Ce round au syndicat ! La célèbre
grève
des employés de Dupuis Frères en 1952
Texte de John
Willis
En 1952, la grève au grand magasin Dupuis
Frères
menace d'ébranler la loyauté de longue date
vouée
à cette institution et par son personnel et par sa
clientèle. C'est
le magasin de la rue Sainte-Catherine qui est le plus perturbé,
mais les
employés affectés à la vente par catalogue sont
également
touchés par le conflit de travail qui ne sera pas résolu
avant
trois mois.
Introduction | L'évolution
du contexte historique au Québec | Le
prélude
| En grève | La direction rend
les coups.
| Provocations mutuelles | De la
provocation
à la violence | La lutte devant les
tribunaux |
Le mouvement syndical à la rescousse | Le
conflit s'accentue. | Dupuis décide de
négocier.
| La fin de la grève | Sources
documentaires
Introduction
À minuit, le 2 mai 1952, les employés de Dupuis
Frères,
un grand magasin de Montréal très actif dans la vente par
catalogue,
se mettent en grève. Celle-ci durera près de trois mois et
ce sombre
épisode constituera un chapitre important de l'histoire des
relations
de travail au Québec et au Canada.
Quelque 1200 travailleurs participent à la grève. La
plupart
oeuvrent au magasin de la rue Sainte-Catherine, tandis que de 200 à
300
sont employés au service de vente par catalogue, à
l'entrepôt
de l'entreprise, dans le quartier Saint-Henri. Aux deux
emplacements, le
personnel est majoritairement constitué de femmes, de ferventes
militantes
syndicales. Il s'agit d'une évolution relativement
nouvelle
dans l'histoire de l'entreprise qui, depuis la création
de
l'association des employés, en 1919, n'avait jamais
connu
de conflit de travail sérieux, mais qui n'avait pas non plus
signé
de convention collective officielle. Ce nouvel esprit de militantisme
syndical
témoigne bien du climat de l'après-guerre et des
changements
au sein même du magasin Dupuis Frères.
L'évolution du contexte historique au
Québec
La période qui suit immédiatement la fin de la Seconde
Guerre
mondiale est l'une des plus agitées dans le domaine des
relations
de travail. Lors d'une série de grèves spectaculaires,
les
syndicats s'opposent à la partie patronale dans
l'industrie
de l'amiante (1949); les usines de textiles de Louiseville
(1952-1953);
à Shawinigan (au début des années 1950) et à
Murdochville,
la ville du cuivre (1957). Dans chaque cas, l'employeur est leur
cible
principale. Il en existe cependant une deuxième : Maurice
Duplessis,
le premier ministre unioniste du Québec, élu une
deuxième
fois à ce poste en 1944 et qui y restera jusqu'à sa
mort,
en 1959.
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Talking
Union, de Frederick B. Taylor, 1950. Huile sur toile.
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À la fin des années 1940 et durant les années
1950, la
Confédération des travailleurs catholiques du Canada (CTCC)
vient
renverser les rôles face au patronat en modifiant la signification
sociale
du catholicisme. Jusque-là, le syndicalisme catholique était
présenté
comme un moyen d'harmoniser les relations entre employeurs et
employés.
C'est-à-dire entre possédants et démunis. Il
s'agit
dorénavant de réclamer justice pour les travailleurs.
La justice, voilà ce que cherche le syndicat dans le cas de
Dupuis
Frères, dont les employés sont représentés par
la
CTCC. Les chefs de file de la grève, par exemple, Jean Marchand, le
secrétaire
général de la Confédération,
n'hésitent
pas à pointer du doigt ce grand magasin montréalais qui se
présente
comme un symbole religieux et nationaliste du Canada français, et
qui
nie la légitimité de la CTCC. Peu après l'appel
à
la grève, Henri Pichette, l'aumônier de
l'organisation
syndicale, encouragera ainsi les grévistes de Dupuis :
« Votre
grève est votre croix syndicale et chrétienne, et sachez la
porter
vaillamment jusqu'au bout, envers et contre tous. »
Le prélude
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Roland
Chagnon, directeur du magasin Dupuis Frères. Formé
à l'École
des hautes études commerciales de Montréal, Chagnon est un
ancien
administrateur
du magasin à rayons Le Syndicat. Il s'est joint à Dupuis
Frères à titre
de secrétaire-trésorier en 1947. Il devient gérant
adjoint du magasin
l'année suivante, puis est nommé par la suite au conseil
d'administration.
