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La vente par catalogue et les petits marchands du
Canada :
une lutte sans merci
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Cette
caisse enregistreuse, de la collection du Musée canadien de la
poste,
a été utilisée au bureau de poste et au magasin
principal de Val-Morin
Station, au Québec.
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Texte de John
Willis
Grâce à la vente par catalogue, les
Canadiens
peuvent enfin faire livrer, à leur porte, des produits de plus en
plus
modernes et variés. Ce commerce s'avère alors si
rentable
qu'il menace le gagne-pain d'une catégorie plus
vulnérable
de détaillants : les marchands des communautés rurales
et
des petites localités. La pérennité de ce moyen
d'existence
deviendra donc un enjeu national et politique.
Introduction | L'opposition
à la vente par catalogue s'organise. | Harry
Stevens, porte-parole des petites entreprises | La
Commission
royale d'enquête sur les écarts de prix | Brasser
de grosses affaires | Injuste, la
compétition ?
| Paient-elles leur juste part de taxes ? | Amis
et ennemis des petites villes | L'Est contre
l'Ouest
| Le clergé, l'allié des marchands
indépendants
| Conclusion | Sources
documentaires
Introduction
D'Est en Ouest, grâce à la vente par catalogue,
Canadiens
et Canadiennes peuvent enfin faire livrer, à leur porte, des
produits
de plus en plus modernes et variés. Personne n'y
résiste,
surtout les habitants des régions rurales et des petites villes
où
les grands magasins sont inexistants.
La vente par catalogue, qui permet aux agriculteurs, aux mineurs, aux
travailleurs
forestiers et à leur famille d'acheter une multitude
d'articles,
nuit toutefois au chiffre d'affaires des marchands des petites
villes,
incapables de rivaliser avec les entreprises qui utilisent cet outil de
vente.
Résultat : ils ferment boutique.
En 1934, la situation entre dans une phase aiguë. Les
détaillants
lancent une offensive contre les entreprises de vente par catalogue et les
grands
magasins. Il en résultera une enquête parlementaire, puis une
commission
royale en bonne et due forme. Lors de la campagne électorale
fédérale
de 1935, le conflit opposant petites et grandes entreprises est sur toutes
les
lèvres. Durant le déclin économique des années
1930,
le Parti de la reconstruction est fondé pour défendre les
intérêts
des petits commerçants qui traversent des temps difficiles.
L'opposition à la vente par catalogue
s'organise.
À la fin du dix-neuvième siècle,
l'opposition aux
grands magasins se manifeste à la grandeur des États-Unis et
du
Canada. Le mouvement prend naissance aux États-Unis pour ensuite
s'étendre
au Canada où, en novembre 1896, est fondée
l'Association
des marchands détaillants du Canada (AMD). Celle-ci
démontrera
que la vente par catalogue suscite depuis longtemps la contestation et
qu'au
sein de l'économie locale elle est synonyme de concurrence
déloyale.
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L'intérieur
du Dazé General Store, Arnprior (Ontario), 1910. Ce marchand
risque gros en raison de la concurrence des entreprises de vente par
catalogue des grandes villes qui peuvent livrer à ses clients des
provisions
et des conserves par la poste.
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En 1911, l'AMD dépose une pétition auprès du
ministère
des Postes lui demandant d'offrir aux détaillants une
protection
contre la vente par catalogue :
Les entreprises de vente par catalogue, qui vivent du commerce de la
vente
par catalogue, voient une grande partie de leurs coûts de livraison
défrayés
par le Trésor public, et ce, à leur avantage, mais au
détriment
des marchands qui ouvrent leurs commerces dans les villes et villages au
profit
du public et d'eux-mêmes, et doivent défrayer certaines
dépenses
légitimes dont sont exemptées les entreprises de vente par
catalogue.
En d'autres mots, le gouvernement subventionne la vente par
catalogue et
participe à l'extermination des marchands, ceux-là
même
qui s'efforcent de bâtir le Canada et de créer une vie
communautaire
moderne.
