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Catalogues et fidélisation du consommateur (page
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Patriotisme et fierté au service du
marketing
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Page
de couverture du Eaton's News Weekly, novembre 1924. Cette
livraison de l'hebdomadaire publié par la maison Eaton est
destinée à sa
clientèle de gens d'affaires. Elle est l'un des nombreux exemples
reflétant
l'adaptabilité des compagnies face à leurs clients.
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Fortement régionalisé, le Canada
permet
aux entreprises de cibler diverses clientèles : agriculteurs
de
l'Ouest, mineurs, membres du clergé québécois,
pêcheurs
des Maritimes, etc. Par le fait même, certaines compagnies se
spécialisent
tandis que d'autres convoitent davantage un marché national.
C'est
ce qui démontre l'adaptabilité des compagnies, qui
mettent
tout en œuvre pour rejoindre le plus de consommateurs. Dans cette
optique,
il n'est pas étonnant de constater qu'Eaton
décide
de publier, en 1898, une édition spéciale destinée
expressément
à la population touchée par la ruée vers
l'or :
le « Klondike Catalogue ». La maison torontoise
s'adapte
encore à une autre réalité, en 1903, avec le
« Settlers'
Catalogue », qui vise particulièrement les nouveaux
arrivants
de l'Ouest canadien. D'autres exemples s'ajoutent
à
ceux-ci, tel le « Business People's
Number »
de 1924, mais il faut essentiellement retenir que la compagnie Eaton, tout
comme
ses principaux concurrents, se fait un devoir de s'adapter au
marché
par tous les moyens. Quoi qu'il en soit, deux des plus influents
magasins
à rayons, Eaton et Dupuis Frères, se démarquent de
leurs
compétiteurs par leur approche misant sur la fibre patriotique pour
fidéliser
les consommateurs.
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Page
de couverture, catalogue de Dupuis Frères, automne-hiver
1932-1933.
« Aidons-nous
les uns les autres, la coopération est la clé du
succès », cette
maxime de la maison Dupuis Frères, reproduite sur cette page, est
représentative
de sa stratégie publicitaire.
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Dupuis Frères
L'exemple de Dupuis Frères est certainement le plus
éloquent
en ce qui a trait à l'invitation faite à la population
d'acheter
« canadien-français » afin de favoriser la
survivance
de la race. Véritable empire contrôlant une très large
part
du marché québécois, le magasin montréalais ne
cache
pas, au fil des ans, cette volonté patriotique, en clamant haut et
fort
qu'il est « le plus grand magasin français
d'Amérique ».
À ce patriotisme clairement avoué s'ajoute la
fierté
d'avoir accompli un «exploit» : avoir mis sur pied
et
avoir tenu à flot une entreprise possédée et
administrée
par des Canadiens français.
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Dupuis
Frères : une force économique. À
Montréal, Dupuis Frères
peut se targuer de rendre l'accès au marché
québécois difficile pour
les grandes compagnies torontoises que sont Eaton et Simpson.
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Par l'intermédiaire du Duprex,
publication
qui sert de bulletin de liaison entre les employés et la compagnie,
Dupuis
Frères s'inspire du patriotisme afin d'encourager et de convaincre
ces
derniers de la justesse de cette cause, mais aussi et surtout pour
à la
fois les convaincre et les rendre eux-mêmes convaincants. Un exemple
fort
significatif de cette vision misant sur la fibre patriotique se retrouve
dans
la livraison de septembre 1927 du bulletin. L'extrait, lourd de
sens, stipule
que «[d]ans un pays comme le nôtre, submergé par
l'immigration,
encerclé par la finance américaine, anglaise ou juive, nous
n'avons
pas le droit d'être quelconques, médiocres,
inférieurs, et
de nous résigner à demeurer perpétuellement des
scieurs
de bois et des porteurs d'eau, des serviteurs obséquieux et
craintifs.
Dans ce Canada découvert, colonisé et
évangélisé
par les nôtres, nous avons l'impérieux [devoir de nous
montrer]
supérieurs en distinction, en savoir, en valeur.»