Éventuellement,
il est nommé directeur du magasin au départ de L.-J. Dugal,
en 1950. Le
Duprex, vol. 13, no 4, juin 1947, p. 135.
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Le militantisme du syndicat catholique est
l'une
des facettes du changement. Une autre est la manière dont Dupuis
Frères
gère ses affaires et mène sa publicité. Le magasin de
Montréal
a été entièrement reconstruit et agrandi vers la fin
des
années 1940. Un service de radiodiffusion en magasin a
été
installé et de nouveaux gadgets publicitaires, adoptés.
Ainsi,
de gigantesques ballons, soufflés à l'hélium,
hauts
de 9,75 mètres et arborant l'immense logo de Dupuis, flottent
au-dessus
du magasin. On orchestre l'arrivée du père Noël
en hélicoptère;
le bonhomme est accompagné de six elfes, des personnes de petites
tailles,
embauchées pour l'événement.
Cette nouvelle philosophie de gestion chez Dupuis Frères est le
fait
de Roland Chagnon, un diplômé de l'École des
hautes
études commerciales de Montréal. Chagnon, qui souhaite
moderniser
et rationaliser l'entreprise, est prêt à
congédier
des centaines d'employés pour parvenir à ses fins.
En octobre 1950, les employés de Dupuis Frères
s'adressent
à la Commission des relations de travail du Québec dans le
but
de créer un syndicat qui serait leur seul agent négociateur
légal.
Puisque la direction à l'intention de changer les
règles
du jeu, ils veulent mettre en place un processus de négociation
officiel
des relations de travail afin de défendre leurs
intérêts
des employés.
La lecture des procès-verbaux des réunions du bureau
syndical
révèle un écart grandissant entre employeur et
employés.
Le bureau se réunit habituellement au magasin de la rue
Sainte-Catherine.
En octobre 1950, la plupart des registres et des archives sont
déménagés
dans un édifice de la CTCC, rue de Montigny. Plusieurs semaines
plus tard,
tous les membres du bureau syndical font une visite de courtoisie à
la
direction, qui les reçoit à bras ouverts et leur promet sa
totale
coopération. Quand l'un des administrateurs de
l'entreprise
demande quelle serait l'attitude du syndicat après sa
reconnaissance
officielle, on lui répond que ce serait la négociation
d'une
convention collective.
Le syndicat et l'entreprise ont manifester de bons sentiments,
ils se
préparent en fait à un affrontement. En janvier 1951, le
syndicat
obtient sa reconnaissance officielle des autorités provinciales de
Québec.
En mars, il présente à la direction un projet de convention
collective.
L'entreprise lui réplique en proposant de diviser le
personnel en
deux et en offrant des conventions séparées aux
employés
du magasin et à ceux du service de vente par catalogue. Les
négociations
s'embourbent et piétinent durant un an. La direction
hésite
à accepter la demande syndicale de n'embaucher que des
travailleurs
syndiqués.
À la fin d'avril 1952, le syndicat présente un
deuxième
projet de convention collective que la direction rejette. Les 30 avril et
premier
mai sont menées cinq séances-marathons de
négociations.
Le premier mai, exaspérés par l'absence de
progrès,
les employés votent en faveur de la grève.
En grève
Le 2 mai, première journée de la grève, à
l'ouverture
des portes du magasin, plus de 1000 personnes, dont 100 grévistes,
s'engouffrent
en cinq minutes dans l'établissement, par
l'entrée
principale. Le syndicat pensait prendre l'entreprise au
dépourvu.
Il se trompe : de 50 à 200 détectives privés
sont déjà
sur place pour y maintenir l'ordre. Les policiers municipaux restent
à
l'extérieur, certains à cheval, avec l'ordre de
disperser
les groupes de dix personnes et plus.