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En 1926, l'AMD propose au gouvernement fédéral de
créer
une taxe de 10 % sur la vente par catalogue et d'en
redistribuer les
revenus aux provinces en fonction du volume des ventes par catalogue.
Le ministère des Postes est au courant de la controverse que
suscite
la vente par catalogue. En 1923, une proposition interne de louer de
l'espace
publicitaire dans les bureaux de poste du Canada aurait
empêché
le ministère d'accepter la publicité des entreprises
de vente
par catalogue, de même que celle du tabac, de la bière et de
l'alcool.
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Simpson
prend beaucoup de place dans le paysage. Durant les années
1930,
il inaugure un service de vente par catalogue dans trois villes de
banlieue ontariennes : Brampton, New Toronto et Oshawa. Vers 1933,
les ventes atteignent 286 000 $. Ces services sont gérés par
des agents
commissionnaires, qui ont donc intérêt à racoler les
clients. Catalogue
de Simpson, automne-hiver 1930-1931, page de couverture.
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Harry Stevens, porte-parole des petites
entreprises
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Harry
H. Stevens amorce sa carrière politique en Colombie-Britannique
comme
farouche adversaire de l'immigration orientale.
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Durant les années 1930, en pleine crise économique,
Canadiens
et Canadiennes cherchent désespérément à
trouver
des coupables et des solutions à cette pénible condition.
Les partisans,
autant ceux de la gauche que de la droite, émettent diverses
propositions.
Harry Stevens, député de la circonscription de Kootney East
et
ministre des Affaires extérieures et du Commerce au sein du cabinet
Bennett,
se fait le champion des petites entreprises.
En janvier 1934, Stevens fait un discours à Toronto lors
d'un
congrès réunissant des marchands et des manufacturiers de
chaussures.
Il y critique les grandes entreprises, surtout « la pratique
d'achat
en gros des grands magasins et des chaînes de magasins, et
l'usage
de ce pouvoir dans le but d'anéantir le petit
détaillant...
et d'écraser le manufacturier qui refuse de se voir imposer
les
prix de l'acheteur en
gros ». Il évoque le cas de l'industrie du
vêtement
qui, en exploitant des manufactures clandestines, réduit ses
coûts
de production afin de satisfaire aux exigences des acheteurs en gros, dont
l'objectif
est d'obtenir les plus bas prix.
Le lendemain, les présidents d'Eaton et de Simpson
attaquent
vertement Stevens dans les journaux. Les événements se
précipitent.
Le premier ministre R. B. Bennett forme un comité ad hoc
qui,
chapeauté par la Chambre des communes, tentera de trouver des
solutions
à la dépression avant la tenue de la prochaine
élection
fédérale.
Présumant qu'une force quelconque gonfle artificiellement
les
prix et qu'elle cause préjudice au consommateur, le
comité
enquête sur le grand écart entre les sommes versées
aux producteurs
et celles payées par les consommateurs. Durant près de
quatre mois,
les délibérations font la manchette des journaux du pays.
L'enquête porte sur les pratiques commerciales des grandes
sociétés,
entre autres, les géants de l'industrie alimentaire comme
Canada
Packers, ainsi qu'Eaton et Simpson. Les témoins font de
grandes
déclarations en faveur des détaillants, l'un
d'eux
allant même jusqu'à les qualifier « de
facteurs
les plus importants de notre réseau de distribution ».
Quant
au Conseil national du commerce équitable (The National Fair Trade
Council),
il considère que
« la croissance des grands magasins, des entreprises de vente
par
catalogue et des chaînes de magasins nuit aux intérêts
du
pays ».
La Commission royale d'enquête sur les
écarts
de prix
En juillet, le comité se transforme en commission royale
d'enquête.
