé
était énorme. Les hivers étaient longs et rigoureux.
À
cette époque-là, pendant l'hiver, on ne voyait pas
d'automobiles.
Les quelques personnes qui avaient des automobiles les rangeaient pour
l'hiver,
et c'étaient les chevaux qui devenaient présents, et
on n'allait
pas nettoyer les rues. Donc, la neige s'accumulait dans les rues et,
avec
les traîneaux qui passaient, la neige devenait dure, vraiment comme
de
la glace…
« On patinait bien sûr sur la patinoire. Mais on avait
aussi
des parties où on jouait, même avec nos patins, sur la route.
On
pouvait se rassembler, une dizaine d'enfants, devant une maison,
quelque
part, après l'école, surtout quand les jours
étaient
très courts […] et on profitait des derniers moments de
clarté.
Et on pouvait jouer au hockey dans la rue parce que la neige y
était très
dure. […] Et puis, il y avait la patinoire. On chaussait nos patins
à
la maison et on patinait vers la patinoire. Donc, on montait la colline,
passait
devant l'église, faisait une petite prière pour gagner
la
partie, devant l'église, puis on descendait en glissant sur
nos
patins jusqu'à la patinoire. »
Roch Carrier
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L'importance du hockey
[Écouter
l'enregistrement
audio (1,9 Mo)]
« Quand on jouait sur la patinoire,
à Sainte-Justine,
bien sûr, on était un groupe d'enfants venant ensemble,
avec
tous les défis que ça [implique] : se faire
reconnaître,
se faire respecter, comment négocier, comment jouer en
équipe,
comment jouer individuellement. Toutes ces questions de
société
qu'on retrouve ensuite à n'importe quelle table de
conseil
d'administration. Tout ça se pose comme problème,
comme opportunité
à l'enfant sur la patinoire : comment convaincre
quelqu'un,
comment l'impressionner, comment déjouer l'opposition,
comment
aller au but, comment avoir la volonté d'aller au but. Alors,
tout
ça, c'est quelque chose qui, bien sûr,
n'était
pas formulé comme ça, mais on était exposés
à
ces différentes expériences.
Il faut bien penser que le temps était très différent
d'aujourd'hui.
On n'avait pas tous les soirs trois matches de hockey entre lesquels
on
pouvait choisir. On n'avait pas la sollicitation de la
télévision.
Il n'y avait pas, bien sûr, la présence des
ordinateurs. Il
n'y avait même pas de livres. Il y avait assez peu de choses.
C'est
pourquoi on donnait tellement d'importance au peu de choses
qu'on
avait. Et le hockey faisait partie de ce peu de choses qu'on avait.
Le
match de hockey, le samedi soir, à la radio, était un
événement
qui avait l'importance de la messe dominicale. On était
obligés,
par la religion catholique, d'aller à la messe dominicale,
mais
on n'était pas obligés, on était volontaires
pour
écouter le hockey et on le faisait avec un grand
intérêt.
C'était le grand sujet de conversation le dimanche matin. Les
familles,
le village entier, écoutaient, à la radio, le match de
hockey.
Et ces événements-là, qui arrivaient sur la glace,
c'était
quelque chose d'infiniment plus important que les choses qui se
passaient
en Europe.
Roch Carrier
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Maurice « Rocket » Richard
[Écouter l'enregistrement
audio (1,3 Mo)]
« J'ai l'impression que les
gens,
les hommes et les femmes, qui traversait la guerre, ensuite qui ont
traversé
aussi la nouvelle période de l'industrialisation produite par
la
guerre, avec l'arrivée de patrons très, très
puissants,
et ensuite les problèmes économiques qui ont suivi
l'après-guerre,
je pense que les gens se sont trouvés dans une situation où
ils
étaient propulsés dans une nouvelle ère. Et je pense
qu'ils
sentaient qu'ils n'avaient de contrôle sur rien. Pas de
contrôle
sur la guerre, pas de contrôle sur la menace du communisme, pas de
contrôle
sur l'économie. Tout ça se passait sans leur
contrôle,
sans leur acquiescement. Et j'ai l'impression que le hockey,
c'était
un monde à part où on avait quelque pouvoir. Et on avait le
pouvoir
par Maurice Richard. On avait le pouvoir par les Canadiens. Et les
Américains
pouvaient venir : Maurice Richard était là. Et Maurice
Richard
pouvait arrêter qui que ce soit. Maurice Richard pouvait compter
contre
qui que ce soit. Toronto pouvait venir, les Canadiens français, on
n'avait
pas peur parce que Maurice Richard était là : il
pouvait marquer. »
Roch Carrier
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Jambières de hockey ou catalogue
Eaton ?
