Les exclusions fondées sur la race
Universalité limitée Exclusions raciales Lélimination des restrictions raciales Lélimination de la discrimination |
Létape suivante verra lélimination des restrictions fondées sur la race et la religion, dont certaines sont en vigueur depuis de nombreuses années. Ce sera également une période dinnovation en matière daccessibilité au suffrage, car des changements législatifs et administratifs viendront faciliter le vote encore davantage. Lentre-deux-guerres est marqué par une montée de ressentiment envers certains groupes minoritaires au Canada. Une certaine méfiance envers les « étrangers » persiste depuis la Première Guerre mondiale. Comme il arrive souvent en période de difficultés économiques, ce sentiment se transforme en véritable hostilité pendant la grande dépression des années 1930, exacerbant les conflits sociaux qui découlent de la rareté des emplois et des ressources. Finalement, lavènement de la Seconde Guerre mondiale provoquera une animosité accrue envers certains groupes raciaux, particulièrement les Canadiens dorigine japonaise. En raison de ces puissants courants sociaux, certains groupes continuent dêtre privés du droit de vote pour des motifs liés à la race ou à la religion. Beaucoup de Canadiens et Canadiennes ordinaires semblent accepter la situation tout naturellement. Cependant, et cest tout à leur honneur, des députés de tous les partis sopposent au racisme et à linjustice sociale dans des discours passionnés aux Communes. Mais dans le climat dintolérance qui règne alors, particulièrement dans les années 1930, leurs paroles nauront guère décho. Après la Seconde Guerre mondiale, les Canadiens semblent se rendre compte quils ont mal agi envers un grand nombre de groupes minoritaires, et la tendance à lexclusion des années antérieures commence à se renverser. En 1960, les mesures dexclusion fondées sur la race ou la religion auront été éliminées. Parallèlement, des changements législatifs et administratifs permettent à un nombre croissant de Canadiens dexercer leur droit de vote de diverses façons.
Lune des exceptions importantes au suffrage universel des adultes prévue dans lActe des élections fédérales de 1920 est une disposition stipulant que toute personne privée du droit de vote dans une province « à cause de sa race » est privée du même droit au niveau fédéral. En 1920, une seule province, la Colombie-Britannique, exclut à cause de leur race de nombreuses personnes qui seraient autrement aptes à voter. En effet, la Colombie-Britannique ne reconnaît pas le droit de vote aux personnes dorigine japonaise ou chinoise, de même quaux « hindous », expression quon applique alors à quiconque vient du sous-continent indien et nest pas dorigine anglo-saxonne, peu importe quil soit de religion hindoue ou musulmane, ou de toute autre religion. La Saskatchewan exclut également du suffrage les personnes dorigine chinoise, mais le nombre de personnes ainsi exclues y est beaucoup moins élevé quen Colombie-Britannique.
Cette discrimination date de longtemps en Colombie-Britannique; lorsque la province sest jointe à la Confédération en 1871, 61,7 % de sa population était dorigine autochtone ou chinoise, contre 29,6 % dhabitants dorigine britannique. Les mesures visant à exclure du suffrage les Autochtones et les personnes dorigine orientale ont été élargies à mesure que limmigration sintensifiait vers la fin du XIXe siècle.
Discrimination légale Cette exclusion sera contestée en 1900, dans laffaire Homma, mais en 1903 le Comité judiciaire du Conseil privé du Royaume-Uni (qui, à lépoque, est linstance de dernier recours du Canada) confirmera que lassemblée législative de la Colombie-Britannique a le droit de décider qui peut voter aux élections provinciales.
Ce déni du droit de vote a des répercussions de grande portée, car en vertu de la législation provinciale, les personnes qui veulent exercer les professions de pharmacien et davocat, de même que les fonctionnaires municipaux et provinciaux, doivent être inscrits sur les listes électorales. En conséquence, les Canadiens dorigine japonaise et chinoise se voient refuser laccès à ces professions et ne peuvent pas non plus passer de marchés avec les administrations municipales, qui ont les mêmes exigences.