Stevens dirige encore une fois les travaux. En coulisses, l'AMD joue
un
rôle majeur en fournissant conseils et témoins. Sa revue
mensuelle
a pour mission de présenter, à la Commission, des
renseignements
supplémentaires. La Commission obtient un tel succès que la
haute
direction d'Eaton et de Simpson s'empresse de se plaindre de
Stevens
auprès du premier ministre. En janvier 1935, Bennett et Stevens se
disputent.
La possibilité que la position réformiste et le militantisme
de
Stevens puissent aliéner les bailleurs de fond du Parti
conservateur inquiète
le premier ministre et chef du parti. Celui-ci s'inquiète
également
du fait que Stevens pourrait poser sa candidature à la direction du
parti.
Au début de 1935, Stevens se voit montrer
la
porte du cabinet. Au cours de l'élection de l'automne
suivant,
il conserve son siège et participe à la course au leadership
du
nouveau Parti de la reconstruction. Le parti organise d'importants
ralliements :
10 000 personnes, à Toronto; 5300, à Winnipeg; de 2000
à
3000, à Calgary, à Saskatoon et à Regina. Les
militants
de l'AMD et les autres groupes de pression des petites entreprises
participent
activement à la campagne du parti. Toutefois, ce dernier
n'arrive
à recueillir que 389 000 votes (moins de 9 % du vote
populaire),
à peu près le même nombre que la CCF, la
Fédération
du Commonwealth coopératif. Les libéraux récoltent
deux
millions de votes; les conservateurs, 1,3 million.
En 1935, Stevens perd son pari de réinventer la politique au
pays.
Néanmoins, les témoignages qu'il reçoit, et que
l'on
trouve dans le rapport de la Commission, permettent de voir, sous un angle
intéressant,
l'antagonisme entre la grande entreprise et la petite, lutte qui
sous-tend
tout le débat pour et contre la vente par catalogue.
Brasser de grosses affaires
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Du
point de vue des marchands, cet avis, adressé aux clients d'Army and
Navy durant les années 1930, est pour le moins provocant.
Catalogue
d'Army and Navy, automne-hiver 1933-1934.
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En 1929, trois entreprises
génèrent 80 %
des ventes du marché du détail canadien : la T. Eaton
Co.,
la Robert Simpson Co. et la Compagnie de la Baie d'Hudson. Les
services
de vente par catalogue des deux premières sont très actifs.
Quant
à la CBH, elle cesse de publier ses catalogues saisonniers en 1913
et
n'exploite qu'un service limité de vente par
correspondance.
En 1929, les grands magasins occupent 10 % du marché du
détail
au pays et 12,6 %, deux ans plus tard. De toute évidence, les
premières
années de la Dépression profitent aux grands magasins au
détriment
des magasins généraux et magasins de détail, plus
petits.
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Une
réception en toute confidentialité, n'est-ce pas le meilleur
atout
de votre commande chez Eaton ? Sans doute, compte tenu de
l'opposition
aux catalogues dans certains milieux. Catalogue d'Eaton, automne-hiver
1911-1912, p. 2.
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En 1930, Eaton compte à lui seul 7 % de
la totalité des ventes au détail au Canada. Avec
treize grands magasins, cinq centres de distribution de vente par
catalogue, 32 magasins à rayons, sept manufactures,
neuf bureaux d'achats (quelques-uns outre-mer) et
112 bureaux de vente par catalogue, Eaton est l'image même de
la grande entreprise canadienne de vente au détail. Au second rang se
situe
Simpson, dont le plus important magasin se trouve à Toronto et qui
compte
trois installations majeures destinées à la vente par
catalogue,
plusieurs entreprises manufacturières, dont une
société
pharmaceutique. Lui aussi possède des bureaux d'achats
outre-mer.
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Injuste, la compétition ?
Le volume des opérations d'Eaton et Simpson est si
élevé
qu'il leur permet d'obtenir de la part des manufacturiers des
produits
à prix réduit. Ils peuvent alors vendre leurs marchandises
par
catalogue et en magasin aux plus bas prix. Afin d'attirer la
clientèle,
Eaton et Simpson n'hésitent pas à écouler des
articles
à perte. Cette technique, appelée « article de
réclame »
ou « produit d'attraction », est toujours en
vogue
aujourd'hui.
