Les constructeurs de yachts - toujours avant-gardistes
n raison de la nature
hautement compétitive des courses de yachts, que ce soit
à l'échelon local, national ou international, les
amateurs de voile embrassent presque avec ferveur les innovations
dans la conception et la technique des petites embarcations.
Constructeurs et propriétaires de yachts s'empressent
d'adopter tout ce qui est nouveau en matière
d'équipement, de matériaux et d'idées. Ils
jouent le rôle de partenaires enthousiastes et non officiels
en recherche et développement. Les constructeurs et les
exploitants de navires marchands ou de bateaux de pêche
mettent plus de temps à tirer parti des mêmes
découvertes. Leurs bâtiments sont leur gagne-pain
et doivent donc leur inspirer une totale confiance. Les nouveaux
moyens de fixation, comme les clous à anneaux, les
nouvelles formes, comme le V profond ou les coques planantes,
et, à une époque plus lointaine, le Bermuda sans
corne ou le gréement Marconi, sont apparus dans les
embarcations de plaisance avant d'être vus dans les bateaux
de pêche. Parmi ces changements de technique, le moindre
n'est pas l'adoption du plastique renforcé à la
fibre de verre, plus communément appelé
« fibre de verre ». Le nouveau matériau
a compté des adeptes parmi les amateurs de bateaux à
voiles et à moteur dès la fin des années
quarante et, au milieu des années cinquante, il avait presque
entièrement supplanté le bois des deux
côtés de l'Atlantique.
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Un bateau de Cape Island très
coloré
Gale, un bateau de Cape Island classique, hivernant
près de Chester Basin (Nouvelle-Écosse). Il a
été construit à Vogler's Cove, en
Nouvelle-Écosse, en 1964, et ses couleurs vives sont
typiques du genre.
(Gracieuseté : David Walker)
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Introduction de nouveaux matériaux
n 1961, la
Nouvelle-Écosse décide d'étudier le nouveau
matériau et d'en promouvoir éventuellement les
avantages auprès des pêcheurs. Le ministère
du Développement industriel de la Nouvelle-Écosse
fait alors construire un bateau de pêche côtier en
fibre de verre. Le contrat est confié à l'entreprise
Atlantic Bridge, de Lunenburg. William Hines, du ministère
des Pêches, est chargé de concevoir le nouveau bateau
du type Cape Island, qu'on baptise à sa sortie de l'atelier,
en 1962, Cape Islander. Le ministère des Pêches
entreprend d'en démontrer les mérites le long des
côtes et permet aux pêcheurs d'en faire l'essai en
utilisant diverses techniques de pêche dans des zones choisies
et dans différentes conditions.
Le bateau ne connaît pas un succès immédiat
malgré une coque homogène et étanche, des
coûts d'entretien peu élevés et d'autres
avantages évidents. Attachés aux traditions,
les pêcheurs semblent peu disposés à accepter
le nouveau matériau. Certains déclarent qu'il rend
difficile les modifications au vaisseau, d'autres affirment qu'il
est trop rigide et met à rude épreuve les jambes
d'hommes appelés à passer de longues heures en mer.
Après quelques années d'essai, le Cape Islander
est envoyé au Liscomb Lodge, propriété de
l'État, et converti en bateau de plaisance pour amateurs de
pêche. Plus tard, il s'ajoutera à la collection du
Musée des pêches de l'Atlantique, à Lunenburg.
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La fibre de verre
a coque du bateau en
fibre de verre est construite dans un moule, comme on moule de
la gelée. D'abord, il faut construire une coque grandeur
nature, appelée modèle, de la forme exacte du
produit fini que l'on souhaite obtenir. Comme le modèle
est jetable, divers matériaux peuvent servir à sa
construction. Quand l'importante surface extérieure du
modèle est terminée, elle reçoit une finition
en vertu des critères désirés. On l'enduit
d'une couche de produit démoulant semblable à de
la cire et applique en couches successives des tissus en fibre de
verre et des mats en fibre de verre; le second matériau est
meilleur marché que le premier et ressemble à du
feutre. Chaque couche est imbibée d'une résine
synthétique, le polymère, qui sèche et durcit.
