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Pauline
Le Goff, vers 1916.
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Pauline Boutal, illustratrice de mode pour le catalogue
d'Eaton,
de 1918 à 1941
Texte de Louise
Duguay
Pauline (Le Goff) Boutal (1894-1992) a
été illustratrice
de mode pendant 23 ans pour la compagnie d'arts graphiques Brigdens of
Winnipeg,
dont l'activité principale était d'illustrer
l'édition
que la maison Eaton destinait à sa clientèle de
l'Ouest.
Introduction | La
maison d'arts graphiques Brigdens of Winnipeg | La
période
d'apprentissage chez Brigdens | Le milieu de
travail
| L'esprit d'équipe
créateur
| La réalisation du catalogue La technique
universelle
du dessin de mode | À chaque nouvelle saison, sa
mode
| Suivre les courants en vogue | La
coopération
entre les membres de l'équipe de production | Le découpage
d'un patron d'après les dessins du catalogue | La
présentation de l'ensemble du catalogue |
La mise en page des dessins | Conclusion | Sources
documentaires
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Introduction
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La
famille Le Goff, vers 1910-1912. Apparaissent sur la photo,
de gauche à droite, Marie, Pauline, Suzanne, Louise (la
mère), Antoine
et Jean-François (le père).
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Pauline Boutal, est née à
Lanhouarneau,
en Bretagne, en 1894. Elle accompagne sa famille qui émigre au
Manitoba
en 1907. Très jeune, elle est initiée à l'art par son
père
et son grand-père, tous deux peintres verriers. À 15 ans,
elle
obtient son premier emploi : apprentie typographe au journal Le
Nouvelliste,
de Saint-Boniface. Elle y signera ses premières caricatures.
Dès
1911, elle suit des cours au Winnipeg Art Club, puis au Winnipeg School of
Art.
En
1916-1917, elle fait un séjour de 18 mois en France, où elle
épouse
Arthur Boutal. À son retour au Manitoba, elle se cherche un emploi
dans
le dessin de mode.
Au début du siècle, au moment où Pauline Boutal
s'intéresse
à l'illustration, les matériaux imprimés et
illustrés
envahissent le marché. Il est difficile d'imaginer aujourd'hui
l'ampleur
du phénomène de l'illustration. La popularité des
revues
illustrées de cette époque est comparable à celle du
multimédia
d'aujourd'hui. Pour Boutal, exercer un métier dans les arts
graphiques
représente une possibilité de carrière très
réelle,
car les artistes, autant les hommes que les femmes, y sont bien
rémunérés.
C'est ainsi qu'en février 1918 Pauline Boutal se
présente
à la compagnie d'arts graphiques Brigdens. Tout permet de
croire
qu'elle aurait eu un portfolio qui reflétait les
méthodes
d'illustration du temps. La jeune femme, alors âgée de
22
ans, est qualifiée pour devenir illustratrice de mode.
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La maison d'arts graphiques Brigdens of Winnipeg
C'est en 1914 que la compagnie Brigdens de Toronto ouvre une
succursale
à Winnipeg afin d'illustrer l'édition du
catalogue
que la maison Eaton destine à sa clientèle de l'Ouest.
Il
s'agit d'une production monumentale; aussi Brigdens of
Winnipeg doit-elle
embaucher de 60 à 100 artistes en plus de retenir les services
d'artistes
spécialisés de Chicago et de New York.
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La période d'apprentissage chez
Brigdens
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Pauline
Boutal au travail, 1947.
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En principe, lorsque Brigdens embauchait un jeune
artiste,
celui-ci devait acquérir de l'expérience avant même de
pouvoir
utiliser ses talents, autrement dit, il devait faire diverses tâches
pour
grimper les échelons. Par exemple, John Phillips, un contemporain
de Pauline
Boutal avec qui il a travaillé de nombreuses années, se
souvient
de ses propres débuts à l'agence, de cette
période
durant laquelle sa fonction se limitait à changer l'eau d'aquarelle
utilisée
par les artistes. Quant à Philip Surrey, il a commencé dans
cette
maison comme balayeur de planchers durant les années 1920. Pauline
Boutal
fut donc avantagée par sa formation artistique. Après une
très
brève période d'apprentissage de six semaines,
à deux
dollars par semaine, la jeune femme se mérite une place parmi les
artistes
de premier rang et obtient un salaire hebdomadaire de dix dollars. On met
à
sa disposition un bureau, à la différence du groupe
d'artistes
qui travaillent dans les rangées de compartiments d'une salle
commune.