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L'argent,
l'ultime pomme de discorde, est la préoccupation des clients ruraux
et est l'objet de toutes les disputes entre les petits marchands et
les entreprises de vente par catalogue.
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Les petits détaillants s'avèrent incapables de
rivaliser
avec cette politique de bas prix. Voici le propos d'un marchand de
la Nouvelle-Écosse,
exaspéré par cette concurrence : « Les
achats en
gros des grands magasins m'empêchent de faire concurrence aux
prix
des produits vendus par catalogue. Même si je paie mes achats au
comptant,
en empruntant parfois à la banque, nous, les marchands
indépendants,
ne réussissons à vendre nos produits qu'à
condition
d'égaler les prix compétitifs des catalogues. Depuis
des
années, j'essaie de faire des achats qui me rendraient
concurrentiel,
mais en vain. »
En 1938, un détaillant de l'Alberta écrit au
premier ministre :
« Je vous l'affirme, Monsieur, les affaires sont tout
simplement
devenues un enfer pour le petit commerçant
aujourd'hui. »
Les temps sont difficiles et, même quand ils le sont moins, la
concurrence
des grandes entreprises semble injuste. Par exemple, Eaton peut accumuler
des
stocks importants, ce qui lui permet de faire des économies
d'échelle,
de réduire ses prix et de concurrencer l'économie
rurale
et celle des petites localités sur tous les plans. Et pour
couronner le
tout, les entreprises de vente par catalogue usent de pratiques
commerciales
parfois peu orthodoxes.
L'AMD de la Saskatchewan accuse Army and Navy, un grand magasin
et une
entreprise de vente par catalogue de Regina, de se livrer à une
campagne
de publicité trompeuse par le biais de la radio et de panneaux
publicitaires.
À Winnipeg, Eaton est accusé d'offrir des contrats aux
pénitenciers
de la région et d'employer gratuitement les détenues
à
la confection de chemisiers et de protège-matelas. On qualifie
d'épouvantables
les conditions de travail dans les manufactures d'Eaton.
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Publicité d'Army
and Navy dans le Regina Leader Post du 23 février
1934. Ce
document est l'une des nombreuses preuves déposées devant la
Commission
royale d'enquête sur les écarts de prix.
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Paient-elles leur juste part de taxes ?
De Summerside, à l'Île-du-Prince-Édouard, en
passant
par le Québec et la Saskatchewan, les détaillants chantent
le même
refrain : les entreprises de vente par catalogue ne payent pas leur
juste
part de taxes. Résultat : le fardeau de la
responsabilité
publique pèse démesurément sur les épaules des
marchands
locaux.
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Publicité du
Stettler
Independent, le 1er novembre 1928. Plusieurs magasins
offrent de meilleurs prix que les entreprises de vente par catalogue
!
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Selon la section manitobaine de l'AMD, les
estimations
des taxes d'affaires et foncières du complexe Eaton de
Winnipeg
correspondent à peine à leur valeur réelle. La
Chambre de
commerce de Summerside recommande d'amender l'Acte de
l'Amérique
du Nord britannique afin de permettre au gouvernement provincial
d'imposer
une taxe aux entreprises de vente par catalogue. Quant à la
Independent
Retail Association, elle propose au gouvernement de percevoir des taxes
sur la
vente par catalogue. La section québécoise de l'AMD
suggère
la création d'une taxe de cinq dollars sur tous les
catalogues.
Les accusations contre les entreprises de vente par catalogue, à
l'effet
qu'elles ne se comportent pas en bons citoyens corporatifs, ne se
fondent
pas uniquement sur la nécessité d'équilibrer
l'assiette
fiscale municipale. Les enjeux sont beaucoup plus vastes, notamment le
mode de
vie rural que les petits entrepreneurs des petites villes et leurs
alliés
du Parti de la reconstruction tentent de préserver.