Quand l'épaisseur désirée est atteinte, on
renforce l'extérieur pour rendre le moule rigide et
autoportant. Puis, on le divise en deux suivant l'axe longitudinal,
du nez à l'extrémité du tableau arrière.
On sépare les deux parties du moule et jette le modèle.
Les bords du moule sont renforcés afin qu'on puisse remonter
celui-ci. La construction d'un bateau peut maintenant débuter
dans le moule remonté dont on aura ciré l'intérieur
en commençant par une couche d'enduit gélifié.
Celle-ci formera le fini extérieur de la nouvelle coque.
Après la pose de couches successives et une fois les produits
chimiques séchés, le moule est démonté et
la nouvelle coque sortie en vue de la finition.
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Ouvriers d'un chantier de construction pour
bateaux en fibre de verre
Ouvriers d'un chantier de construction de bateaux en fibre de verre
qui enduisent le mat en fibre de verre de résine au moyen
d'un rouleau afin de chasser les bulles et de bien imbiber le
feutre.
(Gracieuseté : David Walker)
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Il existe pour produire des coques une nouvelle méthode plus
efficace qui a presque partout remplacé la pose manuelle de
couches successives de tissus et de mats enduits de polymère.
Elle consiste à vaporiser un mélange de résine
et de fils coupés de fibre de verre à l'intérieur
du moule au moyen d'un pistolet spécial. Les deux méthodes
sont parfois combinées.
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La fibre de verre et le bois naturel
a construction de bateaux
en fibre de verre diffère totalement de la construction
traditionnelle de bateaux en bois parce que les matériaux sont
totalement différents. Le bois naturel est remplacé par
des produits chimiques à base d'huile et par du verre à
base minérale. On ne peut établir de comparaison directe
entre les matériaux, tout comme on ne peut établir de
comparaison directe entre les produits finis. Ceux-ci peuvent
paraître identiques, mais le bateau en bois est la somme d'une
multitude de pièces jumelées que des mains
expérimentées ont assemblées avec habileté
après que le bois, les moyens de fixation et les matériaux
de protection ont fait l'objet d'une sélection soigneuse. Par
contraste, la coque en fibre de verre est une entité parfaitement
homogène dont l'armature est dépourvue de fixations,
d'ouvertures et de raccords. Cela signifie qu'un bateau neuf exige
beaucoup moins d'entretien, même si les composants se
dégradent avec le temps à cause des éléments
et du soleil.
Il faut donc choisir entre un produit fiable, traditionnel, qui
nécessite beaucoup d'entretien, et un bateau plus durable,
facile d'entretien, que la plupart des pêcheurs
préfèrent malgré le fait qu'il soit moins
confortable sur l'eau. La coque homogène, plus rigide,
n'épouse pas le mouvement de la mer aussi bien que
l'embarcation en bois. En d'autres termes, les bateaux en fibre
de verre sont moins confortables, mais les vieux pêcheurs
qui ont aimé les bateaux en bois ressentent plus durement
le manque de confort que les jeunes qui ont embrassé sans
restriction la nouvelle technique.
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Détails de construction d'un bateau en bois
Intérieur d'une section d'une épave bordée
à clins, montrant les clous à vis rouillés qui
joignent les bords des planches et attachent les membrures aux
bordés.
(Gracieuseté : David Walker)
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La production commerciale des bateaux en fibre de verrre
près 1962, il
s'écoule presque dix ans avant que quelqu'un en
Nouvelle-Écosse envisage de construire des bateaux en fibre
de verre commercialement. Reginald Ross, de Clark's Harbour, est
fils et petit-fils de constructeurs de bateaux en bois de Clark's
Harbour. En 1971, il lancera son premier bateau de Cape Island en
fibre de verre, l'Enterprises. La longueur hors tout est
de 40 pieds, seulement 8 pour cent de plus que celle du Cape
Islander de l'entreprise Atlantic Bridge, mais le bateau a
gagné presque 20 pour cent dans le sens de la largeur, ce
qui illustre la tendance à la continuité des
constructeurs de bateaux de Cape Island.
