|
|
|
|
|
|
Six
modèles de robes proposées par Sears & Roebuck,
Chicago. Catalogue
printemps 1902, page 1101.
|
|
|
|
|
|
La mode féminine véhiculée par les
catalogues
Texte de Shirley
Lavertu
Les catalogues des grands magasins se trouvent du
nombre des
grands véhicules de changements qui ont affecté la vie des
gens.
Ils exerceront une influence considérable sur les femmes et leur
façon
de se vêtir. Les maillots de bain, les gaines et les corsets ne
constituèrent
que quelques-uns des éléments qui furent modifiés et
qui
bouleversèrent l'allure et la vie des femmes.
Introduction | L'évolution
de la mode | La quête de minceur | Comment
devenir mince | Le culte du bronzage | Les
maillots de bain | La femme sans âge | Du
corset à la gaine | La mode des fillettes
copiée
sur celle des femmes | Conclusion | Lectures
suggérées
|
Introduction
Depuis quelques années, on blâme souvent les médias
de
leur influence plus ou moins positive sur les habitudes de vie et
l'opinion
de la population. Il fut un temps où c'étaient les
catalogues
qui tentaient de dicter les normes comportementales dans plusieurs
domaines.
Ces publications, diffusées par les grands magasins, ont joui
d'une
grande popularité au tournant du
dix-neuvième siècle, mais surtout dans les années
1920 et
jusque dans les années 1960. Le magasinage par catalogue ainsi que
la
lecture des journaux, la presse féminine surtout, ont grandement
modifié
la vie des femmes, autant les citadines que les résidantes des
régions
rurales. Ces modifications étaient perceptibles sous plusieurs
aspects :
quête de la minceur, culte du bronzage, refus du vieillissement et
pouvoir
de la beauté.
Si les catalogues ont pu influencer de façon notable les
habitudes
de consommation des femmes, ce phénomène se manifestera
surtout
dans leur façon de se vêtir. Les grands magasins, Eaton,
Simpson,
Dupuis Frères, entre autres, utiliseront ce véhicule pour
leur
proposer de nouveaux modèles, des styles différents de
vêtements.
D'abord et avant tout, par le biais des catalogues, les femmes
prennent
contact avec la mode. Elles n'avaient en effet à peu
près
jamais vu ce qui se portait dans le reste du monde ou simplement dans leur
propre
pays, car les publications sur la mode féminine n'entraient
que
très rarement dans les foyers ruraux. Il n'y avait que les
pages
consacrées à ce sujet par les journaux et quelques revues.
Les catalogues seront du nombre des imprimés reçus par
les femmes
du milieu rural et viendront amplifier l'influence que la mode
crée
chez elles. Cependant, en dépit du vaste choix proposé par
les
catalogues des grands magasins, les femmes de ce milieu ne commandent pas
beaucoup
de vêtements. Elles préfèrent acheter des tissus,
beaucoup
plus variés et moins dispendieux dans les catalogues que ceux que
vend
le marchand général. Comme le prêt-à-porter, au
début
du siècle, est assez limité, c'est pourquoi on trouve
un
grand inventaire de tissus dans les commerces. Tant que le coût de
fabrication
sera moindre que le prêt-à-porter, les femmes vont
confectionner
elles-mêmes leurs vêtements en s'inspirant des
modèles
illustrés dans les catalogues. De cette façon, elles
pouvaient
suivre la mode à moindre coût. La popularité du
prêt-à-porter
croîtra à mesure que les catalogues occuperont une plus
grande place
dans le quotidien des gens.
|
L'évolution de la mode
Les lignes qui suivent se veulent un simple survol d'un sujet
complexe
et vaste. Le vêtement féminin a subi de grands changements
entre
les années 1900 et 1960. Au début du vingtième
siècle,
il avait pour objectif de cacher complètement la partie
inférieure
du corps et d'en modifier les formes. Les corsets, les baleines et
les
innombrables jupons compressaient, modifiaient les formes
féminines. À
mesure qu'on avance dans le siècle, le vêtement procure
au
corps un aspect plus naturel et, surtout, plus de confort. Graduellement,
la
jupe remonte. Au début des années 1930, l'ourlet des robes
laisse
voir une cheville et deviner une jambe élancée et mince. Les
manches
raccourcissent et le décolleté s'approfondit. Durant
cette
décennie, la robe est peu ajustée et adopte une certaine
forme
carrée, semblable à celle d'un chandail. Puis, dans
les années
1940 et 1950, elle prend une nouvelle dimension. Le haut de la robe est
plutôt
ajusté tandis que le bas est large et bouffant. La longueur de la
jupe
demeure toutefois au niveau du mollet. C'est à ce moment que
le
corset réapparaît, question d'amenuiser la taille de
celles
qui le porteront.
|
La quête de minceur
|
|
|
|
Trois
modèles de corsets offerts par Eaton. Catalogue
printemps-été 1893,
page 15.
|
|
|
|
|
|
À certaines époques, on admirait
la femme
rondelette. Ce ne sera plus le cas à compter du dix-neuvième
siècle :
le culte de la minceur s'imposera au cours de ce siècle et au
suivant.