Le personnel de Brigdens lui donne le titre de « Madame
Boutal ».
Cela n'est pas surprenant puisqu'elle est d'origine européenne,
française,
que Paris est le centre mondial de la mode et que, justement, elle revient
d'un
séjour en France. D'ailleurs lorsque Phillips lance sa propre
compagnie,
Phillips & Gutkin, en 1947, il inclut une photo de Boutal dans son
affiche
publicitaire et y ajoute la légende suivante :
« Pauline
Boutal : Fashion Consultant ». « Nous
éprouvions
alors, soutient Phillips, l'impression qu'une personne comme
Madame
Boutal ajoutait un certain prestige à une compagnie d'arts
graphiques. »
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Le milieu de travail
Faire partie des artistes employés par Brigdens promettait
d'être
une expérience enrichissante. Pauline Boutal affirme en avoir
côtoyé
de nombreux dont les talents étaient divers, tels Fritz Brandtner,
Charles
Comfort et Eric Bergman. Dans cette agence régnait un climat
respectueux
entre la direction et les artistes. En général, ces derniers
y
travaillaient huit heures par jour, sauf pendant les deux périodes
de
travail intensif nécessité par la préparation de
l'édition
d'un catalogue. De fait, pendant les périodes moins
occupées,
la direction de la compagnie, soucieuse de ne pas perdre ses bons
artistes, réglait
les frais de leur inscription à la Winnipeg School of Art. Par ce
geste,
la compagnie s'assurait non seulement de leur loyauté, mais aussi
de leur
retour chez elle, riches d'une plus grande expertise. C'est
ainsi
que Boutal a profité de la généreuse pratique de son
employeur
pendant six ou sept années.
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L'esprit d'équipe
créateur
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Deux
collègues de travail de Pauline Boutal. Vers 1930-1940.
Dessin
au crayon sur papier.
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Naturellement, l'esprit créateur ne se
limitait
pas uniquement au travail. Il existait, selon certains artistes, un esprit
de
camaraderie entre les membres du personnel. John Phillips se rappelle que
les
artistes participaient à des matches de football organisés
dans
les corridors. Barbara Cook Endres, de son côté, se souvient
de
joutes de hockey disputées entre les rangées de tables
à
dessin. Les artistes aimaient également se jouer des tours. Par
exemple,
ils créaient, chacun à tour de rôle, des caricatures
humoristiques,
dont ils étaient eux-mêmes l'objet. Philips ajoute
qu'il
« était plutôt agréable de travailler chez
Bridgens
même si les horaires de travail étaient fort
chargés ».
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"Mrs
Boutal leaves for the Drama Festival !". Vers 1934-1938.
Aquarelle
sur papier, ouvre d'un certain Jones. Ce petit dessin d'humour, fort
probablement de Dora Ligertwood Jones, montre Pauline Boutal au moment
où celle-ci, chargée de bagages, s'apprête à
monter à bord d'un train
pour aller assister à un festival de théâtre.
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La réalisation du catalogue La technique
universelle
du dessin de mode
Si Pauline Boutal se spécialise dans le dessin de mode pour
vêtements
de femmes, c'est qu'elle utilise une technique alliant
méticulosité
et précision, et fait preuve d'une grande maîtrise du pinceau
et
du dessin à l'encre. Les silhouettes féminines devaient en
effet
être représentées de façon
élégante
et leur contour, bien défini par une ligne sûre et
précise.
Le dessin, caractérisé par des gradations de lavis
créant
des ombres, devait en quelque sorte sculpter les mannequins en produisant
une
profondeur d'espace. Même les robes de tous les jours étaient
présentées
d'une façon idéalisée et aussi soigneusement
illustrées
et colorées que les robes de soirée.
Pauline Boutal devait suivre les tendances normalisées dans
l'illustration
de mode, c'est-à-dire cette forme étirée du corps
d'un ratio
de 1 à 8, qui est la signature du dessin de mode. En dépit
de toutes
ces exigences techniques, elle devait créer des illustrations
à
la fois réalistes et détaillées tout en leur donnant
éclat
et vivacité. Elle avait une connaissance solide de l'anatomie
humaine.