(Cité par
M. C. Matthews dans son mémoire de maîtrise, 1998.)
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« Fleur
de lis. Peinture préparée par Dupuis
Frères ». Catalogue de Dupuis
Frères, printemps-été 1944. Ce n'est pas par
hasard que
l'illustration
annonçant ce produit se retrouve sur la quatrième de
couverture du
catalogue. Elle s'inscrit bien dans la vision de fierté et de
patriotisme
prônée par le grand magasin montréalais.
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À l'évidence, l'utilisation de la notion de
patriotisme
est l'un des faits marquants de la stratégie de marketing
publicitaire
employée par Dupuis Frères tout au long de son existence.
Ceci
s'explique par le fait que la compagnie se donne clairement pour
mission
de travailler à la conquête économique des Canadiens
français,
et particulièrement des Québécois.
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Page
de couverture, catalogue de Dupuis Frères,
printemps-été 1932. Tout
comme Eaton, Dupuis Frères s'approprie la feuille d'érable
en tant
que symbole national ou patriotique. En revanche, le discours de
l'entreprise
montréalaise s'articule davantage autour de la survivance de la race
canadienne-française, comme en témoigne cette
illustration.
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Ainsi, l'entreprise articule ses
publicités
autour du concept de fierté. Fierté de la langue, de la foi
et
de la patrie. Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait
fréquemment
recours à la traditionnelle fleur de lys, de même
qu'à
la feuille d'érable. De plus, la maison Dupuis prétend
servir
les intérêts des Canadiens français et ceux du
clergé
catholique. Par conséquent, elle n'hésite pas à
utiliser
diverses expressions, harangues et pensées à méditer
en
guise de stratégies visant à fidéliser sa
clientèle.
Se définissant elle-même comme une institution nationale,
l'entreprise
endosse l'interprétation de la survivance
canadienne-française
perçue comme un miracle en ce pays britannique. La stratégie
est
plutôt efficace, car c'est Dupuis Frères qui
représente
le concurrent de taille et qui rend difficile l'accès au
marché
québécois pour les grandes compagnies torontoises que sont
Eaton
et Simpson.
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Eaton
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Page
de couverture, catalogue d'Eaton, printemps-été 1898.
Eaton
mise régulièrement sur des slogans tels que «Canada's
Greatest Store» pour
se démarquer de ses concurrents. Ce type de formule lui procurant
une
plus grande visibilité semble bien lui servir.
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Comme le démontre Lorraine
O'Donnell dans
ses recherches, les pages de couvertures des publications d'Eaton portant
sur
le Canada offrent une vision particulière de la compagnie face au
pays.
En effet, Eaton se positionne comme un élément clé du
développement
national, de même que sur le plan de l'identité canadienne.
Simplement
le nom de la compagnie, la T. Eaton Company of Canada (plus tard Eaton's
of Canada),
reflète l'idée que le grand magasin constitue un moteur
important
de développement canadien. La société se targue
d'ailleurs
de son service de livraison postale qui couvre le Canada d'un océan
à
l'autre, et qui se rend dans les coins les plus reculés. Ainsi,
dès
1887, Eaton avise ses clients que son catalogue est destiné
à aller
partout où se retrouve la feuille d'érable au sein du
Dominion.
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Page
de couverture, catalogue d'Eaton, printemps-été 1904.
Chez Eaton,
le système de commande postale s'étend d'un océan
à l'autre.
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Eaton s'affiche comme le grand magasin
canadien
qui commercialise la plus grande variété de produits
à l'ensemble
du marché national. Elle joue donc la carte de la compagnie
canadienne,
dirigée par des Canadiens, présente sur l'ensemble du
territoire
canadien et vendant des produits canadiens pour répondre aux
besoins des
Canadiens. Il est tout à fait clair que l'entreprise mise beaucoup
sur
le sentiment d'appartenance patriotique. Aussi ne faut-il pas
s'étonner
du fait que la page de couverture de ses catalogue sera
régulièrement
consacrée à une représentation visuelle du Canada
sous la
forme d'une carte ou d'un globe terrestre mettant l'accent sur
le
pays.
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Page
de couverture, catalogue d'Eaton, printemps-été 1950.