[Écouter l'enregistrement
audio (622 Ko)]
« Dans les pneus des voitures, vous avez le
tube,
ce qu'on appelle en français la 'chambre à
air',
une sorte de tube en caoutchouc. Donc, on découpait des
lisières
de cette chambre à air et, avec ça, on fixait les catalogues
sur
nos jambes. Donc, on enroulait le catalogue autour de la jambe et puis on
apportait
la bande élastique, la bande de caoutchouc, et on remontait
ça.
On en mettait trois niveaux différents et c'était
presque
solide. Les catalogues étaient lourds, étaient pesants, mais
ils
assuraient une bonne protection. »
Roch Carrier
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Le catalogue d'Eaton
[Écouter l'enregistrement
audio (918 Ko)]
« Dans ma famille, il y avait,
premièrement,
d'abord, surtout, le catalogue Eaton. Ma famille aimait la
compagnie. Je
crois qu'il y avait une relation très, très familiale
avec
la compagnie, une relation de confiance. La compagnie était
paternaliste
un petit peu. C'est l'impression que moi j'avais. Donc,
Eaton
: première position. Deuxième position : Simpson.
Simpson
faisait bien des efforts, mais ne pouvait pas réussir.
Troisième
position, il y avait Dupuis Frères. Ce n'était pas
vraiment
bon… le choix de la marchandise n'était pas vraiment
bon,
mais c'était une entreprise canadienne-francaise et ça
méritait
du respect. Donc, ça méritait un petit pourcentage des
achats. »
Roch Carrier
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Les sources du Chandail
de hockey
[Écouter l'enregistrement
audio (2,7 Mo)]
« C'est un peu
une
longue histoire. J'ai écrit le Chandail de hockey en
1970.
Et, rappelez-vous, 70, c'était le moment où, au
Québec,
il y avait une montée nationaliste. Le Canada ne comprenait pas-ce
qui
se passait. Et la grande question était :
"Qu'est-ce
que le Québec veut ?" Et Radio-Canada m'avait
demandé
de répondre à la question. J'ai travaillé pour
écrire
une sorte d'essai, un billet que j'allais lire et le
résultat
n'était absolument pas brillant. C'était un
texte,
un essai assez plat, assez peu inventif. C'était quelque
chose qui
rassemblait à un article de journal, à n'importe
quelle page
éditoriale. Et moi qui me prétendais à
l'époque
un écrivain extraordinaire, sûr d'un avenir
extraordinaire,
alors, je n'allais pas mettre mon nom au bas d'un article
aussi plat.
Donc, j'ai informé Radio-Canada que je ne le ferais pas. Et
on m'a
dit qu'il y avait du temps de prévu pour moi la semaine
suivante
[...] "Écris n'importe quoi et tu vas le
lire'',
m'a-t-on dit. Écrire n'importe quoi, ce n'est pas
vraiment
mon approche. Mais j'ai continué de penser en me demandant,
en suivant
les réflexions que j'avais eues : à quel moment
est-ce
que j'ai vraiment senti quelle était mon
identité ?
Au moment où, moi, je me suis senti, moi, divisé de ma
famille,
moi-même comme petit individu, libre, défini par
lui-même.
À quel moment je me suis senti le "petit Roch" ?
Et j'ai
réfléchi et j'ai pensé que ça
m'était
arrivé la première fois que j'avais chaussé les
patins.
Donc, on chausse les patins. On installe les catalogues en forme de
protection
sur les jambes. On se lève debout. On se tient avec le bâton
de
hockey. Et là, on a avait un sentiment formidable. On est plus
grand que
sa mère. Parce qu'on a des épaulettes, on est plus
large
que le frère le plus grand. Et puis, on a un bâton pour se
défendre
et on peut frapper. C'était un sentiment extraordinaire.
[…]
La première fois que je me suis senti moi, un petit individu, un
petit
moi-même, si vous voulez. C'est de là que j'ai
écrit
cette histoire, à partir de cette idée. »
Roch Carrier
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Le Chandail de hockey
Récit de Roch
Carrier
[Écouter l'enregistrement
audio (3,6 Mo)]
(Lecteur : Charles Moisan Willis)
Tous, nous portions le même costume que lui, ce costume rouge,
blanc,
bleu des Canadiens de Montréal, la meilleure équipe de
hockey au
monde. Tous, nous peignions nos cheveux à la manière de
Maurice
Richard. Pour les tenir en place, nous utilisions une sorte de colle,
beaucoup
de colle. Nous lacions nos patins à la manière de Maurice
Richard.
Nous mettions le ruban gommé sur nos bâtons à la
manière
de Maurice Richard. Nous découpions dans les journaux toutes ses
photographies.
Vraiment, nous savions tout à son sujet.
