La vie de BarbeauL'Université Laval (2)Mes frais de pension et d'études étaient couverts par ce que je gagnais comme sténographe et (momentanément) comme clerc et dans la milice d'été. Chez Mme Sanschagrin, à ma pension, je me trouvais bien chaudement logé et nourri, mieux que jamais auparavant. Mme Sanschagrin était une excellente personne qui aimait le plaisir et les réunions. J'allais aux soirées. Je me fis des « blondes » de peu de durée et de conséquence. Chez Leclerc, je fis connaissance de jeunes filles, les deux belles Rousseau. Aussi, dans une soirée, de Blanche Pouliot, belle et minuscule, dont je devais un peu plus tard m'éprendre jusqu'aux larmes. La dernière fois que j'allai la voir chez ses parents (son père était gros marchand), elle m'annonça qu'elle avait décidé d'entrer chez les religieuses sous peu. Sa vocation était là. Je fus pris de chagrin. Je l'embrassai sur la joue (pour la première et la dernière fois), et elle me dit ( mélo-dramatiquement ) « Respectez ce qui appartient à Dieu! » Elle demeura chez les religieuses pendant bon nombre d'années, puis sortit et se maria. Pendant ces années de Droit, (deuxième, troisième et quatrième) je n'eus aucune amie dont il vaille la peine de parler avec grand attachement. Pourtant, je fréquentais plusieurs salons d'amis, surtout chez Rodolphe Audet, où l'on recevait les dimanches soirs. De bons amis que je fis furent les Baillairgé, de la famille d'architectes sculpteurs que j'ai plus tard étudié. Il y avait Ruth, Naomi et Hagar, filles de l'architecte (feu) Charles Baillairgé. J'étais bien reçu là; j'y allais souvent. Je prenais mes repas chez le « Bosse » Dionne, près de l'université où je fis des amis et des connaissances. Graduellement, je devins très ami de Louis Saint-Laurent, comme moi étudiant en Droit, mais d'un an ou deux avant moi. Avec Saint-Laurent se trouvaient souvent Albert Sévigny et Jules-Arthur Gagné, aussi de mes amis. Ces deux derniers devinrent des sommités en politique et dans leur profession, juges, etc. Saint-Laurent devint, assez tard dans sa vie, premier-ministre du Canada. Son amitié eut des conséquences importantes pour lui: il épousa ma « blonde » (amie), Jeanne Renaud que je lui avait présenté à Saint-François, où je l'avais emmené avec moi. Et pour moi: elle me conduisit à la Bourse Rhodes. Voici comment. Dans mes quelques loisirs (peut-être en été) je lus « L'Intelligence » de Taine. Ce livre eut une profonde influence sur moi. Taine explique le phénomène psychologique de l'intelligence chez l'homme : système musculaire, nerveux, épine dorsale, bulbe rachidien, lobes du cerveau, idées... L'homme, pour lui, est un phénomène naturel sur le globe, non une création surnaturelle. Donc, point de Révélation, etc. Me promenant sur la Terrasse de Québec avec Saint-Laurent et Sévigny, un soir (comme nous le faisions à peu près tous les beaux soirs), je m'efforçais de dire à mes amis ce que c'était l'Intelligence... Tout à coup, Louis (Saint-Laurent.) se tourne vers moi indigné, disant: « Si c'est ça que tu crois, tu vas te damner! » Mais ce fut tout pour le moment. Un dimanche de septembre, me rendant chez les Baillairgé à Saint-Michel de Bellechasse avec Louis, nous avions deux milles de chemin à marcher. En route, Louis me dit: « Puisque tu as de telles idées et que tu veux continuer ces études (à la Taine) pourquoi ne te fais-tu pas candidat à la Bourse Cecil Rhodes? » Je ne savais rien de cette bourse. La B.C.R. avait débuté au Canada en 1904. En cette année et pendant 1905 et 1906 quelques candidats avaient été choisis et étaient partis pour Oxford. En 1905 on en avait offert (une bourse) à l'Université Laval de Québec et de Montréal ensemble. On avait refusé, car on ne voulait pas envoyer à une université protestante anglaise un jeune Canadien-français catholique. Mais en septembre 1906 on avait décidé d'agir autrement, d'en risquer un! Celui que le recteur de l'université, Mgr. Olivier-Elzéard Mathieu, favorisait pour son propre choix était Louis Saint-Laurent, étudiant en droit, modèle et sérieux. Louis avait décliné l'honneur, ayant d'autres projets d'avenir, tel pratiquer le droit (et peut-être était-il déjà fiancé à mon amie Jeanne Renaud de la Beauce). Il me dit: « Vas voir Mgr. Mathieu. Peut-être sera-t-il intéressé. » Je vais voir Mgr. Mathieu. Il me prend dans ses bras et m'embrasse. C'est entendu! Il forma un comité de cinq notables, y compris le Lieutenant Gouverneur et me fit élire. Mon avenir était changé du coup! J'en étais aux petits oiseaux! Mais on en était encore en hiver. Je le croyais à peine et je demandai à Mgr. Mathieu d'en retarder l'annonce de quelques mois. Il n'y eut aucun état à ce sujet. Mon père en fut content. Ma mère était à la veille de mourir. Elle mourut le 1er décembre de 1906 à l'age de 48 ans. Mon père était de l'autre côté du lit. Lorsqu'elle rendit le dernier soupir, il étouffa un gros sanglot. Elle aurait voulu vivre pour me voir continuer mes études à Oxford. En juin 1907, je passai mes examens en droit, à l'Université Laval, et j'obtiens le LL.L. De bonne heure en juillet, je subis mes examens et je fus admis au Barreau de la Province de Québec. Mon père descendit à Québec pour me voir une dernière fois avant mon départ. J'avais besoin d'argent. Ma tante Catherine Nash, toujours bienfaitrice de notre famille (et riche) avait donné à mon père les quelques centaines de piastres pourle voyage d'Europe. Il me remit cet argent comme nous étions ensemble sur la Terrasse en face du Château. Et avant de me quitter il eut encore un profond sanglot. Aussitôt après mes examens au Barreau de Québec, je m'embarquai à Québec (le 16 août 1907) sur le « Victorian » de la ligne Allan, magnifique bateau. Me voila parti pour le bonheur. Mon rêve s'accomplissa. |
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