Même le service militaire nouvre pas droit au suffrage. Après la Première Guerre mondiale, lassemblée législative de la Colombie-Britannique décide, à lissue de longs débats, de ne pas accorder le vote aux anciens combattants dorigine japonaise, et encore moins à dautres Canadiens japonais. Certains dentre eux avaient voté à lélection fédérale de 1917, en vertu de la Loi des électeurs militaires. Leur exclusion au niveau provincial ne les excluait pas du suffrage fédéral. Lors du débat sur la législation électorale de 1920, cependant, Hugh Guthrie, solliciteur général de lépoque, exprime clairement ses objections :
Il affirme quil ne sagit pas de discrimination, mais tout simplement du fait, pour le gouvernement, de reconnaître les exclusions imposées par la loi de toute province pour des motifs liés à la race.
En 1936, une délégation de Canadiens japonais se rend à la Chambre des communes pour demander le droit de vote. Le Premier ministre Mackenzie King répond quil ignorait que les Canadiens japonais désiraient avoir le droit de voter. Le député A.W. Neill de la circonscription de Comox-Alberni, qui compte une importante population canado-japonaise, affirme que cette requête nest que du verbiage sentimental. Un autre député de la Colombie-Britannique, Thomas Reid, laisse entendre que toute cette histoire est un complot pour permettre au gouvernement japonais dinstaller des espions en Colombie-Britannique. La requête, évidemment, est refusée.
Pendant la guerre, à la suite de lattaque de Pearl Harbor, des Canadiens dorigine japonaise sont expulsés ou internés. En 1944, le gouvernement fédéral modifie lActe des élections fédérales pour refuser le droit de vote aux Canadiens japonais qui ont été forcés de quitter la Colombie-Britannique pour sinstaller dans des provinces où ils nétaient pas traditionnellement exclus du suffrage. Lélargissement au reste du Canada des exclusions raciales appliquées en Colombie-Britannique provoque de vives réactions chez certains députés dautres provinces. Clarence Gillis, député de la Fédération du commonwealth coopératif (CCF) de Cap-Breton-Sud, affirme :
Le député libéral Arthur Roebuck, de Toronto-Trinity, déclare :
Mais tous les députés ne partagent pas ces idées. A.W. Neill est en faveur de lexclusion, affirmant quon « évacue ces gens de la Colombie-Britannique et on les dissémine dans tout le Canada comme une épidémie de variole [...] Le Canada est un pays habité par les Blancs et nous voulons quil en soit toujours ainsi. » Lélimination des restrictions raciales Le premier ministre Mackenzie King nie que cette politique soit raciste : un Canadien japonais qui a vécu en Alberta avant 1938 ne perdra pas son droit de vote, affirme-t-il; la mesure sapplique uniquement aux Canadiens japonais qui ont quitté la Colombie-Britannique pour sinstaller en Alberta après 1938. Les évacués, ajoute-t-il, « sont encore citoyens de la Colombie-Britannique » et, à ce titre, assujettis aux lois de cette province même sils ny résident plus (Débats, 17 juillet 1944, 5098 et sq.).
Après la Seconde Guerre mondiale, les députés les plus âprement anti-japonais perdent leur siège en faveur de députés plus modérés, et lopinion publique commence à changer. Les restrictions sur les déplacements et dautres restrictions visant les Canadiens japonais sont maintenues jusquen 1948, année où le Parlement élimine les mesures de discrimination raciale en matière de droit de vote. Le débat est bref, occupant une seule colonne du Journal de la Chambre des communes le 15 juin 1948. Cette forme particulière de racisme électoral relève désormais de lhistoire, mais il va sécouler encore au moins une décennie avant que certains Autochtones accèdent au droit de vote.