Dans l'ancien cinéma Vimy de Clark's Harbour, transformé
pour l'occasion, Ross construit de nombreux bateaux de pêche en
fibre de verre. Fait notable, il engage deux femmes de la place pour
faire partie de l'équipe de production. Ses premières
embarcations en fibre de verre sont petites, non pontées et
ressemblent en plus gros aux bateaux de la région qui
récoltent la mousse d'Irlande. La propulsion est assurée
par un moteur extérieur ou un petit moteur intérieur.
La petite embarcation préfigure un vaisseau plus spacieux et
quand Ross voit qu'elle est bien accueillie, il commence à
concevoir son grand frère. Allant à l'encontre de la
tradition, il jette son projet sur le papier. Il discute ensuite des
plans et de ses idées avec Ernest Atkinson. Les plans de
l'Enterprises sont maintenant exposés au
musée Achelias Smith, à Centreville, dans l'île
Cape Sable.
On ne sait pas comment Ross a exécuté son modèle,
mais dans la plupart des cas un modèle se construit comme un
bateau dont l'extérieur serait suprêmement bien fini.
On reporte d'abord les plans sur un tracé grandeur nature,
au sol, et on taille les gabarits. Ceux-ci sont fixés sur une
pièce solide, semblable à une quille, et recouverts
d'un bordé. Les membrures sont inutiles, car il suffit que le
modèle soit assez stable pour être autoportant.
L'Enterprises suscite un vif intérêt chez
les concitoyens de Ross et bien que les nouveaux bateaux en fibre
de verre coûtent beaucoup plus chers que leurs pendants en
bois, quatorze sont construits dans ce premier moule d'une coque
de Cape Island. Malheureusement, la santé de Ross se
détériore, et il meurt prématurément.
Au milieu des années soixante-dix, J.D. Ross Enterprises,
premier atelier de bateaux en fibre de verre dans l'île,
fermera définitivement ses portes.
Reginald Ross a réussi là où le gouvernement
avait échoué, et les bateaux en fibre de verre du
type Cape Island soulèvent rapidement l'enthousiasme. Des
coques sont bientôt construites à Dartmouth et ailleurs
dans la province. Freebert Atkinson commence à finir des
coques en fibre de verre nues, recourant principalement aux
procédés des charpentiers, mais utilisant du tissu en
fibre de verre et de la résine de polyester pour raccorder et
protéger les parties en bois de l'armature. En 1977, il
connaît suffisamment son affaire pour ouvrir son propre atelier.
Il construit d'abord des coques en fibre de verre qu'il finit
lui-même, puis son entreprise grossit et il s'en tient au
moulage de coques pour d'autres constructeurs.
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Bateaux modernes du type Cape Island
en fibre de verre
Partie de la flotte de Wedgeport, dans le comté de Yarmouth,
composée de bateaux modernes du type Cape Island, en fibre de
verre. Notez l'étrave haute et rectiligne qui caractérise
ces bateaux.
(Gracieuseté : David Walker)
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La soudaine popularité de la fibre de verre sonne le glas
de la construction navale en bois. À l'instar de Freebert
Atkinson, quelques constructeurs de bateaux en bois se recyclent
et apprivoisent les curieux matériaux chimiques. Ils font
un saut dans l'inconnu puisqu'on ne parle pas ici d'une technique
qui a évolué, mais d'un mode de construction
complètement nouveau. Ceux qui sont trop lents à
faire la transition n'ont bientôt plus de clients et ferment
discrètement leurs portes. De temps à autre, un
pêcheur traditionaliste décide de rester fidèle
aux embarcations en bois qui lui inspirent une si grande confiance
et il en commande une, mais la foi dans les coutumes ne suffira pas
à garder vivante la vieille industrie.
À peu près à cette époque naît une
industrie parallèle qui réunira pendant quelques
années les nouveaux et les anciens modes de construction.
En effet, on s'est aperçu qu'en couvrant l'extérieur
d'une coque en bois de résine et de tissus en fibre de verre,
on pouvait prolonger la vie d'un bateau fatigué ainsi que
diminuer les coûts d'entretien. Des pêcheurs moins
fortunés peuvent ainsi bénéficier de certains
des avantages du bateau en fibre de verre, mais à un coût
beaucoup moindre.