Amis et ennemis des petites villes
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Le
Stettler Independent encourage la fidélité aux
commerçants locaux.
Page
couverture de l'édition du 22 novembre 1928.
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Les marchands des petites villes se considèrent comme
l'épine
dorsale des collectivités rurales environnantes. Leur
vitalité
économique est le miroir de la santé économique et
sociale
de la collectivité tout entière, citadins et villageois
réunis,
dans sa partie urbaine, et résidants des fermes et des forêts
environnantes,
dans sa partie rurale. Les marchands expliquent que le forgeron
achète
des denrées à l'épicerie locale, que
l'épicier
commerce avec l'agriculteur, que celui-ci fait ferrer ses chevaux
chez
le forgeron, et ainsi de suite. L'équilibre économique
est
donc déstabilisé quand une partie de la collectivité
rurale
achète ses produits et ses services à
l'extérieur
du village.
Le résultat mènerait au désastre, du moins
c'est
ce que l'on peut lire dans le Canadian Grocer en
1913 :
Les villes et villages où les affaires stagnent et où les
habitants
satisfont à l'extérieur le plus gros de leurs besoins
sont
morts. Morts socialement, financièrement et intellectuellement. Les
citoyens
ne se font plus confiance et ne s'intéressent plus les uns
aux autres.
Ils ne coopèrent plus. Ils ne s'entraident plus. Ils perdent
leur
esprit d'entreprise, se désintéressent des droits de
leurs
voisins et négligent de prendre soin de leurs proches; bref, ils
sont
devenus indifférents, insouciants et
dégénérés.
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La vision d'une collectivité repliée sur
elle-même
accroît sa méfiance envers les nouveaux venus et les
étrangers,
qui pratiquent une autre religion, ont des antécédents
différents
ou proviennent d'un autre coin du pays. Ils deviennent facilement
repérables.
L'Est contre l'Ouest
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« Achetons
Alberta ! », publicité dans le Red Deer
Advocate du
27 novembre 1929.
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Dans l'Ouest canadien, Eaton et Simpson constituent la cible
idéale
de la grogne des détaillants indépendants. Ces entreprises
sont
grosses, compétitives et, par-dessus tout, elles viennent de
l'Ontario.
Leurs profits retournent inévitablement dans l'Est, au
détriment
des intérêts locaux de l'Ouest. Quelle satisfaction,
pour
un journal de Lethbridge, en Alberta, de dénoncer Eaton qui, durant
la
Première Guerre mondiale, choisit de faire un don à la
Croix-Rouge
de Winnipeg, là où se trouve son siège social
régional,
plutôt que d'encourager la division locale.
Le journal local était l'allié naturel du
détaillant
rural. Tout comme le personnage de Matt Stanley, le journaliste fictif de
la
petite ville du roman Roses Are Difficult Here, de W. O.
Mitchell, les
rédacteurs en chef savent où résident les
intérêts
de leurs journaux : dans les commerces de la rue principale de leur
collectivité.
Ces marchands achètent en effet une grande partie de l'espace
publicitaire
du journal local. Journalistes et annonceurs fraternisent à
l'église,
à la maison, à l'école et au bar du coin.
Le clergé, l'allié des
marchands indépendants
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Le
clergé catholique canadien-français s'oppose à la
représentation détaillée
du corps humain, surtout celui de la femme, dans certains
catalogues. On
incite même les mères à cacher de telles images
à leurs enfants, surtout
aux garçons. Catalogue de Dupuis Frères, 1944,
p. 16.
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Le clergé, protestant comme catholique, est l'allié
naturel
du mouvement des marchands indépendants. Les membres du
clergé
protestant s'affichent en compagnie d'Harry Stevens, du Parti
de
la reconstruction, durant la campagne électorale
fédérale
de 1935. Sans doute sont-ils séduits par la manière dont
Stevens
défend le « monde ordinaire » avec son ton
méthodiste
si typique.