Les exclusions fondées sur la religion Divers groupes religieux sont privés du droit de vote par la Loi des élections en temps de guerre de 1917, surtout parce quils sopposent au service militaire. Les plus connus sont les Mennonites et les Doukhobors. La mesure dexclusion est levée à la fin de la Première Guerre mondiale, mais ces deux groupes font lobjet, par la suite, de traitements très différents sur le plan électoral. Les Mennonites, immigrés au Canada dans les années 1870, sont exemptés du service militaire par un décret du 3 mars 1873, mais perdent leur droit de vote pendant la Première Guerre mondiale parce quils parlent une « langue ennemie » (lallemand). Ils sont à nouveau admis au suffrage en 1920, lorsque lActe des élections fédérales remplace la Loi des élections en temps de guerre. Les Mennonites suscitent peu de xénophobie, car leur mode de vie leur permet de bien sintégrer aux collectivités agricoles des Prairies. Les Huttérites et les Doukhobors sont la cible dune plus grande animosité, non pas à cause de leurs croyances pacifistes, mais parce quils pratiquent lagriculture communautaire. Les Huttérites ont immigré au Canada en provenance des États-Unis en 1918, pour éviter le service militaire obligatoire. Sils soulèvent une certaine opposition locale là où ils sont établis, ils attirent peu lattention, en général, et votent rarement.
Il nen est pas de même des Doukhobors. En 1917, puis de 1934 à 1955 (année où sera levée linterdiction de voter pour les objecteurs de conscience), les Doukhobors se voient retirer le droit de vote aux élections fédérales, en principe parce que leur foi leur interdit de porter les armes. Toutefois, les débats sur la question à la Chambre des communes montrent clairement que les députés favorables à lexclusion des Doukhobors se préoccupent moins du service militaire que des vues sociales et des comportements des Doukhobors.
Le débat entourant lActe des élections fédérales de 1934 révèle notamment les craintes et létroitesse desprit de certains députés de la Colombie-Britannique, par opposition aux députés dautres provinces qui appuient plus largement la liberté de religion. Le député conservateur de Kootenay-Ouest, W.J. Esling, déclare que si les députés dautres provinces vivaient dans sa circonscription, ils seraient aussi disposés que lui à retirer le droit de vote à cette secte religieuse. Un autre député conservateur, futur ministre de la Défense nationale, Grote Stirling, affirme que les Doukhobors agissent avec un manque de décence « dégoûtant ». Il est particulièrement offusqué de constater quils « votent en bloc pour les libéraux », sur les ordres de leur leader. A.W. Neill, député indépendant de Comox-Alberni, soutient que les députés favorables à loctroi du droit de vote aux Doukhobors font preuve dun « sentimentalisme maladif ». Lun des députés qui appuient les Doukhobors est J.S. Woodsworth, chef de la Fédération du commonwealth coopératif (CCF). Il fait léloge des Doukhobors pour leur tempérament industrieux, et proteste contre le fait que leurs croyances religieuses servent de prétexte pour leur retirer le droit de vote. Woodsworth et un certain nombre de députés libéraux font valoir que les Doukhobors peuvent difficilement devenir de bons citoyens si eux-mêmes et leurs descendants se voient retirer le droit de vote.
En 1938, lors dune nouvelle révision de la législation électorale, les députés Esling, Stirling et Neill sopposent encore une fois au droit de vote pour les Doukhobors. T.C. Love, député provincial de la circonscription de la Colombie-Britannique où les Doukhobors sont les plus nombreux, affirme que leur accorder le droit de vote « sonnerait la fin de la véritable démocratie dans Kootenay-Ouest » (Vancouver Province, 7 avril 1938). Les Doukhobors ne seront pas admis au suffrage.
Après la Seconde Guerre mondiale, la discrimination raciale et religieuse satténue et les exclusions fondées sur des motifs raciaux sont graduellement éliminées. En 1955, à lissue dune nouvelle révision de la Loi électorale du Canada, la disposition suivante apparaît :
Un député qui aurait consulté « lalinéa h » aurait constaté quil visait les Doukhobors (sans les désigner nommément). Il ny aura aucun débat sur cette mesure, qui éliminera les derniers vestiges de discrimination à lendroit dun groupe religieux dans la législation électorale canadienne. |