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Bateaux modernes du type Cape Island vus de dos
La même flotte de bateaux de Cape Island mais vue de dos,
à Wedgeport.
(Gracieuseté : David Walker)
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De nos jours, les grands cockpits de travail sont ouverts
jusqu'au tableau, car les vastes coques permettent de placer
l'appareil à gouverner compact et hydraulique sous
les ponts. Le petit abri, sur le pont, est maintenant
complètement fermé par des portes coulissantes,
ce qui en fait un poste de barre étanche, chaud et
confortable.
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L'ère de la fibre de verre
fin de répondre
à toutes les demandes des pêcheurs côtiers, la
province entière se lance dans la construction de bateaux
en fibre de verre. Chaque région a ses constructeurs, mais
c'est dans l'île Cape Sable qu'on compte la plus forte
concentration, et les ateliers s'y multiplient à tel point
que des fournisseurs, notamment des fournisseurs de produits
chimiques, y établissent des entrepôts. Le nouveau
mode de production implique que les ouvriers reçoivent une
formation, et l'initiative de Reginald Ross fait boule de neige :
de plus en plus de femmes sont embauchées. On en trouve dans
presque tous les ateliers, endroit où elles étaient
rarement vues autrefois, et elles participent à la production
des bateaux. Avant l'adoption de la fibre de verre, il arrivait que
des femmes aident leur mari à construire les bateaux en bois.
En général, toutefois, elles tenaient les livres de la
petite entreprise ou s'occupaient de tâches administratives.
Maintenant, elles prennent une part active au moulage des coques, et,
par conséquent, à la création du bateau.
Le nouveau matériau permet aux constructeurs progressistes de
modifier la forme des coques et d'apporter des changements que le
bois rendait impossibles ou excessivement chers. On connaît
au moins un esprit innovateur qui a mis au point une méthode
lui permettant de construire des coques en fibre de verre de
différentes tailles dans un seul moule convertible. Fait sans
doute plus important, les formes traditionnelles de la coque de Cape
Island n'ont subi que de légères modifications depuis
l'adoption de la fibre de verre. On a élargi et creusé
la coque et augmenté son déplacement, mais la forme de
base n'a pour ainsi dire pas changé en 60 ans. Les
façons de l'arrière plates de la carène sont la
caractéristique la plus constante, celle qui a survécu
à travers les décennies depuis les premiers bateaux
à moteur construits par Atkinson, Kenney et leurs disciples.
Les nouvelles coques sont cependant presque méconnaissables
aujourd'hui, cachées comme elles sont sous un poste de barre
fermé et moderne érigé sur un gaillard
surélevé dépourvu de tille. Dans certains cas,
on a prolongé le pont plate-forme afin de gagner du volume
sans contrevenir aux règles de calcul des surfaces; dans
d'autres, on a logé une cale frigorifique sous un pont
étanche et ainsi pu équiper le bateau d'un tableau
ouvert. Certaines embarcations de pêche à l'espadon sont
d'une conception presque entièrement nouvelle avec leur tour
et leur balcon situés à l'extrémité d'un
beaupré allongé. Les constructeurs et les
propriétaires n'en revendiquent pas moins fièrement leur
héritage ainsi que l'appellation « bateau de Cape
Island ».
À présent, les bateaux en fibre de verre de Cape Island
règnent en maîtres incontestés de la pêche
côtière. Quel que soit leur aspect, de la modeste
embarcation au style presque traditionnel utilisée surtout pour
la pêche du homard à la construction de haute mer
joufflue, aux formes presque disgracieuses, gréée comme
un senneur, un dragueur à pétoncles, un chalutier, un
palangrier ou un bateau de pêche à l'espadon, ils naviguent
tout le long de la côte est du Canada.
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Bateau non ponté
du détroit de Northumberland
Bateau non ponté du détroit de Northumberland qui
a été converti en drague à pétoncles.
(Gracieuseté : David Walker)
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Les poches en mailles d'acier servent à racler le fond
sablonneux des eaux locales afin de recueillir les coquillages.
Les pétoncles sont ensuite hissés à bord au
moyen du treuil et déversés sur les tablettes
arrières où ils sont débarrassés de
leurs coquilles.
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