La vie de BarbeauLe folkloriste (1)En 1914, la Commission de géologie m'a envoyé à Washington pour une réunion de l'Anthropological Association. J'ai eu la chance d'y entendre monsieur Franz Boas, de l'Université Columbia; c'était un savant de grande réputation. Pendant la réunion, il m'a invité à prendre le repas de midi avec lui. Il m'a demandé : « Barbeau, vous êtes Canadien français, vous pouvez répondre à une question que nous nous posons depuis bien des années, ici, aux États-Unis. Les Indiens, même ceux du Mexique, connaissent des contes folkloriques qui ne peuvent avoir qu'une origine française. Comment leur sont-ils parvenus? Sont-ils venus du Canada français? Il y a eu tellement de coureurs des bois chez vos compatriotes. Est-ce qu'ils pourraient leur avoir transmis certaines de leurs histoires? » J'ai répondu : « Monsieur Boas, j'ai eu effectivement l'occasion d'entendre des contes à Lorette. - Eh bien, a-t-il dit, retournez-y, jeune homme; retournez à Lorette. Il est extrêmement urgent d'en recueillir quelques-uns. » Et j'en ai recueilli! À Lorette et dans les environs, dans Charlevoix, dans Kamouraska, et en Beauce; des contes populaires, il y en avait partout, c'était incroyable! Et de beaux contes! Ils m'intéressaient énormément; je les aimais. Je les prenais en sténo, étant donné qu'au collège, dans ma paroisse, j'avais appris la sténographie, et on peut dire que ça m'a servi. À Lorette, j'en ai peut-être recueilli une centaine en un mois ou deux. Je n'en suis pas sûr. Puis j'ai commencé à les transcrire. Quand je les ai communiqués à monsieur Franz Boas, il m'a dit: « C'est exactement ce que nous voulons. Nous allons publier. Si vous êtes disposé à le préparer, nous allons consacrer à ces contes un numéro du Journal of American Folk-Lore (qui paraît d'ordinaire en anglais), un numéro entier, 150 pages, en français. » Je lui ai envoyé les contes, et à la réunion suivante on m'a élu président de l'American Folklore Society. J'ai été président de cette association en 1916-1917. C'est ainsi que j'ai commencé à recueillir des contes folkloriques, toujours davantage; ils ont fait l'objet de huit numéros entiers du Journal of American Folk-Lore, jusqu'en 1950. J'ai commencé par recueillir des contes folkloriques chez les Indiens, à Lorette, mais là on m'a dit: « Plus bas sur la côte, à Baie-Saint-Paul, aux Éboulements, il y a des gens qui savent des tas de chansons folkloriques. Ils chantent des journées et des soirées entières. » Alors je me suis dit que je ferais peut-être bien d'y aller. En 1916, j'ai pris mon phonographe et mes cylindres vierges, et je suis descendu dans le comté de Charlevoix. À la fin de cette saison, je suis retourné à Ottawa avec une collection de plus de 500 chansons, ce qui me semblait extraordinaire, parce qu'à cette époque j'avais l'impression, comme la plupart des gens, que toutes les chansons folkloriques canadiennes-françaises avaient été recueillies par Ernest Gagnon en 1865. Mais les chansons que j'enregistrais m'arrivaient toutes les unes après les autres; chaque fois c'était une surprise, et je m'en émerveillais. J'ai commencé à les transcrire en noir sur blanc, sur du papier à musique, et je me suis dit: « Je vais en faire un livre! » Je me suis accoutumé à transcrire, bien entendu. C'était toute une besogne au début, parce que je manquais d'expérience. Je connaissais la musique, mais pas tellement ce genre d'exercice. |
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