Le processus s'effectuera en profondeur, en deux temps. Une
première
phase se manifeste au cours du dix-neuvième siècle ainsi
qu'au
tournant du siècle. On force le corps à adopter une taille
très
mince. Pour y arriver, on fait la promotion du corset.
|
|
|
|
« Pilules
'PRIMA' ». Dupuis Frères, catalogue
printemps-été 1944,
page 77. Au centre, à gauche.
|
|
|
|
|
|
Dans les catalogues de l'époque, ce sous-vêtement
promet
une taille excessivement mince, donnant à la silhouette l'apparence
d'un
« S » lorsqu'on la regarde de côté.
Cependant,
son usage ne se fera pas sans provoquer plusieurs problèmes de
santé :
la respiration est entravée et les muscles du dos sont affaiblis.
Il s'agit
là d'un argument évoqué par certains
réformateurs.
Ce sera l'objet de plusieurs discussions chez les historiens de la
mode.
Le corset déforme le corps et empêche tout mouvement naturel.
Les
femmes, autant celles du milieu urbain que celles des régions
rurales,
mises en contact avec ces nouvelles modes par le biais des catalogues,
cherchent
à ressembler aux mannequins qu'on leur montre et qui sont des
êtres
exagérément minces. Certes, l'utilisation de tels
modèles
a pour effet d'augmenter les ventes, mais également celui
d'aggraver les
problèmes de santé. Les femmes des régions rurales,
habituées
à des travaux plus exigeants physiquement, ont en
général
une silhouette plus massive. Aussi doivent-elles se comprimer davantage la
cage
thoracique dans le but d'obtenir cette minceur idéale, ce qui
provoquera
encore plus d'effets nocifs sur leur santé. Dans les milieux
plus
conservateurs, toutefois, certaines choisissaient de ne pas le porter.
Le corset perdra de sa popularité au cours des années
1920-1930,
mais les théoriciens de la mode tenteront, dans une deuxième
phase,
de relancer son usage, dans les années 1950, par la promotion de la
crinoline.
|
Comment devenir mince
Les catalogues, devenus véritables véhicules de la mode,
imposent
en quelque sorte à la société de nouveaux standards
de beauté.
Agents propagateurs idéologiques parmi d'autres, ces
publications
représentent des femmes dont les mensurations et l'âge
reflètent
les canons esthétiques de l'époque : celles-ci
doivent
en effet être minces, jeunes et belles. Pour atteindre ces
critères,
on utilise toutes sortes de moyens illustrés dans les catalogues.
Les gaines et les corsets y occupent donc une place de choix et, le
plus souvent,
plusieurs pages leur sont consacrées. On y trouve des
modèles confectionnés
dans plusieurs sortes de tissus renforcés de baleines
différentes
pour satisfaire les goûts de chacune. On en fabrique pour toutes les
tailles :
minces, moyennes ou fortes. Aux femmes plus fortes, on ira même
jusqu'à
proposer des modèles de vêtements aux lignes amincissantes.
Dans
les catalogues destinés à la clientèle de l'Est
du
pays, les mannequins répondent généralement aux
canons esthétiques
privilégiés par la mode : jeunesse, beauté et
minceur.
Quant aux éditions postées aux gens de l'Ouest, elles
présentent
des femmes un peu plus rondes à titre de modèles. Ce sont
elles
qu'on chargera de présenter les vêtements amincissants.
Ainsi
la culture de la minceur est-elle plus perceptible dans le catalogue Eaton
de
Toronto que dans celui de Winnipeg. Pour soutenir les dames dans leur
volonté
d'être minces, on leur propose des produits pour maigrir.
Aussi trouve-t-on,
annoncée à la page 89 du catalogue automne-hiver 1934-1935
de Dupuis
Frères, cette « gomme Lacy's pour faire maigrir
sans
danger pour la santé ».
