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Affiche
publicitaire d'un détaillant des produits Garrett.
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Les tapis crochetés
« Bluenose »
de Garrett
Texte de Scott
Robson
Pendant la première moitié du
vingtième
siècle, beaucoup des tapis crochetés qui ornent les foyers
canadiens
portent la mention « Bluenose », un nom
néo-écossais
bien connu. Certains montrent même une image de la
célèbre
goélette éponyme. C'est vers 1926 que
l'entreprise
familiale Garrett, du comté de Pictou, en Nouvelle-Écosse,
adopte
ce nom comme marque de commerce pour ses patrons de tapis
crochetés. Vendus
par correspondance, ces patrons, imprimés sur de la toile de jute,
introduisent
le nom et les motifs de l'entreprise jusque dans des logis
très
éloignés. S'il ne fut pas le premier ni le seul
fabriquant
de ce genre de patrons dans la province, Garrett fut sûrement le
plus grand
et le plus durable dans le domaine.
L'entreprise Garrett | Les
premiers patrons de John Garrett | Les motifs et la
distribution
des patrons de Garrett
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L'entreprise Garrett
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Un
des premiers patrons de tapis crocheté de John Garrett.
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John Garrett (1865-1937), de New Glasgow, en Nouvelle-Écosse,
commence
à imprimer et à vendre ses premiers
« patrons »
de tapis au crochet en 1892. Ces motifs, imprimés sur de la toile
de jute,
forment le support de carpettes ou de tapis crochetés.
De nos jours, en Nouvelle-Écosse, beaucoup d'artisans
utilisent
encore le terme local « carpette », alors
qu'ailleurs
les gens privilégient le mot « tapis ». Si
Garrett,
lui, employait ce dernier mot dans la plupart des cas, probablement en
fonction
de sa clientèle américaine, il offrait également des
« paillassons »
ou employait les deux termes simultanément,
c'est-à-dire
« des carpettes et des tapis crochetés ».
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Tapis
crocheté sur un patron de Garrett introduit vers 1901. 134,6
cm sur 222,3 cm
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John Garrett commence par travailler dans l'entreprise de meubles
et
de rembourrage de son père. Il préfère toutefois
mettre
à profit ses talents artistiques pour concevoir des motifs de
tapis. Son
petit commerce, qui occupe d'abord deux pièces de sa maison,
se
transforme bientôt en une grande manufacture qui comptera des
clients au
Canada, puis aux États-Unis et en Grande-Bretagne, et aussi loin
qu'en
Afrique du Sud, en Nouvelle-Zélande et à Hawaï.
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Annonce
publicitaire de l'entreprise Garrett. Family Herald & Weekly
Star, January 31, 1900.
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En 1892, à sa première année de fonctionnement,
l'entreprise
de Garrett - celui-ci avait déjà obtenu un brevet
canadien
pour son processus d'impression de patrons sur jute - vend
quelque
1800 exemplaires et en écoule 6000 la troisième
année. Une
production économique et efficace s'impose alors. Aussi
Garrett
élabore-t-il sa propre méthode d'impression
qu'il veut
simple.
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Matériel
et patrons de tapis crochetés de Garrett. 1941. Catalogue de
Simpson, printemps 1941, p. 181.
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À mesure que s'améliore la
production,
qu'augmentent les résultats et que croît la demande,
Garrett
commence à vendre par correspondance les tapis ornés de ses
propres
motifs, puis, plus tard, utilisera des catalogues qu'il concevra
lui-même.
Dès 1900, il annonce ses produits dans différentes
publications
agricoles. C'est cependant le populaire Family Herald &
Weekly
Star, publié à Montréal, qui
s'avère le
meilleur moyen de promotion des patrons. L'entreprise connaît
une
telle croissance qu'elle utilise environ 200 000 mètres de
jute
par année au début de la Première Guerre mondiale.
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La
machine à crocheter de Garrett, brevetée en 1926, et son
emballage.
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Les activités commerciales de
l'entreprise
Garrett comprennent, entre autres, la vente de fils de laine, de crochets,
d'attaches,
de cadres et de plusieurs versions d'une machine à crocheter.
Garrett
met à l'essai différents modèles et
améliorations
de sa machine. L'un d'eux s'appelle tout simplement la
« machine à crocheter Garrett »
(annoncé
en 1920); un autre, la « Petite merveille ».
Finalement,
en 1926, il fait breveter la machine à crocheter Bluenose au
Canada, aux
États-Unis et en Grande-Bretagne. Elle acquiert une
popularité
instantanée : environ 12 000 appareils sont vendus la
première
année. Conçue pour le filé, elle peut aussi utiliser
de
minces lanières de chiffons.
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Page
de couverture et dernière page du catalogue de Garrett de
1930-1931. La
première montre une femme utilisant une machine à crocheter
et un cadre
« Bluenose ».
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Trois des enfants de Garrett occupent des postes
au
sein de l'entreprise. Frank (1892-1958) et Cecil
(1902-1954) travaillent à l'usine principale de New Glasgow.