Eaton
est présente dans toutes les régions du Canada. La compagnie
illustre à
quelques
reprises cette réalité à travers des
publicités mettant l'accent sur
la géographie du pays.
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D'autres images évoquent le Canada
à
partir de symboles tels que la feuille d'érable, le castor, les
armoiries
ou les drapeaux. L'utilisation des couleurs du drapeau canadien,
d'extraits de
la proclamation de la Confédération ou encore de l'image du
Parlement
sont d'autres éléments qui viennent renforcer le lien entre
Eaton
et les Canadiens en général.
Bien sûr, il est à noter que ces publicités aux
allures
délibérément nationalistes se retrouvent davantage
dans
les éditions torontoises du catalogue d'Eaton. Il est clair que les
rédacteurs
des éditions de Winnipeg et de Moncton ne font pas
nécessairement
jouer la fibre patriotique. Par contre, l'image lourde de sens du
nouvel
arrivant qui s'installe sur ses terres de l'Ouest contribue,
à
sa façon, à démontrer toute l'importance
accordée
à cette récente entreprise qu'est la
Confédération.
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Page
de couverture, catalogue d'Eaton, automne-hiver 1920-1921. Se
tournant vers l'avenir de son pays, cet agriculteur de l'Ouest marque
définitivement l'imaginaire collectif.
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Il devient à son tour un
élément
clé du développement national et forge, à sa
manière,
l'identité canadienne. Un souci d'adaptabilité face
aux populations
visées prime donc dans toutes les principales publicités des
catalogues
d'Eaton. Certes, il peut y avoir des nuances dans l'approche, mais
les
mécanismes de base ainsi que les patterns communs sont
respectés.
En somme, les centres de distribution que sont Winnipeg et Moncton, par
exemple,
ne se positionnent pas en désaccord avec les principes
publicitaires de
la compagnie Eaton et demeurent inévitablement sous
l'influence
normative de Toronto.
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Une question d'adaptabilité
nécessaire
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Page
de couverture, catalogue d'Eaton, printemps-été 1926.
Ruralité et
modernité peuvent très bien cohabiter, comme l'illustre
cette image
lourde de sens.
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Les grands magasins sont toujours désireux de s'adapter et
de
modifier la conception de leurs catalogues afin de conserver leur
clientèle.
À preuve, la modernisation croissante du pays et l'idée de
progrès
les obligent à réviser leurs publicités. Par exemple,
des
images exploitent la thématique de l'agriculteur besognant
dans
les champs de blé en prenant bien soin d'illustrer les
progrès
accomplis dans le domaine agricole. Mieux encore, l'exploitant
agricole
de l'Ouest, qui se tourne vers l'avenir de son pays, ses larges
étendues,
ses forêts et son urbanisation, marque définitivement
l'imaginaire
collectif. Parallèlement, l'inclusion d'accessoires de
convoitise
dans les illustrations, entre autres, une automobile en zone rurale,
permet d'exposer
les améliorations technologiques et des éléments de
modernisation.
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Page
de couverture, catalogue d'Eaton, automne-hiver 1944-1945. En
temps de guerre, les catalogues s'adaptent à cette
réalité à leur façon.
Par exemple, sur cette image, deux jeunes filles se trouvent à faire
indirectement la promotion du don de sang et à inviter les femmes
à
s'impliquer
dans l'effort de guerre.
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De même, les compagnies se servent davantage, au fil des ans, de
représentations
de citoyens engagés politiquement. S'inscrivent dans cette
catégorie,
des images de femmes exécutant des actes patriotiques tels que
brandir
des drapeaux ou encourager la population à effectuer un don de sang
en
temps de guerre.
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Page
de couverture, catalogue d'Eaton, printemps-été 1945.
La victoire
des Alliés, durant la Seconde Guerre mondiale, inspire de nombreuses
publicités.
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À ce chapitre, à la fin de la
Seconde
Guerre mondiale, plusieurs compagnies exploitent le thème de la
victoire.
Par exemple, le consommateur se retrouve face page de couverture
où
des enfants sont représentés de telle sorte qu'ils
symbolisent
la victoire, tenant chacun des drapeaux fort significatifs (ceux du Canada
et
de l'Angleterre), et ce, devant le célèbre lion,
représentation
de la puissance britannique.
