Les listes électorales
La nécessité détablir des listes fédérales La confection des listes électorales La publication des listes électorales La première liste électorale permanente |
En plus détablir le poste de DGE, la réforme électorale de 1920 centralise pour la première fois les aspects financiers et logistiques de ladministration des élections fédérales. Le système ainsi transformé comporte néanmoins certaines lacunes, dont quelques-unes ne seront éliminées que dans les années 1980.
Les plus graves de ces lacunes concernent les difficultés que continuent déprouver certaines électrices; lexclusion de certains groupes pour des raisons raciales ou religieuses ou des motifs économiques; et lexclusion dindividus à cause dobstacles administratifs. Cette dernière catégorie comprend un certain nombre dirritants dont beaucoup seront éliminés progressivement entre 1920 et 1982.
Comme cétait le cas avant 1920, la nouvelle loi prévoit que les élections seront tenues en fonction de listes délecteurs admissibles; dans les régions urbaines, on utilisera les listes électorales déjà établies par les provinces, mais dans les régions rurales, on procédera à un recensement. Ces listes soulèvent une certaine controverse : on critique leur mode détablissement, mais également les renseignements quelles contiennent et la façon dont elles sont publiées. Le problème le plus grave linscription des femmes électrices est réglé en 1929, mais les méthodes détablissement, de révision et de publication des listes continueront de faire lobjet de débats et de modifications au fil des ans.
Si lon fait une distinction entre sections de vote « rurales » et « urbaines » et que lon prévoit deux méthodes distinctes pour établir et réviser les listes électorales, cest pour assurer lexhaustivité et lexactitude des listes en milieu rural. À lélection de 1921, en effet, les listes des régions rurales de lOntario sétaient révélées pratiquement inutilisables.
La nouvelle législation stipule donc que dans les sections de vote rurales (les endroits comptant moins de 1 000 habitants), les listes seront « ouvertes ». Des « régistrateurs » expressément nommés à cette fin effectueront un recensement porte-à-porte (on évite de les appeler « recenseurs » parce quà lélection de 1917, les recenseurs avaient été généralement perçus comme partisans). Les électeurs qui nont pas été recensés pourront sinscrire le jour du scrutin en prêtant serment, à condition quun autre électeur se porte garant deux. Dans les sections de vote urbaines, les électeurs qui ne sont pas inscrits sur une liste provinciale doivent présenter une demande dinscription à un régistrateur réviseur qui, dans chaque circonscription, se tient prêt à les inscrire, 10 heures par jour, 6 jours durant. Passé ce temps, les listes électorales urbaines demeurent « fermées » jusquà lélection suivante. Pour justifier cette différence dans le traitement des électeurs, on fait valoir que les régions rurales sont plus difficiles à recenser, et que linscription le jour du scrutin simpose pour protéger le droit de vote des électeurs. Les électeurs en milieu urbain ne pourront profiter de cette mesure quà partir de 1993, lorsque le projet de loi C-114 abolira la distinction entre sections de vote urbaines et rurales.
La distinction entre sections de vote urbaines et rurales savère un obstacle important à lexercice du droit de vote pour de nombreux électeurs. Certaines circonscriptions comptent à la fois des sections rurales et urbaines, et certains électeurs, ne sachant pas dans quel genre de section ils résident, ne prennent pas les moyens nécessaires pour se faire inscrire. En outre, pour ajouter à la confusion, la définition des sections « rurales » est modifiée quelques mois avant lélection de 1921. Dorénavant, les agglomérations comptant une population de moins de 2 500 habitants seront considérées comme « rurales » (le chiffre sera encore modifié à plusieurs reprises par la suite).
Mais la conséquence la plus importante de cette distinction apparaîtra lors de lélection de 1921 : de très nombreuses femmes seront apparemment empêchées dexercer le droit de vote acquis en 1917-1918. Au Québec, par exemple, les femmes nont pas le droit de voter aux élections provinciales. (Alexandre Taschereau affirme même quelles nobtiendront pas le droit de vote tant quil demeurera premier ministre et il conserve son poste jusquen 1936.) Les femmes ne sont donc pas inscrites sur les listes électorales provinciales. Dans les sections de vote rurales, les femmes qui nont pas été recensées peuvent sinscrire en prêtant serment le jour du scrutin; dans les sections urbaines, elles doivent sinscrire auprès du régistrateur à lintérieur de la période prévue. Les conséquences ressortent clairement si lon examine le nombre délecteurs inscrits en 1921. En Ontario, 99,74 % de la population de 21 ans et plus est inscrite; le chiffre correspondant pour le Québec est de 90,55 %. Cette différence de 9 points représente 107 259 personnes. Comme il y a 581 865 femmes de 21 ans ou plus au Québec en 1921, il semble probable que la vaste majorité des électeurs non inscrits sont des femmes, qui sont ainsi empêchées dexercer leur droit de vote dans une élection fédérale. En 1929, la loi est modifiée pour abolir lutilisation des listes provinciales : dorénavant, il sera plus facile pour les électrices du Québec de se faire inscrire sur les listes fédérales, quoiquelles nobtiendront le suffrage au niveau provincial quen 1940.
Ces changements ne se font pas sans protestation. Le chef conservateur Arthur Meighen pense que linscription le jour du scrutin dans les agglomérations de 2 500 habitants ouvre la porte à la fraude. Le ministre libéral Charles G. (« Chubby ») Power est daccord, affirmant que certaines personnes pourraient manifester leur « patriotisme » en votant plus souvent que le nombre de fois jugé judicieux par la loi (Débats, 19 juin 1925). En fait, ces craintes sembleront peu fondées dans les décennies qui suivront.