Sur la glace, au coup de sifflet de l'arbitre, les deux
équipes
s'élançaient sur le disque de caoutchouc. Nous
étions
cinq Maurice Richard contre cinq autres Maurice Richard à qui nous
arrachions
le disque; nous étions dix joueurs qui portions, avec le même
brûlant
enthousiasme, l'uniforme des Canadiens de Montréal. Tous,
nous arborions
au dos le très célèbre numéro 9.
Un jour, mon chandail des Canadiens de
Montréal
était devenu trop étroit; puis il était
déchiré
ici et là, troué. Maman me dit : « Avec ce
vieux
chandail, tu vas nous faire passer pour pauvres ! »
Elle fit ce qu'elle faisait chaque fois que nous avions besoin
de vêtements.
Elle commença à feuilleter le catalogue que la compagnie
Eaton
nous envoyait par la poste chaque année. Ma mère
était fière.
Elle n'a jamais voulu nous habiller au magasin
général; seule
pouvait nous convenir la dernière mode du catalogue Eaton
[…].
Pour commander mon chandail de hockey, elle fit
ce
qu'elle faisait d'habitude; elle prit son papier à
lettres
et elle écrivit de sa douce calligraphie d'institutrice
:
« Cher Monsieur Eaton, auriez vous l'amabilité de
m'envoyer
un chandail de hockey des Canadiens pour mon garçon qui a dix ans
et qui
est un peu trop grand pour son âge, et que le docteur Robitaille
trouve
un peu
maigre ? Je vous envoie trois piastres et retournez-moi le reste
s'il
en reste. J'espère que votre emballage va être mieux
fait
que la dernière
fois. »
Monsieur Eaton répondit rapidement à la lettre de maman.
Deux
semaines plus tard, nous recevions le chandail. Ce jour-là,
j'eus
l'une des plus grandes déceptions de ma vie ! Je puis
dire
que j'ai, ce jour-là, connu une très grande tristesse.
Au
lieu du chandail bleu, blanc, rouge des Canadiens de Montréal, M.
Eaton
nous avait envoyé un chandail bleu et blanc, avec la feuille
d'érable
au devant, le chandail des Maple Leafs de Toronto. J'avais toujours
porté
le chandail bleu, blanc, rouge des Canadiens de Montréal. Tous mes
amis
portaient le chandail bleu, blanc, rouge. Jamais dans mon village,
quelqu'un
avait porté le chandail de Toronto, jamais on n'y avait vu un
chandail
des Maple Leafs de Toronto. De plus, l'équipe de Toronto se
faisait
terrasser régulièrement par les triomphants Canadiens.
Les larmes aux yeux, je trouvai assez de force pour dire :
- J' porterai jamais cet uniforme-là.
- Mon garçon, tu vas d'abord l'essayer ! Si tu te
fais
une idée sur les choses avant de les essayer, mon garçon, tu
n'iras
pas loin dans la vie…
Ma mère m'avait enfoncé sur les épaules le
chandail
bleu et blanc des Maple Leafs de Toronto et, déjà,
j'avais
les bras enfilés dans les manches. Elle tira le chandail sur moi et
s'appliqua
à aplatir tous les plis de cette abominable feuille
d'érable
sur laquelle, en pleine poitrine, étaient écrits les mots
Toronto
Maple Leafs.
Je pleurais.
- J'pourrai jamais porter ça.
- Pourquoi ? Ce chandail-là te va bien… Comme un
gant…
- Maurice Richard se mettrait jamais ça sur le dos…
- T'es pas Maurice Richard. Puis, ce n'est pas ce
qu'on
met sur le dos qui compte, c'est ce qu'on se met dans la
tête…
- Vous ne me mettrez pas dans la tête de porter le chandail
des Maple
Leafs de Toronto.
Ma mère eut un gros soupir
désespéré
et elle m'expliqua :
- Si tu gardes pas ce chandail qui te fait bien, il va falloir que
j'écrive
à
M. Eaton pour lui expliquer que tu veux pas porter le chandail de Toronto.
M.
Eaton, c'est un Anglais; il va être insulté parce que
lui,
il aime les Maple Leafs de Toronto. S'il est insulté,
penses-tu
qu'il va nous répondre très
vite ? Le printemps va arriver et tu n'auras pas joué
une seule
partie parce que tu n'auras pas voulu porter ce beau chandail bleu
que
tu as sur le dos.
Je fus donc obligé de porter le chandail des Maple Leafs.
Extrait du conte Le Chandail de hockey
(Montréal,
Livres Toundra, 1984) de Roch Carrier. Illustrations : © 1984
Sheldon
Cohen. Toute utilisation non autorisée est strictement interdite.
Le texte
a paru originellement, sous le titre « Une abominable feuille
d'érable
sur la glace », dans le recueil Les enfants du bonhomme
dans la
lune (Montréal, Stanké, 1979, p. 77-81).
©1979, Éditions internationales Alain Stanké
Ltée.
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