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Premier
jour de grève - Ligne de piquetage, devant Dupuis, rue
Sainte-Catherine,
Montréal.
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Raymond Dupuis était
arrivé
sur les lieux un peu avant minuit, la veille, afin de diriger les
opérations.
Quelques douzaines de personnes, des collègues cadres, des
gestionnaires
de l'entreprise et des employés non syndiqués,
l'y
avaient rejoint. Des autobus ont été prévus pour
amener
les employés non syndiqués au magasin et les conduire chez
eux
en toute sécurité. Un tunnel souterrain est utilisé
pour
transporter les employés et les marchandises à un
entrepôt
voisin.
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La direction rend les coups.
La direction est déterminée à garder le magasin
ouvert
à tout prix et offre donc aux clients prêts à franchir
les
lignes de piquetage un rabais de 20 % sur leurs achats. On estime que
50 000
consommateurs, à l'affût de bonnes affaires, magasinent
chez
Dupuis, le deuxième jour de grève. De pleines pages de
publicité
sont achetées dans les quotidiens The Montreal Star et
La Presse. Puis, Dupuis lance le magasinage libre-service, une
pratique
qui lui permet de fonctionner avec main-d'œuvre réduite.
À
son avis, il établit ainsi un nouveau modèle de vente au
détail
dans les grands magasins.
Le libre-service, c'est bien beau, mais Dupuis a encore besoin
d'un
minimum de commis en poste chaque jour. On téléphone aux
employés
en grève pour les encourager à venir travailler. On engage,
à
temps partiel, des étudiants de l'École des hautes
études
commerciales. L'entreprise sollicite même l'embauche de
commis
par le biais des haut-parleurs du magasin durant les heures
d'ouverture.
Provocations mutuelles
Au début de la grève, guère aisé de choisir
un
gagnant. Le syndicat rend difficile, voire embarrassant, aux
employés
et aux clients, l'accès au magasin. Une jeune femme est
arrêtée
parce qu'elle harangue les passants qui tentent probablement
d'entrer
dans l'établissement et qui va même
jusqu'à cracher
sur eux. Deux adolescents sont arrêtés pour avoir
distribué
des autocollants en faveur de la grève. Les murs et les
fenêtres
des immeubles du secteur sont recouverts de centaines
d'autocollants.
Les deux parties tentent d'obtenir l'appui du public par la
voix
des grands médias. Le 4 mai, troisième jour de la
grève,
Gérard Picard, président de la CTCC, passe à la radio
et
donne sa version des événements. Les colonnes des quotidiens
sont
remplies de communiqués de presse et de déclarations
présentant
la version du syndicat et celle de la direction. Les deux parties
utilisent les
quotidiens pour faire circuler des rumeurs destinées à
déstabiliser
l'adversaire : les communistes font de l'agitation sur
la ligne
de piquetage; l'entreprise offre 20 $ aux employés qui
reprennent
leur emploi; Dupuis est prêt à vendre l'entreprise
à
des intérêts américains.
De la provocation à la violence
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À cheval,
les policiers de Montréal contiennent les mouvements des
grévistes.
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Jusqu'au 9 mai, l'entreprise
réussit
plutôt bien à attirer les clients au magasin par sa politique
de
rabais. La situation change quand s'aggravent les échanges
entre
le syndicat et la direction.
Un jeune fauteur de troubles syndical, Michel Chartrand, adopte la
stratégie
de lâcher des souris blanches dans le rayon de lingerie
féminine.
Les petites bêtes, affolées par l'explosion
répétée
des pétards, courent partout dans le magasin, provoquant le chahut.
L'ordre
est difficile à rétablir.
Les détectives de l'entreprise et des policiers
détiennent
et brutalisent quelque peu des journalistes venus couvrir
l'événement.
L'un d'eux doit leur promettre de remettre volontairement ses
négatifs
photographiques. Un autre, qui voit ses carnets de notes
confisqués, est
escorté vers la sortie et avisé ne pas revenir. Le jour
suivant,
des grévistes réussissent de nouveau à entrer dans le
magasin,
où ils paradent en criant des slogans. Un manifestant est
frappé
au cou. Témoins de la scène, des femmes se mettent à
hurler
et la police doit intervenir.