De 1930 jusquaux années 1990, la plupart des élections fédérales se font à partir de listes établies par des recenseurs pendant la période électorale. Pendant la plus grande partie de cette époque, les recenseurs des régions urbaines travaillent en équipes de deux; en milieu rural, il y a un seul recenseur par section de vote. En milieu urbain, les recenseurs sont nommés à partir de listes de noms présentées aux directeurs du scrutin par les partis politiques dont les candidats se sont classés premier et deuxième dans la circonscription lors de lélection précédente.
Une fois les listes établies, les électeurs particulièrement dans les sections de vote urbaines doivent sassurer que leur nom y est inscrit sils veulent voter. La diffusion des listes permet aux électeurs de vérifier lexactitude du recensement. Dans son rapport de 1925, le colonel Biggar signale que les listes ont été dressées à la hâte, que les listes affichées ont été endommagées par les intempéries ou des vandales, et que de nombreux électeurs non inscrits sestiment victimes de partisanerie. Comme les agents réviseurs sont normalement désignés par les partis, de simples erreurs sont souvent attribuées à la mauvaise foi. Biggar recommande que les listes fassent lobjet dune plus large distribution, pour que les électeurs puissent les vérifier plus facilement.
La publication des listes électorales La deuxième personne à occuper le poste de DGE, Jules Castonguay, signale après lélection de 1930 quil nest pas facile pour les électeurs de protéger leur droit de vote en vérifiant sils sont inscrits sur les listes. Il propose donc que chaque foyer reçoive un exemplaire de la liste électorale de la section de vote pertinente. Cette recommandation finira par être adoptée, mais seulement après lessai dune autre méthode en 1934.
Linnovation de 1934 consiste à expédier à chaque électeur inscrit une carte postale lui indiquant où voter. Le rapport du DGE décrira cependant cette méthode comme très coûteuse, car chaque carte doit être adressée individuellement. La formule des cartes postales est donc abandonnée : de lélection de 1940 jusquen 1982 (année où ces cartes seront réintroduites), les électeurs recevront un exemplaire de la liste électorale montrant les nom, adresse et profession de tous les électeurs inscrits de la section de vote visée.
La première liste électorale permanente Par ailleurs, le gouvernement de R.B. Bennett crée une liste électorale permanente en 1934. Après un dernier recensement, des régistrateurs dans chaque circonscription seront chargés de réviser la liste une fois par année. Toutes les listes, tant en milieu rural quurbain, seront « fermées » et tout électeur omis par inadvertance devra demander à être inscrit pour pouvoir voter. Une première révision annuelle est effectuée et la liste permanente sert à lélection de 1935 mais, à cause de contraintes financières, elle cesse dêtre révisée par la suite. La technologie de lépoque est en effet insuffisante pour surmonter les obstacles logistiques. Lidée est donc abandonnée en 1938 et lon revient à la méthode des recensements.
Les députés qui ont connu le registre des électeurs de M. Bennett le jugent beaucoup trop coûteux et encombrant. Même le directeur général des élections, normalement circonspect dans ses rapports, affirme que la formule napporte aucune amélioration. M. Castonguay déclare pour sa part que la mise à jour de la législation électorale na pas donné les résultats escomptés, et que lexpédition de cartes individuelles aux électeurs est une opération longue et coûteuse. À la suggestion du DGE, le gouvernement décide dexpédier les listes électorales à tous les électeurs, et lidée dune liste permanente ne sera pas reprise avant les années 1980.
Une autre disposition de la législation électorale de 1920 constitue une amélioration importante : des groupes particuliers délecteurs, soit les voyageurs de commerce, les employés des chemins de fer et les marins, pourront dorénavant voter par anticipation dans les trois jours (à lexclusion du dimanche) précédant le jour du scrutin. Même si, pour la plupart des gens, le vote par anticipation apparaît comme une mesure positive, la disposition est contestée dentrée de jeu. Un ancien ministre des Finances, W.S. Fielding, ny voit quun gaspillage dargent. Selon lui, « ce serait pour ainsi dire construire une machine à vapeur pour actionner un canot » au profit dune poignée délecteurs. Le politicien est davis que les employés des chemins de fer et autres devraient voter par procuration. Le secret du vote ne sera pas préservé mais ce nest pas bien grave, dit-il, car de toute façon la plupart des hommes, du moins dans sa province de la Nouvelle-Écosse, ne cachent pas pour qui ils votent (Débats, 13 avril 1920, 1192). Cette réticence face au vote par anticipation persistera pendant des dizaines dannées. En 1934, le vote par anticipation sera accordé aux travailleurs des « aéronefs » (expression utilisée dans la loi jusquen 1960) et aux pêcheurs même si certains députés font remarquer quil est peu vraisemblable que les pêcheurs soient à la maison pendant la brève période de vote par anticipation si elle tombe pendant la saison de la pêche. Le vote par anticipation est accessible uniquement aux électeurs qui prévoient être absents de la circonscription pour affaires le jour du scrutin. Ils doivent prêter serment et obtenir un certificat. Il nest donc pas facile de voter par anticipation, même pour les rares personnes admissibles. Une autre mesure tend à améliorer laccès au processus électoral : cest laugmentation du temps accordé aux employés pour voter. La disposition avait été adoptée pour la première fois en 1915, obligeant les employeurs à accorder à leurs employés une heure pour voter pendant les heures douverture des bureaux de scrutin (en plus de leur heure de repas). En 1920, cette période est portée à deux heures.
Pendant lentre-deux-guerres, le seul nouveau groupe admis au suffrage est celui des résidents des établissements de bienfaisance (qui nétaient pas recensés par le passé, faute dune adresse « domiciliaire »), à qui lon accordera le droit de vote en 1929. Dans lensemble, les deux décennies qui suivent la Première Guerre mondiale seront marquées par des améliorations modestes mais régulières des conditions dexercice du droit de vote.
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