Ce nouveau standard de beauté est représentatif d'une
récente
norme de la société qui fait de la femme mince un être
raffiné
et hautain. Sa minceur signifie également qu'elle a suffisamment
d'argent
pour se payer des aliments de qualité tels les fruits,
denrées
plus dispendieuses.
|
Le culte du bronzage
|
|
|
|
Panoplie
de produits de beauté pour femmes. Catalogue Eaton,
printemps-été
1927,
page 343.
|
|
|
|
|
|
Au début du vingtième
siècle, le
critère de la beauté est d'avoir le teint pâle,
idée
sans doute inspirée de l'époque victorienne. À
partir
des années 1920, au Québec plus spécifiquement, le
bronzage
devient de plus en plus populaire, comme le dit Suzanne Marchand :
« Signe
de santé, la peau bronzée est également signe de
richesse. »
L'habitude du bronzage prend de l'ampleur à partir du
moment
où le port du maillot de bain devient une pratique plus
répandue.
Cette nouvelle coutume s'adresse davantage aux gens des milieux urbains.
Les
résidants des campagnes, quant à eux, ont déjà
le
teint bronzé, puisqu'ils travaillent au grand air pendant une
bonne
partie de l'année. Au cours des années 1920, pour
certains,
le bronzage est une façon très évidente
d'afficher
le fait qu'ils ont les moyens et le temps de se prélasser sur
la
plage. Les catalogues commencent donc à présenter des femmes
en
maillot de bain, à proposer des produits pour les bains de soleil.
On
dispense des mises en garde sur les méfaits occasionnés par
une
exposition trop longue au soleil, mais les avertissements restent tout de
même
assez sobres. On les interprète davantage comme des incitatifs pour
vendre
des crèmes solaires.
|
Les maillots de bain
|
|
|
|
Costumes
de bain. Dupuis Frères, catalogue mi-été 1953,
page 4. On peut
lire, coin supérieur droit : « Couleurs
ravissantes, costume
de bain ».
|
|
|
|
|
|
Le clergé catholique canadien-français, celui du
Québec
plus particulièrement, s'opposera à la diffusion de
catalogues
sous prétexte que l'anatomie féminine s'y trouve
beaucoup
trop dévoilée. L'objet principal de la lutte
menée
par le clergé est le maillot de bain. À son avis, il est
inadmissible
que les femmes dénudent leur corps de cette façon. Pourtant,
les
premiers maillots s'avèrent modestes : ils sont
composés
d'une jupe assez longue et ne comportent pas de
décolleté.
Graduellement, ils vont dévoiler de plus en plus le corps.
|
|
|
|
Costumes
de bain. Dupuis Frères, catalogue mi-été 1951,
page 5.
|
|
|
|
|
|
Pour tenter de contrer cette mode jugée indécente, un
regroupement
religieux québécois voit le jour en 1920 : la Ligue
féminine
catholique. Durant les années 1930, elle propose un modèle
approuvé
par le clergé et vendu, entre autres, chez Dupuis Frères, de
Montréal,
et chez Eaton, de Toronto. Il est intéressant de noter que Dupuis
vend
des maillots de bain dans son catalogue d'été 1923.
Ceci
est d'autant plus significatif que cette maison n'offre le
service
de commandes postales que depuis un an. On y présente les femmes
recouvertes
d'une grande cape ou d'un pyjama de plage qui cache en grande
partie
le maillot.
|
La femme sans âge
|
|
|
|
« Toute
femme peut être belle à tout âge ».
Catalogue Dupuis Frères,
printemps-été 1944, page 77. Coin supérieur droit.
|
|
|
|
|
|
En tentant de promouvoir l'image de femmes sans âge, on
fait disparaître
l'importance de celles qui, dans leur milieu, grâce à
leur
expérience, représentaient la sagesse. Les catalogues
continuent
de présenter des mannequins jeunes, même dans la promotion de
vêtements
destinés à des femmes plus âgées.
D'ailleurs,
la beauté est régulièrement associée à
la
jeunesse. Par contre, dans l'Ouest, en particulier dans le catalogue
que
Eaton destine à cette région, ce sont des femmes
d'âge
mûr qui présentent certains types de vêtements tels les
chapeaux.
Les femmes désireuses de rester jeunes vont trouver dans les
catalogues
une multitude de produits destinés à cette fin :
crèmes,
savons, traitements capillaires, soutiens-gorge, corsets, vêtements
rajeunissants…
En plus d'être idéalement minces, les femmes doivent
paraître
jeunes. On leur offre des crèmes pour garder la peau jeune, de
petites
pilules rouges pour conserver le teint rosé de leur jeunesse. Une
fois
de plus, le corset et la gaine permettront aux dames de tous les milieux
de conserver
leur taille de jeunes filles. On leur propose des vêtements qui, en
plus
d'assurer une apparence plus mince, redonnent la jeunesse.