Arthur
(1888-1954) gère la filiale de Malden, au Massachusetts. Cette
filiale
a ouvert ses portes en 1929, mais l'entreprise Garrett exploitait
déjà
divers points de vente dans la région de Boston depuis 1902
environ. Katherine,
l'épouse d'Arthur, poursuit les activités de la
filiale
après le décès de son mari et Cameron, le fils de
Frank,
reprendra les activités de l'installation de New Glasgow
après
le décès de son père, en 1958.
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Page
de couverture et dernière page du catalogue de Garrett de 1940 -
édition
américaine.
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La popularité des patrons de tapis
commence à
décliner durant les années 1960 et 1970, puis
s'évanouit.
Le stock restant est vendu dans la décennie suivante. En 1985, Ed
MacArthur,
qui y a occupé le poste de gérant, achète
l'entreprise.
Il vend par la suite les pochoirs à tapis à un acheteur qui
souhaite
en tirer des impressions et les vendre.
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Les premiers patrons de John Garrett
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Vue
aérienne (détail) de Halifax, en 1879.
Lithographie
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En octobre 1927, alors que l'entreprise
est en
plein essor, Cecil Garrett raconte, dans une causerie, les débuts
de son
père dans l'industrie du crochet. Selon lui, l'aventure
commence
en 1879, quand John Garrett découvre des patrons de tapis sur jute
dans
la vitrine d'un magasin de Halifax en se rendant à son
travail :
« Le propriétaire de ce magasin avait fait une
cession.
Le stock avait été acheté par une entreprise de
commissaires-priseurs,
Shand, Ferguson & Clay […]. Ils craignaient de ne pouvoir
écouler
les patrons de tapis et les avaient donc soldés.
Résultat :
ce sont les premiers articles à se vendre. Monsieur Ferguson, un
artiste
amateur, conçoit alors quelques patrons … qui se vendent
bien. Plus
tard, Ferguson déménage à New Glasgow et ouvre un
commerce
à côté du magasin de meubles de mon grand-père.
[…]
Il a continué à faire des patrons de carpettes et de tapis
pour
son commerce de détail et expédiait le stock
excédentaire
à Halifax. Tous les patrons étaient fabriqués
à l'aide
de pochoirs. »
« Un jour, monsieur Ferguson demande à mon
père,
âgé de dix-huit ans à l'époque, de lui
procurer
quelques patrons lors d'un voyage à Boston afin
d'inspirer
ses créations. Pendant le voyage de retour par bateau, mon
père
décide d'imprimer ces patrons. À son arrivée
à
la maison, il taille une volute dans du tilleul à l'aide
d'une
scie à chantourner, l'encre et l'habille d'un
morceau
de jute et fait tourner le tout en utilisant un rouleau de métal en
guise
de poids. L'opération est un succès et, depuis, nous
n'avons
cessé de fabriquer des patrons de
tapis ! »
« Le nombre de patrons vendus
durant
la première saison n'est que de 150 douzaines (1800 patrons).
Pendant
la deuxième saison, les ventes se chiffrent à 350 douzaines
(4200
patrons). Lors de la troisième saison, les ventes
représentent
508 douzaines (6096 patrons). La saison dernière, les ventes ont
atteint
1100 douzaines (132 000 patrons). Depuis trois ans, nos commandes de toile
de
jute sont d'environ 150 000 mètres par
année. »
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Les motifs et la distribution des patrons de
Garrett
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Annonce
publicitaire de Garrett. 1921. Le texte suggère aux dames
d'écrire
à l'entreprise
afin de recevoir, gratuitement, un feuillet illustrant 67 jolis motifs
de tapis. Annonce parue dans United Farmer's Guide (Gardenville,
Québec), 15 novembre 1921, p. 23.
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En plus de 80 ans, l'entreprise a
imprimé
des patrons sur jute qui offraient des centaines de motifs, dont beaucoup
sont
l'œuvre de John Garrett et de son fils Frank, qui avait
reçu
une formation d'artiste commercial. On peut retracer ces motifs dans
les
livrets de patrons et les catalogues qui sont souvent publiés
annuellement.
Une annonce insérée dans le Family Herald & Weekly
Star
du 28 février 1900 vante
« la soixantaine de motifs de tapis crochetés
»
offerts dans six tailles. En 1925, la firme offre « plus
d'une
centaine de motifs ». Certains s'inspirent de tapis
anciens,
tandis que d'autres sont des adaptations de patrons achetés
à
Boston. Quelques-uns ont été identifiés comme
étant
des variantes des motifs d'Edward Frost, bien connus en
Nouvelle-Angleterre.
Toutefois, la plupart sont créés par Frank Garrett et son
père.
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Patrons
offerts en français par Garrett. 1923-1924.
