|
|
Du sur mesure au prêt-à-porter - Le
vêtement
féminin dans le catalogue d'Eaton, de 1884 à 1930
(page 2)
<< Page 1
|
Introduction | « Tout
pour faire vos propres vêtements » | « …
ou nous le ferons pour vous. » | « Des
corsets aux collets : le moins cher et le meilleur » |
« Des
robes de maison et d'après-midi conçues pour
être seyantes »
| « Voici la Boutique ! » |
Conclusion
| Sources documentaires
|
« Des corsets aux collets : le moins
cher
et le meilleur »
Dans ses premiers catalogues, Eaton admet que la plupart des
vêtements
et des chapeaux sont faits sur mesure - à la maison ou
à
l'atelier -, mais il offre tout de même des
pièces spécialisées
toutes faites, difficiles à coudre, par exemple les gants, les bas,
les
corsets et les collets, ainsi que des vêtements qui n'exigent
aucun
ajustement, comme les vestes, les capes et les sous-vêtements.
Quand le magasin crée son catalogue, en 1884, il existe
déjà
plusieurs manufactures canadiennes qui produisent ces vêtements.
Eaton
importe également, des États-Unis et de Grande-Bretagne, des
sous-vêtements
prêts-à-porter et des accessoires.
Eaton comprend que beaucoup de ses clientes n'ont pas
l'habitude
de commander des vêtements par la poste sans les examiner. Dans le
catalogue,
il leur promet donc qu'elles obtiendront non seulement des articles
de
qualité aux plus bas prix, mais à la toute dernière
mode :
« Un personnel de jeunes dames, au goût sûr en
matière
de mode, s'affaire, votre lettre en main, jusqu'à ce
que votre
commande soit entièrement remplie, et donne aux acheteuses
éloignées
l'avantage d'une connaissance approfondie des modes dernier
cri.
Elles magasineront pour vous mieux que vous-même le
feriez. »
|
|
|
|
Les
corsets de marque ACME. 1907. Ces corsets sont
« manufacturés
et vendus exclusivement par Eaton. » Remarquez la nouvelle
silhouette
à la
mode, inclinée vers l'avant, et le large buste. Catalogue d'Eaton
automne-hiver
1907-1908, p. 139.
|
|
|
|
|
|
Eaton possède un avantage sur ses
concurrents
dans l'offre de ces vêtements. Il propose une
variété
de marchandises beaucoup plus grande que les magasins
spécialisés
des villes ou des magasins généraux des régions
rurales.
Ses produits sont également moins chers. L'entreprise
achète
directement du manufacturier, évitant l'intermédiaire.
Dès
les années 1890, elle réduit encore les coûts en
créant
ses propres manufactures : « Nous contrôlons la
confection
des vêtements dans nos propres manufactures. Chaque étape
jusqu'à
la finition et à la livraison des vêtements chez vous vise
à
vous faire
économiser. »
Contrairement à bien des magasins qui acceptent de faire
crédit,
Eaton s'unit à d'autres détaillants progressifs
pour
offrir une politique de remboursement : « Notre garantie
d'articles
satisfaisants ou l'argent remis avec tous les frais de
transport. »
Aujourd'hui, nous avons l'habitude de retourner nos achats
contre
remboursement mais, à la fin du dix-neuvième siècle,
ce
service témoignait de l'audace des détaillants et
séduisait
les clients.
|
« Des robes de maison et
d'après-midi
conçues pour être seyantes »
À la fin du dix-neuvième siècle,
sous-vêtements,
manteaux et accessoires prêts-à-porter sont offerts sur le
marché,
mais robes et tailleurs sont toujours faits à la maison ou
confectionnés
chez une couturière. Lentement mais sûrement, Eaton convainc
ses
clientes d'acheter leurs robes, puis tout leur habillement par
catalogue.