La beauté est aussi largement représentée dans ces
pages.
Les femmes qui posent pour les catalogues incarnent des images de
rêve.
On y fait l'étalage de vêtements qui sont en mesure de
réunir
tous les éléments qui sauront procurer la beauté.
« Gaines
légères et amincissantes pour la beauté et la
jeunesse de
votre corps », trouve-t-on annoncées dans le catalogue
printemps
- été 1961 de Dupuis Frères.
|
Du corset à la gaine
Au cours des années 1920, la taille n'est plus soulignée
par
le corset. Pourtant, celui-ci ne disparaîtra pas aussi facilement de
la
garde-robe des femmes puisque, dans les années 1940 et 1950, la
mise en
valeur de la taille refait surface par le port de la crinoline. Dès
lors,
le corset tend à être remplacé par le soutien-gorge et
la
gaine, cette dernière ayant pour fonction de comprimer les hanches
et
le bas du ventre, tout en laissant beaucoup plus de liberté aux
mouvements.
La gaine sera éventuellement remplacée par la culotte, mais
il
faudra attendre les années 1960 pour que celle-ci s'impose.
Au début du vingtième
siècle,
le corset était un vêtement très important pour les
femmes,
surtout les citadines. Ce sous-vêtement leur permettait de garder la
taille
fine. L'impératif de la minceur était de mise à
cette
époque mais, selon certaines femmes, ce l'était moins
qu'aujourd'hui.
On les habituait en bas âge à porter le corset. Au
début,
certaines se plaignaient que ce n'était pas tellement confortable;
par
contre, avec les années, elles finissaient par en prendre
l'habitude.
En milieu rural, le corset ne se porte que le
dimanche.
En raison de leur travail, les femmes ne peuvent se permettre d'être
gênées
dans leurs mouvements. Si le corset deux pièces leur procure une
plus
grande aisance, elles demeurent tout de même limitées dans
leurs
gestes. Le dimanche était donc la journée de
prédilection
pour suivre la mode de la ville.
|
La mode des fillettes copiée sur celle des
femmes
De tout temps, les historiens ont remarqué des similitudes entre
les
vêtements des femmes et ceux des fillettes. Les habits de ces
dernières
présentaient cependant quelques différences au début
du
vingtième siècle : les décolletés
étaient
plus profonds et les manches, plus courtes. On remarque toutefois que les
éditeurs
des catalogues poussent la vente de corsets auprès des filles
dès
leur jeune âge. On ne pouvait noter de telles ressemblances dans les
vêtements
des garçons et des hommes. Cependant, on remarque une certaine
similitude
entre les vêtements des jeunes hommes et ceux des hommes.
|
Conclusion
L'arrivée des catalogues a provoqué de grands
changements.
Ces publications ont influencé considérablement la mode
féminine,
créant pour elle un nouveau marché qui, à son tour,
en a
affecté la production.
Comme le service de commandes postales a permis aux gens de se procurer
ce
qui était montré en catalogue, leurs habitudes de
consommation
ont également connu des transformations importantes.
Les femmes pouvaient, grâce aux divers catalogues,
découvrir
et suivre l'évolution de la mode. Elles étaient alors
en
mesure de constater les différents courants de
l'époque.
C'est ainsi que les catalogues ont pu influencer la culture, les
goûts
et les choix des consommateurs. Ils ont facilité
l'accès
au monde de la mode.
|
|
Sources documentaires
BOUCHER, François. Histoire du
costume en
Occident de l'Antiquité à nos jours. Paris, Flammarion,
1983,
464p.
BUTAZZI, Grazietta. La mode : art,
histoire
et société. Paris, Le Livre de Paris/Hachette, 1983,
280p.
COLLECTIF CLIO. L'histoire des femmes au
Québec
depuis quatre siècles. Montréal, Le Jour
Éditeur, 1992,
646p.
DESANTI, Dominique. La femme au temps des
Années
Folles. Paris, Stock/Laurence Pernoud, 1984, 368p.
DESLANDRES, Yvonne et Florence MÜLLER.
Histoire
de la mode au XXe siècle. Paris, Somogy, 1986, 404p.
LEACH, William. « Transformation in a Culture of
Consumption :
Women and Department Stores 1890-1925 », dans Journal of
American
History, 71, September 1984, p. 319-342.
MARCHAND, Suzanne. Rouge à
lèvres
et pantalon. Des pratiques esthétiques féminines
controversées
au Québec, 1920-1939. Montréal, Hurtubise HMH,
collection
« Cahiers du Québec - Ethnologie »,
116,
1997, 162p.
|
|
|
|