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Peu après 1900, Eaton commence à
vendre
les patrons de Garrett à travers le Canada. La Compagnie de la Baie
d'Hudson,
Simpson et d'autres magasins lui emboîtent le pas. De 1920
à
1940, Eaton demeurera le principal acheteur de patrons de tapis de
l'entreprise
Garrett. Pendant la saison hivernale 1926-1927, le magasin vend plus de
900 douzaines (10 800 patrons) de deux motifs seulement.
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Feuillet
publicitaire de Garrett. 1939. Le feuillet annonce un patron
conçu par Frank Garrett à l'occasion de la visite royale au
Canada,
en mai et en juin 1939. Les couronnes impériales du roi et de la
reine
sont bordées d'un trèfle, d'un chardon et d'une rose,
symboles de la
Grande-Bretagne, et de la feuille d'érable du Canada.
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« Les
trois ours », patron de Garrett. Années 1930.
74,0 cm sur
113,5 cm. Selon Cameron Garrett, « les trois ours et la
goélette
Bluenose furent
[les] deux meilleurs vendeurs » de l'entreprise. (Canadian
Living, 5 septembre 1987) Ils avaient été
annoncés pour la première
fois dans le catalogue de 1932 et étaient demeurés
populaires au Canada
et aux États-Unis.
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Patrons
et machines à crocheter de Garrett. 1935. Catalogue de
Simpson,
automne-hiver 1935-1936, p. 155.
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Les patrons sont imprimés sur du jute,
puis
colorés à la main afin de suggérer un agencement de
couleurs
et d'améliorer l'aspect terne de l'encre sur la
toile.
Voici ce qu'on pouvait lire sur un feuillet de Garrett, en
1921 :
« Nos patrons de tapis sont imprimés sur une solide
toile de
jute spécialement conçue et fabriquée à cette
fin.
Les fleurs et les feuilles sont en couleurs naturelles, les feuilles
d'érable
présentent leurs couleurs automnales et les volutes sont
généralement
d'un brun clair ou foncé. Ne vous sentez pas obligées
d'utiliser
ces couleurs. Tenez uniquement compte de vos goûts et des chiffons
à
votre disposition. »
Outre la conception et l'impression de patrons à
crocheter, la
manufacture exploite une imprimerie pendant quelque temps (elle est vendue
en
1923), où elle produit ses propres patrons et catalogues. Voici
comment
l'entreprise était décrite en 1916 :
« Il
s'agit de la seule usine canadienne de conception de patrons sur
jute pour
la fabrication de tapis à la maison. […] Ses produits sont
vendus
partout dans le Dominion et à Terre-Neuve. Monsieur Garrett
exploite aussi
l'imprimerie de New Glasgow et dessine beaucoup de bannières
et
d'affiches artistiques. » (Nova Scotia's
Industrial
Centre: New Glasgow, Stellarton, Westville, Trenton)
Pour faire fructifier leurs affaires, les membres de la famille Garrett
entreprennent
bien d'autres projets. Ainsi John Garrett annonce-t-il, en 1901, la
vente
de patrons pour dentelles ( Battenburg ) et broderies. Dans les
années
1970 et 1980, son petit-fils Cameron Garrett vend des meubles
d'occasion
et des antiquités. Cette diversification compense la baisse des
ventes,
surtout pendant les deux guerres mondiales, périodes où il
est
difficile de se procurer du jute tissé en Écosse selon les
spécifications
de John Garrett. Dans les années 1960, le marché des patrons
s'amenuise
et l'intérêt pour les machines à crocheter
s'avère
presque inexistant.
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Dix
patrons du catalogue de Garrett de 1970. Le catalogue
présente
une vaste gamme de patrons populaires introduits de 1930 à 1956.
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Les annonces et les catalogues de Garrett constituent une bonne
illustration
de la croissance et du déclin de l'entreprise, depuis le
petit commerce
dynamique jusqu'à l'imposante société
internationale
de vente par correspondance. L'assortiment changeant des patrons
comprend
de nombreux motifs de fleurs et de volutes, l'introduction
périodique
de nouveaux patrons et la reprise de motifs des décennies
précédentes.
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Patron
de la goélette Bluenose de Garrett, imprimé sur
toile de
jute.
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Garrett publie son dernier catalogue en 1974 : l'ouvrage
servira
pendant plusieurs années et on se contentera de n'y apporter
que
quelques modifications manuscrites. De fait, en 1971, un seul
modèle nouveau
avait été ajouté au catalogue depuis 1964, ce qui
démontre
le peu d'intérêt pour le produit et la diminution des
ventes.
Dans les foyers et les collections muséales du Canada et des
États-Unis,
on trouve sans doute beaucoup de carpettes et de tapis fabriqués
entre
1890 et les années 1960 qu'on ne reconnaît pas comme
des tapis
de « patrons » commerciaux; peu sont
attribués à
des concepteurs ou à des imprimeurs de patrons. Il est bien
possible qu'ils
aient été crochetés sur des patrons Bluenose,
distribués
par la poste et produits par les trois générations de
l'entreprise
familiale de John Garrett.
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