Le grand magasin commence, dans les années 1890, à
proposer
des robes de jour décontractées, appelées
« robes
de maison ». Il s'agit de modèles d'une
seule pièce,
qui tombent librement des épaules et qu'on ressert à
la taille
par une ceinture ou un cordon. Ces robes sont conçues pour
être
portées à la maison. Une version un peu plus chic, la robe
d'après-midi,
est portée pour recevoir des amies. Comparativement aux 20 mesures
et
plus qu'exigent les vêtements faits sur demande, seules la
mensuration
du buste et la longueur sont nécessaires pour les robes de maison
et d'après-midi.
|
|
|
Robes
pour femmes et fillettes. 1895. Bien que ces robes soient plus
ordinaires qu'une tenue de soirée, elles conservent les larges
manches à la
mode et une petite tournure sous la jupe. Catalogue d'Eaton, automne-hiver
1895-1896, p. 26.
|
|
|
|
|
|
Collage
de têtes ! 1901. Remarquez l'introduction d'illustrations
qui combinent une photo de tête et un dessin de corps. Catalogue
d'Eaton,
printemps-été 1901, p. 12.
|
|
|
Dans un article de 1898 intitulé « Tenues
prêtes à
porter », Eaton affirme à ses clientes que ces
vêtements
sont la voie de l'avenir : « Toutes les femmes les
adopteront
tôt ou tard. Il n'y a aucune raison de ne pas acheter, tout
faits,
les tailleurs et les robes de maison et les porter avec
satisfaction. »
À la fine pointe, Eaton explique aussi que les articles sur
mesure
sont maintenant rétrogrades puisque les manufactures produisent
toutes
sortes d'articles tout faits, prêts à acheter :
« Dans
le passé, souliers et sous-vêtements, chapeaux et vestes
étaient
faits sur mesure, comme l'étaient vos meubles par un
ébéniste.
La vie s'écoulait alors au ralenti et des idées
confuses
embrouillaient le commerce. »
|
|
|
|
Des
chemisiers pour tous les goûts. 1902. Catalogue d'Eaton,
printemps-été 1902,
p. 22.
|
|
|
|
|
|
Un autre vêtement qui se prête fort bien aux incursions du
prêt-à-porter
est le « haut » ou la blouse. Ce vêtement
décontracté
devient très populaire chez les femmes qui osent sortir de la
maison et
vaquer à de nouvelles occupations, comme les dactylographes et les
téléphonistes.
En outre, puisque les femmes commencent à pratiquer des sports, le
tennis
et la bicyclette, par exemple, elles ont besoin de vêtements
lavables plus
confortables.
Des blouses, faites de coton solide, sont les plus
décontractées
et sont conçues pour ressembler à des chemises
d'hommes.
Elles se vendent habituellement à moins de 1 $. Les blouses
plus
luxueuses, en soie et en coton fin (batiste), coûtent de 1,50 $
à
3 $. Une blouse blanche, jumelée à une jupe en laine
noir
uni, devient le style caractéristique de la femme au travail. En
outre,
à 4,50 $, cette tenue est abordable.
|
|
|
Ensembles
de printemps pour jeunes filles. 1908. « Nos modistes
font
de fréquentes visites pour rapporter le dernier cri de Londres,
Paris
et New York. » Catalogue d'Eaton, printemps-été
1908, p. 26.
|
|
|
|
« Voici la
Boutique ! »
Eaton ne tarde guère à se lancer dans la vente de
prêt-à-porter
chic. Dès le début du vingtième siècle, le
catalogue
présente des illustrations de tailleurs prêts-à-porter
pour
les excursions ou les activités sportives. Contrairement aux
tailleurs
offerts par le service sur mesure, on les achète déjà
faits.
Les clientes envoient leurs mesures et Eaton choisit la taille la plus
proche.
À l'époque, la variété de tailles
à
choisir était plus grande qu'aujourd'hui et chaque
détaillant
avait ses propres normes pour les tailles. Eaton reconnaît
l'importance
de l'ajustement pour la femme à la mode. Jusqu'en 1915,
les
vêtements féminins sont parfaitement ajustés à
la
forme du corset et quelque ampleur aurait gêné. Des mesures
exactes
étaient essentielles.
L'évolution de la mode après la Première
Guerre
mondiale accélère l'acceptation du
prêt-à-porter
féminin. La robe corsetée à la taille, bien
dessinée,
fait place à une forme mince et simplifiée, qui culmine avec
la
tunique « délurée » des années
1920.
Il n'est plus nécessaire d'ajuster les robes au corps
-
ou plutôt au corset. Elles tombent librement des épaules et,
par
conséquent, la taille perd de son importance. En 1918, les femmes
n'ont
plus besoin d'envoyer leurs mensurations, mais peuvent choisir la
couleur
et la taille d'après un tableau normalisé, comme ceux
d'aujourd'hui.
|
|
|
|
Changement
de silhouette. 1918. Durant la dernière année de la
Grande Guerre,
la silhouette à la mode se modifie radicalement, avec
« des lignes
sobres pour conserver patriotiquement autant de tissu que
possible ».