Dehors, sur la ligne de piquetage, les tempéraments
s'échauffent
lorsqu'un contremaître du garage de Dupuis tente de heurter
des grévistes
avec son automobile et les attaque plus tard avec une chaîne. Le 14
mai,
les grévistes entrent de nouveau dans le magasin et y
libèrent
des abeilles et des grenouilles. Neuf arrestations sont effectuées.
Deux
jours plus tard, les premières bombes puantes explosent à
l'intérieur.
À l'entrée principale, une mêlée
éclate,
impliquant manifestants, détectives et policiers. Les
grévistes
refusent de reculer et une femme fond en larmes.
Le même jour, vers 22 h 30, une foule s'assemble
à
l'extérieur pour tenter de retarder le départ du
personnel
après la fermeture du magasin. Ils lancent des pierres sur les
autobus
qui arrivent pour recueillir les briseurs de grève. Plus de 200
policiers
sont sur place; certains, à cheval. Le trafic est ralenti dans la
rue
Sainte-Catherine et de nombreux badauds assistent aux
événements.
Ces rassemblements surviennent maintenant tous les soirs. Au début
juin,
la foule se masse encore dans la rue quand on procède à des
arrestations
des deux côtés de la ligne de piquetage.
Le 19 mai, les autorités policières informent la presse
qu'elles
ont reconnu plusieurs communistes dans la foule à
l'extérieur
du magasin. Le lendemain, l'entreprise publie un communiqué
exprimant
ses préoccupations au sujet de la présence de communistes
parmi
les avocats et les journalistes à l'emploi de la CTCC.
Quelques
jours plus tard, le président de la Confédération
accuse
Dupuis d'utiliser des méthodes soviétiques dans son
traitement
de la grève. Attaquer les rouges fait partie de la stratégie
de
communication des deux côtés de la ligne de piquetage. La
guerre
froide bat son plein.
La lutte devant les tribunaux
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« Notre
grève est légale. », proclame l'affiche.
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Éventuellement, le combat se
déplace
devant les tribunaux. Le 14 mai, le syndicat commence à distribuer
un
tract « Pourquoi nous sommes en
grève ». Le lendemain, Dupuis dépose une demande
d'injonction
contre ce syndicat affilié à la CTCC qui a publié le
tract.
Le document, allègue la direction, est à la fois calomnieux
et
diffamatoire. Dupuis est surtout indigné par le fait qu'on y
affirme
que les prix ont été relevés de 20 % avant
l'annonce
du rabais spécial du même montant faite peu après le
début
de la grève.
Quelques jours plus tard, Dupuis demande une deuxième
injonction. L'entreprise
reproche au syndicat sa campagne de calomnies et de diffamation. Elle vise
certains
agitateurs et tente de faire interdire toute intimidation, perturbation,
attaque
verbale et manifestation. L'injonction mentionne
spécifiquement
les dommages aux fenêtres et aux cadenas, de même que
l'intimidation
pratiquée près de l'entrée principale du
comptoir
postal, à Saint-Henri. C'est là un signe que la
grève
touche également le bâtiment réservé à
la vente
par catalogue. Si, par cette injonction, la direction de Dupuis tente de
dissoudre
la stratégie d'encerclement du syndicat, elle
reconnaît, par
la même occasion, l'effet négatif des lignes de
piquetage
sur ses opérations commerciales.
Sur le coup, la cour rend un jugement favorable à
l'entreprise,
puis reconnaît éventuellement le respect des limites
juridiques
par les méthodes employées par le syndicat. Alors que les
procédures
juridiques battent leur plein, le syndicat cherche à élargir
la
base de son appui populaire.
Le mouvement syndical à la rescousse
En mai, la Transport Drivers Union, le Trades and Labour Congress of
Canada,
la Quebec Federation of Labour et la Canadian Brotherhood of Railway
Employees
accordent tous leur appui aux grévistes. Le Conseil central de
Montréal
de la CTCC demande aux conseillers municipaux sympathiques à la
cause
des syndiqués de s'enquérir de la fréquence de
la
brutalité policière. La CTCC s'adresse même au
président
de la National Boxing Association pour qu'elle dissuade le
prestigieux
athlète Joe Louis de faire une apparition publique prévue
à
l'intérieur du magasin Dupuis. Le célèbre
boxeur ne
s'y montrera pas.
