IN MEMORIAM : | (1920-1998) |
Notes biographiques
Éducation et apprentissage | Premières œuvres | Oeuvres monumentales
Mots et images | Bill Reid, 1920-1998 | Son legs
« La culture haïda a été ravagée. La langue des Haïdas a disparu. Leur mythologie a disparu. La généalogie des grandes familles a sombré dans l'oubli. Pour que les Haïdas parviennent à réintégrer le monde des hommes cultivés, ils doivent commencer par le commencement. »
Traduction libre, d'après Bill Reid, cité dans Richard Wright, «The Spirit of Haida Gwaii : La renaissance de l'art haïda», Enroute, mars 1991, p.90« Lorsque Bill Reid a entrepris son exploration de l'art des Autochtones de la côte ouest, il l'a fait comme "homme blanc" qui s'intéressait à un ensemble de problèmes de conception formels. Au fil des années, et c'était peut-être inévitable, c'est en parvenant à divulguer les principes de l'art de la côte ouest que Bill Reid est aussi parvenu à divulguer l'Amérindien qui l'habite. »
Traduction libre, d'après Roger Downey, «Apprentice to a Lost Art», Pacific Northwest, vol.17, no.8 (octobre 1983), p.39
À l'ouverture de l'exposition Le Souffle de l'esprit, Ottawa, 1988
photographie : S. Alsford
Bill Reid est né à Victoria (Colombie-Britannique) en 1920. Quoiqu'il ait ignoré son ascendance haïda jusqu'à l'adolescence, il serait un jour peut-être le plus éminent de tous les personnages qui ont joué dans la renaissance de la culture haïda à la fin du XXe siècle -- culture qui a bien failli disparaître complètement après la colonisation européenne de la terre natale haïda de la côte ouest. Qualifier Bill Reid « d'artiste haïda », cependant, c'est parler moins de ses origines que de la tradition artistique dans lequel il a œuvré.
Bill Reid a bercé dans l'influence de plusieurs cultures pendant ses années formatrices. Son père, William, était un Américain né de parents écossais et allemand. La famille Reid a vécu dans le nord de la Colombie-Britannique, au gré du développement du chemin de fer dans cette région, puisque William exploitait un hôtel à Smithers. La mère de l'artiste, Sophie, était Haïda, mais avait été élevée dans la religion anglicane et avait adopté les valeurs culturelles anglophiles, qui la poussèrent à cacher à Bill Reid ses origines amérindiennes (qui ne lui furent d'ailleurs jamais mentionnées par son père non plus). Peu après que William eût épousé Sophie, il déménagea son hôtel à Hyder (Colombie-Britannique), en frontière de l'Alaska. Sophie, pour son compte, s'installa à Victoria (Colombie-Britannique) pour travailler comme couturière à confectionner des vêtements à la mode pour la haute société de la place. Pendant quelques années, la famille vécut en alternance dans ces deux villes. Bill Reid fit donc ses études dans différentes écoles. C'est d'ailleurs à 12 ans, à l'école, où il s'ennuyait, qu'il a laissé parler pour la première fois ses talents artistiques en taillant des formes minuscules dans des morceaux de craie, y compris un mât totémique et un bateau viking.
Ce n'est qu'à l'adolescence que Bill Reid a appris qu'il était de descendance haïda. Toutefois, il avait déjà été exposé à son insu à l'expression artistique de ses ancêtres, sous la forme des bijoux en or et en argent ornés de motifs haïdas que portaient ses tantes lorsqu'elles rendaient visite à Sophie. Ce n'est que des années plus tard, à l'âge de 23 ans, qu'il s'est rendu à Skidegate, village natal de sa mère, et y a fait la connaissance de son grand-père maternel, Charles Gladstone, et d'autres membres âgés de la collectivité qui se souvenaient encore des traditions haïdas. Bill Reid apprit que son grand-père sculptait autrefois l'argilite et gravait des bracelets en argent; il tenait probablement son art de son oncle, Charles Edenshaw, le grand sculpteur haïda du XIXe siècle, qui lui avait également légué ses outils et que Bill Reid adopterait plus tard comme héros culturel.