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Page
de couverture, catalogue de Dupuis Frères, automne-hiver
1944-1945.
Sur
de nombreuses publicités de grand format, la femme occupe la
quasi-totalité de
l'image. C'est elle qui doit être mis en valeur car elle est au
centre
du processus d'achat.
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Conclusion
Sans contredit, la fidélisation du consommateur par le biais de
l'achat
par catalogue passe inévitablement par l'imagerie
commerciale. Celle-ci
englobe diverses stratégies de marketing publicitaire, facilement
observables
à travers les pages de couverture et les principales
publicités
des catalogues. Il en ressort, entre autres, que les messages que la
compagnie
souhaite véhiculer s'articulent principalement autour de
l'image.
À ce chapitre, la femme inspire plus souvent qu'à son
tour
les concepteurs, car il faut garder en mémoire qu'elle est au
cœur
du processus de l'achat par catalogue.
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Page
de couverture, catalogue de Dupuis Frères, automne-hiver
1939-1940.
Il
s'agit ici d'une édition destinée « à
l'usage du clergé et des
communautés religieuses ». Elle illustre très
bien l'adaptabilité des
compagnies qui n'hésitent pas à modifier
légèrement leur approche pour
s'assurer une clientèle fidèle.
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De plus, l'importance accordée à la
fidélisation
du consommateur se reflète par l'adaptabilité des
compagnies
face à leurs clients. Ce souci de satisfaire le plus grand nombre
d'entre
eux en s'adaptant à leur réalité
s'explique
surtout par la diversité des populations composant ce Canada fort
régionalisé.
En ce sens, il n'est pas étonnant que certaines nuances
soient identifiables
en ce qui a trait à l'approche des compagnies qui jugent
souvent
opportun de s'attarder à une clientèle plus
spécifique,
à un moment précis. P
ar contre, les mécanismes de base ainsi que les patterns communs
sont
toujours respectés afin de fidéliser chacun de ces groupes
selon
des procédés identiques. Dans cette optique, peu importe le
lieu
où il habite, le consommateur s'identifie directement ou
indirectement
à « son » magasin, à celui qui
contribue
le plus à forger son identité personnelle et son
appartenance à
la collectivité. Voilà la preuve que le catalogue stimule
l'interaction
entre le consommateur et la compagnie !
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Sources documentaires
BRETON, Philippe et Serge PROULX. L'explosion de la communication.
La
naissance d'une nouvelle idéologie. Paris, La
Découverte /
Montréal, Boréal, 1991, 285p. (Voir
« Publicité,
communication et consommation »,
p. 103-118.)
CÔTÉ, Luc et Jean-Guy DAIGLE. Publicité de
masse et
masse publicitaire. Le marché québécois des
années
1920 aux années 1960. Ottawa, Les Presses de
l'Université
d'Ottawa, 1999, 362p.
IDOUX, Raymond. « Marchandises en vedette : Eaton et
l'imagerie
commerciale ». Cap-aux-Diamants, no 40, hiver 1995, p.
48-51.
LAMBERT, Anne. « Images For Sale: How Eaton's Saw
Us ».
Branching Out,
no 4, mars-avril 1977, p. 30-33.
MATTHEWS, Mary Catherine. « Working for family, nation and
God :
paternalism and the Dupuis Frères department store Montreal,
1926-1952 ». Mémoire de maîtrise (histoire),
Montréal,
Université McGill, 1998, 118f.
MONOD, David L. Store wars : shopkeepers and the culture of
mass
marketing, 1890-1939. Toronto, University of Toronto Press, 1996,
438p.
O'DONNELL, Lorraine M. « A Small World :
Representations of
Women in the Eaton's Catalogue Covers, 1886-1975 ».
Communication
présentée au Congrès annuel de la
Société
historique du Canada, mai 2001. (Version préliminaire d'un chapitre
inclus
dans sa thèse de doctorat « Visualising the History of
Women
at Eaton's, 1869-1976 ».)
TRUDEL, Robert. « Famille, Foi et Patrie : le credo de
Dupuis
Frères ! ».
Cap-aux-Diamants, no 40, hiver 1995, p. 26-29.
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