Le 30 mai, un vaste rassemblement a lieu au Palais du Commerce. On y
fait
la lecture d'un télégramme d'appui du syndicat
des
employés d'Eaton, à Toronto. Gérard Picard, le
président
de la CTCC, promet que la grève se poursuivra jusqu'à
la
victoire. Jean Marchand déclare aux 5000 personnes présentes
que
les grands détaillants de 1952 se conduisent comme des seigneurs
féodaux
qui exploitent leurs paysans. Les conférenciers encouragent la
foule à
poursuivre son boycott de Dupuis Frères.
Le conflit s'accentue.
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La
fine fleur policière de Montréal à cheval, à
l'extérieur du magasin
Dupuis.
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Le 10 juin, la grève entre dans sa
troisième
phase; elle durera jusqu'au 21 juillet. Les relations entre la police, les
manifestants
et la direction du magasin dégénèrent. Un camion de
Dupuis
est renversé. Le
11 juin, une vitrine du magasin est brisée, une mêlée
se
déclare et une cinquantaine de policiers est appelée en
renfort.
Treize arrestations sont effectuées le soir du 13 juin,
après que
les grévistes eurent brisé une fenêtre du magasin et
lancé
des pétards sur les employés en service montant à
bord des
autobus les ramenant à la maison. La police procède
même
à des arrestations quand les manifestants commencent à
chanter
trop fort.
Le 16 juin, deux grandes vitrines du magasin sont brisées. Puis,
quatre
jours plus tard, trois autres volent en éclats. Deux
grévistes
sont arrêtés pour avoir troublé l'ordre public.
Pour
le plus grand plaisir de tous, un homme à cheval trotte le long de
la
rue Sainte-Catherine, une provocante parodie de la police montée de
Montréal.
Sans vraiment amplifier la réalité, Gérard Picard
déclare
à La Presse : « La grève,
c'est
la guerre. »
Une autre grand rassemblement a lieu le 19 juin. Le
député libéral
Dave Rochon se dit en faveur de la poursuite du boycott de Dupuis. Un
conseiller
municipal, Lucien Croteau, va jusqu'à clamer que
Montréal
n'a jamais connu une telle période de liberté et une
telle
latitude dans l'expression des idées.
La grève reprend pied dans les rues durant le
défilé
de la Saint-Jean-Baptiste, le 24 juin. Près d'un million de
spectateurs
assistent au défilé; parmi eux, des grévistes de chez
Dupuis.
Une vingtaine de femmes passent devant l'archevêque de
Montréal
et lui lancent : « Les grévistes de Dupuis
Frères
vous honorent, monseigneur. » D'autres groupes de
grévistes
sont moins polis : le maire Camilien Houde est couvert
d'œufs
pourris.
Dans l'histoire des luttes syndicales au Québec,
l'été
1952 est marquant.
Six grèves ont lieu en même temps. Le gouvernement provincial
subit
des pressions; on peut penser qu'il a peut-être
persuadé la
direction de Dupuis de retourner à la table de négociations,
ce
qu'elle fait. Les négociations se poursuivent jusqu'au
2 juillet,
lorsqu'elles tombent à nouveau dans l'impasse. Voici
comment
un article du Star décrit la situation :
« L'entreprise
se dit incapable d'accorder une augmentation ou une
rétroactivité
salariale. Elle n'a pas offert un sou. Voilà qui règle
tout.
Ses représentants ont remis leur chapeau et sont
sortis. »
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Petite
foule de grévistes et de sympathisants à l'angle des rues
Sainte-Catherine
et Parthenais. Ils peuvent se procurer de la nourriture et des
colas au restaurant Louis. La taverne voisine leur offre aussi à
manger.
Le syndicat exploite une cantine à proximité avec un mince
budget de
50 $ par jour pour quelque 900 grévistes.