Au Québec, le clergé catholique condamne le catalogue,
symbole
même d'une société de consommation et
d'amour
excessif du confort. Dans certaines pages de ces publications, le corps
humain
est trop explicitement dévoilé. Dépenser pour acheter
les
produits offerts dans le catalogue entrave la nécessaire mission
morale
de placer ses économies à la caisse d'épargne
locale.
On conseille aux ménagères de jeter leur catalogue à
la
poubelle.
Les prêtres catholiques ne sont pas les seuls à
s'opposer
moralement aux entreprises de vente par catalogue. Le pasteur de
l'Église
presbytérienne Knox, de Portage La Prairie, au Manitoba,
écrit
une lettre virulente à la Compagnie de la Baie d'Hudson en
1916,
lorsque celle-ci publie sa liste de prix des spiritueux vendus par
correspondance,
le jour même de l'entrée en vigueur de
l'interdiction
des ventes d'alcool au Manitoba.
D'un point de vue moral, le catalogue en dérange plus
d'un.
Ce malaise fait partie d'un sentiment général
d'angoisse
tandis que les milieux dirigeants traditionnels des petites villes et des
villages
du Canada voient s'effriter leur autorité.
Conclusion
Il est étonnant de voir à quel point la vente par
catalogue
a pu soulever les passions et comment l'opposition à cette
pratique
nous a fait découvrir un pan de l'histoire canadienne, depuis
le
tournant du vingtième siècle jusqu'à la
période
agitée des années trente.
Le mouvement d'opposition dirigé contre Eaton et Simpson
illustre
l'étendue du malaise social dans le monde rural à une
époque
où les intérêts et les préoccupations des
grandes
villes dominent de plus en plus le Canada. Selon les détaillants,
le contentieux
est d'ordre économique, mais on ne peut en négliger
les aspects
moraux (cléricaux) et politiques. Cette controverse est au
cœur de
l'ascension et de la chute du politicien Harry Stevens. Avec lui se
sont
apparemment érigées et effondrées la fortune et les
aspirations
des petites villes et villages du pays.
Les historiens citent souvent en exemple les Canadiens français
qui,
du début au milieu du vingtième siècle, ont dû
adapter
leur mode de vie traditionnel au rythme de la vie urbaine et industrielle
au
prix de nombreux tourments, frustrations et épreuves.
L'histoire
de l'opposition à la vente par catalogue nous rappelle que
les Canadiens
anglais des collectivités rurales ont eux aussi connu des temps
difficiles
quand commencèrent à briller sur eux les lumières
vives
des grandes villes.
Sources documentaires
D'ARCY, Hande. « Saskatchewan Merchants in the Great
Depression:
Regionalism and the Crusade against Big Business ».
Saskatchewan
History, 43 (1), hiver 1991, p. 21-33.
MARCHAND, Suzanne. Rouge à lèvre et pantalon. Des
pratiques
esthétiques féminines controversées au Québec
de
1920-1939. Montréal, Hurtubise, collection « Les
Cahiers
du Québec », 1997.
MOROD, David. Store Wars: Shopkeepers and the Culture of Mass
Marketing,
1890-1939. Toronto, University of Toronto Press, 1996.
Report of the Royal Commission on Price Spreads. Ottawa,
Imprimeur
de Sa Très Excellente Majesté le roi, 1935.
RUDIN, Ronald. « Alphonse Dejardins
et le
marketing des caisses populaires, 1900-1920 », dans La
culture
inventée. Les stratégies culturelles aux
19e et 20e siècles. Pierre Lanthier et Guildo Rousseau (dir.),
Québec,
I.Q.R.C., 1992, p. 173-186.
WETHERELL, D. G. Main Street and the Evolution of Small Town
Alberta,
1880-1947. Edmonton, University of Alberta Press, 1995.
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