Catalogue d'Eaton, automne-hiver 1918-1919, p. 33.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Nouveaux
modèles de corsets. 1919. Les nouveaux corsets allongent la
silhouette. Catalogue d'Eaton, printemps-été 1919,
p. 141.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Se
donner une allure jeune. 1925. L'allure jeune est à la mode.
Catalogue d'Eaton, printemps-été 1925, p. 25.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Tenues
de camouflage. 1925. Pour une allure jeune, il faut camoufler
la largeur des hanches. Catalogue d'Eaton printemps-été
1925,
p. 107.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Un
large éventail de tailles. 1929. Remarquez les tailles :
de 14 à 20 (buste : de 32 à 38 pouces). Catalogue
d'Eaton,
automne-hiver
1929-1930, p. 20.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
La
mathématique des mesures masculines et féminines.
1918. Catalogue
d'Eaton, automne-hiver 1918-1919, p. 547.
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
La
rayon de la vente par correspondance du magasin de Toronto. 1930.
Catalogue
d'Eaton, automne-hiver 1930-1931, p. 2.
|
|
|
|
|
|
Les pages de la mode prêt-à-porter se multiplient
rapidement;
la section sur les articles de couture diminue et on la relègue aux
dernières
pages. De plus en plus de femmes achètent leurs vêtements
tout faits.
Le catalogue du grand magasin comble tous leurs besoins vestimentaires.
Dans les années 1920, la chapellerie subit la même
évolution
par l'introduction de la cloche. Au lieu de la structure en fils
métalliques
compliquée des lourds chapeaux de la Belle Époque, la cloche
est
faite d'un simple cône à peine orné. La cloche
est
parfaite pour la production manufacturée. Dans le catalogue, la
section
de chapellerie propose des styles baptisés de leurs propres noms
que les
femmes peuvent commander, car ils sont prêts à porter. En
1923,
Eaton élimine son service de commande de chapeaux sur mesure et
ferme
ses ateliers de chapellerie.
Avec la simplification des vêtements féminins, qui rend
les ajustements
superflus, on ne considère plus nécessaire la
couturière
professionnelle. Les chapeaux, façonnés à la machine
et
garnis simplement, ne requièrent plus de chapelière experte.
Les
manufactures de vêtements prolifèrent, tandis que plusieurs
des
anciennes couturières sur mesure y trouvent de l'emploi.
Le prêt-à-porter est moins cher que le sur mesure, une
aubaine
pour les consommatrices. Toutefois, cette nouvelle tendance ruine les
couturières
et les chapelières. En 1911, on comptait plus de 10 000
couturières
et
5000 chapelières en Ontario. Dix ans plus tard, il n'en
restait
que la moitié. Vers le milieu du vingtième siècle,
ces occupations
sont presque désuètes. L'industrie du
prêt-à-porter
crée plusieurs nouveaux emplois pour les femmes dans les
manufactures
de vêtements, mais la grande confection à la main est
éliminée. |
Conclusion
Aujourd'hui, quand on choisit un vêtement dans un catalogue
ou
qu'on magasine du prêt-à-porter dans un grand magasin,
on
se souviendra que la plupart des composantes de l'habillement
étaient
taillés sur mesure lorsque le magasin Eaton a lancé son
service
de vente par correspondance en 1884. Comme tous les grands
détaillants
de l'époque, ce grand magasin gagne graduellement, mais
sûrement,
sa clientèle au prêt-à-porter. Les femmes, tout
particulièrement
dans les régions rurales, sautent sur l'occasion de
s'épargner
l'obligation de coudre leurs propres vêtements ou de payer une
couturière.
En 1924, Eaton leur promet un service rapide : « Envoyez
votre
commande et voici votre robe ! » Le magasinage par
catalogue
était devenu moderne.
|
Sources documentaires
BATES, Christina. « Creative Ability and Business Sense: The
Millinery
Trade in Ontario », dans Framing Our Past: Canadian
Women's
History in the Twentieth Century. Sharon Anne Cook, Lorna R. McLean
et Kate
O'Rourke (dir.) Montréal et Kingston, McGill - Queens,
2001.
GAMBER, Wendy. The Female Economy: The Millinery and Dressmaking
Trades,
1860- 1930. Urbana, Ill., University of Illinois, 1997.
KIDWELL, Claudia et Margaret C. CHRISTMAN. Suiting Everyone: The
Democratization
of Clothing in America. Washington, Smithsonian Institution, 1974.
|
|
|
|