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Dupuis décide de négocier.
Quelques jours plus tard, le 8 juillet, Raymond Dupuis reçoit
une lettre
d'un partenaire de la société de relations
industrielles
Hurteau et Desmarais. Hurteau conseille à Dupuis de faire preuve de
plus
de souplesse à l'endroit des grévistes, de montrer
davantage
de générosité d'esprit à leur
égard.
Il rappelle à Dupuis que la récente grève à la
National
Breweries n'a donné à l'entreprise qu'une
victoire
à la Pyrrhus : après la fin de la grève, dans
laquelle
le syndicat avait été défait, l'entreprise a
connu
un déclin de popularité et une baisse de ses ventes. Dupuis
peut
s'attendre à la même attitude négative de la
part de
sa clientèle. En outre, la direction du magasin doit conclure une
entente
acceptable avec les syndiqués. Selon Hurteau, après la fin
de la
grève, Dupuis pourra renouveler la structure de communication au
sein
de l'entreprise. Syndicat et direction apprendront à mieux
s'entendre.
La fin de la grève
Quelque chose ou quelqu'un doit céder, et c'est ce
qui
arrive le 20 juillet, quand Dupuis modifie son personnel cadre. Roland
Chagnon
est congédié et Émile Boucher, un homme populaire
auprès
du personnel, retrouve ses anciennes fonctions. En quelques jours, une
nouvelle
convention collective est rédigée avec le syndicat.
La grève se termine officiellement lors de
l'assemblée
réunissant les 900 grévistes, le samedi 26 juillet.
Accueilli chaleureusement,
Raymond Dupuis déclare : « Après de si
nombreuses
semaines d'une triste séparation, la maison Dupuis sera
très
heureuse de vous souhaiter la bienvenue lundi matin. »
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Les
figures souriantes annoncent le retour au travail des grévistes de
Dupuis. Remarquez le grand nombre de travailleuses. Ferme et
satisfaite poignée de main entre le président du syndicat,
Gérard Picard, à gauche,
et Raymond Dupuis (le propriétaire), à droite.
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La grève est terminée, les haches sont enterrées.
Le
syndicat et la direction ne sont plus en guerre. Les employés de
Dupuis
peuvent retourner au travail. Le magasin et le comptoir postal de Dupuis
Frères
peuvent de nouveau se consacrer pleinement à la satisfaction de sa
fidèle
clientèle canadienne-française. Entre-temps, le reste du
Canada
français peut travailler à la transformation tranquille de
sa vision
du monde et au façonnement des choses à venir.
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Album
familial syndical, souvenir de la grève de Dupuis. La plupart
des organisateurs de la grève, des membres et de la section locale
du syndicat et du personnel de la Confédération, figurent
dans ce
montage.
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Sources documentaires
Les quotidiens, entre autres, Le Devoir, The Montreal Star,
La
Presse, constituent de bonnes sources de renseignements sur la
grève.
Le journal syndical (CTCC), Le Travail, est également
utile.
On peut aussi trouver de l'information dans les archives de la
Confédération
des syndicats nationaux de Montréal (CSN) et dans le fonds Dupuis
Frères
des archives de l'École des hautes études commerciales
(HEC),
à Montréal.
ROUILLARD, Jacques. « Major Changes in the
Confédération
des travailleurs catholiques du Canada, 1940-1960 », dans M. D.
Behiels
(dir.), Quebec since 1945. Toronto, Copp Clark, 1987, p. 111-132.
SAURIOL, Marguerite. « La grève de 1952 ».
Cap-aux-Diamants,
n° 72, hiver 2003, p. 95.
Syndicat national des employés du commerce de Montréal
(CTCC).
« Pourquoi ils sont en grève ? Un document sur les
relations
patronales-ouvrières à la Maison Dupuis Frères
Ltée ».
Montréal, Syndicat national des employés de commerce de
Montréal,
[1952].
VADEBONCOEUR, Pierre. « Dupuis Frères,
1952 »,
dans En grève: L'histoire de la CSN et des luttes menées
par
ses militants de 1937 à 1963. Montréal, Éditions
du
Jour, 1963.
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