John Phillips se souvient qu'elle ne copiait pas de dessins, mais qu'elle
en
créait suivant son imagination. Il mentionne qu'elle avait
une mémoire
photographique et qu'elle pouvait, simplement en voyant une personne, la
reproduire
en plein mouvement par un simple geste. D'ailleurs, la rue était
souvent
une source d'inspiration pour ses dessins de mode.
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À chaque nouvelle saison, sa mode
Chaque nouvelle saison amenait sa propre mode qu'il fallait traduire en
dessins.
Pauline Boutal, pendant les 23 années passées à
exercer
le métier d'illustratrice de mode, a dû ajuster ses dessins
aux
silhouettes changeantes des mannequins. Au début de sa
carrière,
durant les années 1910, les catalogues montraient des
modèles à
la taille petite et au corps bien sculpté. Par contraste, pendant
les
années 1920, la mode préconisait un profil droit, sans
taille,
des cheveux courts et ondulés. Ce style populaire d'illustrations
montrait
des jeunes femmes aux grands yeux, aux lèvres petites,
soigneusement tracées
en forme de coeur, à la tête couronnée de coiffures
apprêtées.
De plus, les modèles devaient avoir l'air en santé, le teint
clair
et frais, et pourtant demeurer le reflet de la petite amie d'à
côté !
Quant à la femme des années 1930, elle est un être
d'action.
Son allure est évoquée par des silhouettes en mouvement,
mises
en situation à l'extérieur du foyer.
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Suivre les courants en vogue
La tendance dans le dessin de la mode destiné aux catalogues
était
de suivre les courants en vogue dans les grandes revues. À cette
fin,
Brigdens mettait les plus récents journaux de mode et diverses
revues
populaires à la disposition de ses artistes. Ces derniers devaient
tenir
compte des accessoires, des thèmes et de l'allure de la
saison avant
d'aborder la production artistique d'un nouveau catalogue. Ainsi, Pauline
Boutal
devait se tenir au courant des dernières modes, y compris les
nouvelles
coupes de cheveux, le style de maquillage et même des accessoires
tels
que souliers, sacs à main, gants, etc.
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La coopération entre les membres de
l'équipe
de production
Le catalogue n'aurait pu voir le jour sans l'étroite
coopération
des membres de l'équipe de production. Pendant les périodes
très
occupées de sa préparation, la charge
d'exécuter les
dessins de mode était répartie entre les artistes et
même
fragmentée, de sorte que les illustrations étaient
exécutées
à la chaîne. Edith Benson (Bolterill), qui a travaillé
à
l'agence avec Pauline Boutal pendant les années 1930, disait
qu'elle
se comptait bien chanceuse de pouvoir dessiner les têtes quand on en
lui
donnait l'occasion, car elle ne faisait normalement que les jambes,
sa
spécialité. Quant à Boutal, elle dessinait les
silhouettes
féminines.
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Le découpage d'un patron
d'après les
dessins du catalogue
Le catalogue d'Eaton, par ses représentations
détaillées
des articles offerts et la précision de ses dessins, permettait aux
consommateurs
de faire des choix sans qu'ils aient à se rendre en personne
au
magasin pour y voir la marchandise. En fait, Pauline Boutal et les autres
dessinateurs
devaient illustrer si clairement chaque vêtement qu'une
couturière
aurait pu couper un patron d'après leurs oeuvres. Il est amusant de
noter
que, dans les villages où le catalogue d'Eaton était
la seule
source d'achats, on pouvait savoir si la voisine avait commandé sa
nouvelle
robe de ce magasin. « Les gens, écrit le journaliste
John Brehl,
savaient combien un tel avait payé pour un article, car tous
recevaient
un exemplaire du catalogue d'Eaton. Ainsi, après un mariage
ou une
rencontre sociale, les femmes s'empressaient-elles de retourner
à
la maison pour vérifier le prix des nouveaux chapeaux et des
nouvelles
robes que portaient les autres. »
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La présentation de l'ensemble du
catalogue
Le directeur artistique se chargeait de l'ensemble du catalogue et de
la présentation
graphique de chacune des pages. Une fois la mise en page
déterminée,
il communiquait ses idées aux illustrateurs et la production
était
lancée.
D'abord, chaque nouveau catalogue proposait un thème selon
l'époque
et la saison. Par exemple, le thème floral, illustré par des
vignes
et des fleurs, domine le catalogue de 1925. Le thème
géométrique
de 1927 apparaît en lignes et en formes dans l'édition
de
cette année-là. Le thème de Hollywood des
années
1930 est recréé dans la publication en plaçant des
silhouettes
dans des bulles, tout comme on présentait alors les vedettes de
cinéma,
ou encore en ajoutant des étoiles à
l'arrière-plan.