Sophie, William père et le jeune Bill Reid (1920) |
L'annonceur à la radio |
Au cours de ses études secondaires, Bill Reid se découvrit un goût pour la littérature romantique, la poésie et la musique classique, mais n'entreprit pas de formation artistique formelle. Après ses études secondaires, il travailla comme annonceur à la radio pour le compte de chaînes locales en Colombie-Britannique et dans l'est du Canada avant d'entrer à la Société Radio-Canada (SRC) à Toronto en 1948. Homme modeste et simple, il ne serait jamais complètement à l'aise avec l'aspect public de la diffusion. Alors qu'il habitait à Toronto, il fut de nouveau exposé au patrimoine haïda lorsqu'il visita la collection de la côte ouest du Musée royal de l'Ontario et y vit notamment un mât totémique provenant de Tanu, le village où sa grand-mère avait vu le jour dans le groupe social du Corbeau. C'est en étudiant ce mât qu'il a commencé à saisir les formes caractéristiques de l'art haïda. Plus tard la même année, alors qu'il approchait de ses 30 ans, il décida de suivre la voie de son grand-père en orfèvrerie et s'inscrivit à un cours de fabrication de bijoux offert par le Ryerson Institute of Technology de Toronto. Il s'intéressait à la conception de bijoux modernes inspirée des créations de Margaret DePatta. Après le cours, alors qu'il travaillait encore de nuit pour la SRC, il se perfectionna en faisant un stage au sein de la Platinum Art Company de Toronto.
À son retour à Vancouver en 1951, il installa un atelier dans son sous-sol et s'y consacra à créer des bijoux lorsqu'il ne travaillait pas à la SRC. Le fait de se retrouver sur la côte ouest renouvela son intérêt pour l'art haïda et il se servit des techniques européennes de fabrication de bijoux qu'il avait apprises pour créer des motifs haïdas. Toutefois, la connaissance des conventions qui sous-tendent l'art haïda avait été perdue; il n'en restait que des échantillons physiques. Il entreprit donc l'apprentissage de ce langage visuel. C'est à cette époque que Bill Reid s'est intéressé particulièrement à l'œuvre de Charles Edenshaw, qui lui avait été révélée pour la première fois sous la forme de deux bracelets en or lors des funérailles de son grand-père en 1954. Il a étudié plusieurs centaines de bijoux en or et en argent réalisés par ce dernier et conservés dans des musées, et copié des illustrations de Contributions to the Ethnography of the Haida, de John R. Swanton, et de Primitive Art, de Franz Boas, ainsi que d'ouvrages de Marius Barbeau sur les mythes et les sculptures en argilite haïdas. En étudiant et en copiant les créations d'Edenshaw, Reid parvint à saisir en partie la dynamique essentielle de l'art haïda. Il découvrit dans l'œuvre d'Edenshaw un reflet vivant de la culture haïda dont la luminosité,
à l'époque de Reid, semblait presque complètement éteinte.
Mâts au musée d'anthropologie de l'UBC (1958-1962) photographie à gauche : Bill McLennan; les autres : Wilson Duff |
Il en vint à participer à des projets de récupération et de restauration de mâts totémiques entrepris par le Musée royal de la Colombie-Britannique (RBCM) et par le département d'anthropologie de l'université de la Colombie-Britannique. C'est d'ailleurs par le biais du Musée qu'il a sculpté le bois pour la première fois dans un cadre professionnel, lorsqu'il a eu brièvement l'occasion de travailler auprès de Mungo Martin, le maître sculpteur kwakwaka'wakw. En 1958, après avoir lu en ondes un bulletin d'informations concernant un projet entrepris par le département d'anthropologie de l'université de la Colombie-Britannique et qui visait la reconstruction d'une partie d'un village haïda -- deux maisons et cinq mâts totémiques -- il postula promptement le poste et se le vit confier. Il démissionna sur le coup de la SRC. Les sculptures qu'il créa au cours de ce projet, achevées en 1962, sont aujourd'hui exposées à l'extérieur du Musée d'anthropologie de l'université de la Colombie-Britannique.