La vie de BarbeauL'ethnologue (2)L'un de mes meilleurs informateurs, James Logan, était grand chef des Cayugas. De fait, il m'a donné près de quatre-vingts chansons. Je suis retourné là-bas en 1912, et j'y suis resté encore quatre mois. Ensuite, il s'est présenté une occasion tout à fait extraordinaire : une délégation de dix à quinze chefs indiens de l'ouest de l'Alberta, des montagnes Rocheuses et du territoire occupé par les Salish près de la rivière Fraser et de la rivière Thompson est arrivée à Ottawa pour discuter de questions territoriales avec le gouvernement. Pendant leur séjour, ils avaient beaucoup de temps libre. J'ai pensé: « Pourquoi n'enregistrerais-je pas des chansons avec eux, puisqu'ils sont ici? » Je leur ai demandé de m'en chanter quelques-unes et j'ai été ravi par leur qualité. En trois semaines, j'ai recueilli de soixante à soixante-dix chansons. Parmi les Indiens, Tetlenitsa était le meilleur chanteur et le mieux informé; il était en outre très sympathique. Nous avons travaillé ensemble, et j'avais bien du mal à enregistrer ces sons âpres, qui venaient du palais, de la gorge; c'étaient des sons extrêmement gutturaux. C'était très difficile, mais j'y suis quand même parvenu, et je n'ai pas cessé d'enregistrer. J'ai transcrit plusieurs de ces chansons, et je pense avoir réalisé de bonnes transcriptions. Tetlenitsa est toujours resté pour moi un personnage entre tous les Indiens que j'ai connus. C'était un vieil homme; il venait des environs de la rivière Thompson, que les Indiens appellent Ntlakapamuks. Il m'a raconté ce qui s'est passé lorsqu'il est allé dans les montagnes, dans sa jeunesse, pour avoir une vision. Il se trouvait là-bas depuis quelque temps; un matin, il était en train de chanter une chanson, la Chanson des Ours, quand soudain il a vu tomber de la neige à une certaine distance, et puis il a vu deux ourses, deux femelles qui venaient vers lui. Il est tombé sur le dos, et alors il les a entendues chanter une chanson, la chanson de sa vision, qu'il a chantée devant moi. Je l'ai enregistrée; c'est impressionnant. Il m'a dit: « Je vais vous raconter l'histoire de ma vision. Une chose qui ne s'est jamais faite. L'homme qui a une vision ne doit jamais la raconter, ou bien il la perd. Mais lorsque je mourrai, je vous le ferai savoir, où que vous soyez. » Quinze ou vingt ans plus tard, je me trouvais sur la Skeena en train de travailler avec les Tsimshians, un groupe entièrement différent qui vit au nord, vers l'Alaska. Un soir, je revenais chez moi quand j'ai aperçu un homme qui allait et venait sur le sentier; il m'a demandé: « Êtes-vous monsieur Barbeau? » J'ai répondu: « Oui, pourquoi? - Vous savez que vous avez un ami, dans le sud, dans le territoire de la Ntlakapamuks. Il est mort, et il m'a chargé de vous le dire; je suis venu faire ma commission. » C'est facile de se lier d'amitié avec les Indiens, surtout si vous travaillez avec eux et si vous apprenez leur histoire. Les Tsimshians et les autres, quand vous travaillez avec eux comme je l'ai fait, une tribu après l'autre, une famille après l'autre, ils savent que vous recueillez leur propre histoire. Je m'intéresse à ce qu'ils pensent, à leur conception du bonheur, à leurs chants funèbres, à leur morale, à leur art, à leur sculpture. Lorsqu'ils s'en rendent compte, vous êtes vraiment des leurs. De fait, j'ai consigné toute l'histoire des Tsimshians: j'ai passé huit longues saisons parmi eux, et j'ai étudié pratiquement chaque famille. (Monsieur Barbeau fut aidé en cela par un interprète et précieux collaborateur, M. William Beynon avec qui il travailla étroitement pendant plus de 40 ans). En 1949, nous nous sommes rendus à Ohsweken, un petit village au centre de la réserve de Grande Rivière, près de Hamilton. J'ai commencé à y travailler avec Charles Cook comme interprète. Nous avons entrepris d'étudier les dialectes et la phonétique avec les vieux chefs des environs. Nous avons passé en tout trois saisons à faire une étude assez complète des dialectes, présentée plus tard sous forme de dictionnaire. Pendant que nous nous trouvions à Grande Rivière, nous avons décidé d'enregistrer des chansons iroquoises au festival du Chien blanc et nous y avons recueilli un certain nombre de chansons indiennes qui constituent un beau répertoire. Le Musée canadien des civilisations est en partenariat avec le Centre de documentation Marius Barbeau. |
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