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Trois
robes pour fillettes sur fond de vignes. Catalogue d'Eaton,
Winnipeg, printemps-été 1925, p. 64.
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La
nouvelle mode pour dames et fillettes. Catalogue d'Eaton,
printemps-été 1927,
[s. p.]
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La
mode féminine se fait romantique et seyante. Catalogue
d'Eaton,
Winnipeg, automne-hiver 1933, p. 2.
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L'influence
d'Hollywood sur l'art de présenter la mode féminine.
Catalogue
d'Eaton, Winnipeg, automne-hiver 1934, p. 5, 24.
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La mise en page des dessins
Ensuite, chaque page du catalogue était traitée comme une
affiche
et on accordait une attention particulière à l'espace noir
et blanc,
à l'emplacement des titres, aux descriptions, embellies par une
calligraphique
soignée, aux prix et aux dessins de l'arrière-plan. Les
dessins
dominaient l'espace de certaines pages décrivant les services
supplémentaires
ou prodiguant des conseils sur l'entretien et l'achat de
quelques
articles.
Enfin la mise en page des dessins montrait des mannequins de taille
diverse,
adoptant des poses variées, répartis harmonieusement sur la
surface
de la page. C'est alors que Pauline Boutal exécutait de
nombreuses
petites esquisses, d'environ cinq ou six centimètres (deux pouces),
sur
du papier calque, en prenant parfois comme modèles des
collègues
de travail. Elle dessinait des silhouettes de femmes, seules ou en groupe,
qui
occupaient le premier plan, tandis qu'un décor représentant
une
vie quotidienne idéalisée (par exemple, une maison luxueuse
de
banlieue ou un édifice moderne du centre-ville) apparaissait
à
l'arrière-plan. Elle organisait et réorganisait les dessins
jusqu'à
ce qu'elle en soit satisfaite de la composition. Si le directeur
artistique n'aimait
pas le résultat, tout était à recommencer. À
la fin
de la journée, le plancher était recouvert d'un tas de
papiers
froissés et de dessins rejetés. La communication entre le
directeur
artistique et les artistes s'avérait essentielle. Par
ailleurs,
le choix des idées et des thèmes pouvait prendre des
semaines de
délibérations, de discussions et de dessins
préliminaires.
Les artistes spécialisés de Brigdens aspiraient à
reproduire
des illustrations de la meilleure qualité; la compagnie Eaton avait
raison
d'être fière de son catalogue.
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Conclusion
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Pauline
Boutal à sa table à dessin, 1950.
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C'est grâce au
succès
de la maison Brigdens de Winnipeg et à son important contrat
passé
avec la compagnie Eaton pour la production de son catalogue que Pauline
Boutal
a pu se distinguer comme artiste et poursuivre une carrière
d'illustratrice
de mode pendant 23 ans. De cette époque passée dans cette
agence,
Pauline Boutal se disait « chanceuse » :
« Je
travaill[ais], ajoutait-elle, comme artiste-mode à la
préparation
du catalogue d'Eaton, ce qui me
permet[tait] enfin de libérer mon art. »
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Sources documentaires
Baker, Marilyn. The Winnipeg School of
Art :
The Early Years. Winnipeg, Winnipeg, Gallery 1.1.1. / School of Art,
University
of Manitoba Press, 1984, 135p.
Bocquel, Bernard. « Pauline Boutal, artiste-peintre,
poète
des couleurs : Entre nous II », La Liberté
(Saint-Boniface),
23 janvier 1974, p. 9.
Brehl, John. « Centennial Story - Eaton's :
Canada's
Family Store », Winnipeg Tribune, 22 février
1969,
p. 51.
De Roussan, Jacques. Philip Surrey.
Montréal,
Lidec, collection « Panorama », 1968, 40p.
Entrevues de l'auteure avec Marilyn Baker (1998) et John Phillips
(1997).
Ruttan, Susan. « At 80, Madame Boutal
still
a working artist », Winnipeg Tribune, 24 juillet 1976,
p.
B362.
The 1927 Edition of the T. Eaton Co. limited
Catalogue
for spring and summer. Introduction de Jack Stoddart, Toronto, Musson
Book
Co., 1971, 408p.
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