Méthodes et matériaux de construction
es bateaux de pêche
en bois à moteur sont construits par les mêmes mains qui
ont donné naissance à leurs prédécesseurs
à voiles ou à rames. Au début, seule la forme de
la coque se modifie, les méthodes et les matériaux
restent les mêmes. On commence invariablement par élaborer
une demi-maquette tridimensionnelle de la coque. Cette sculpture en
bois constitue la lingua franca des constructeurs de bateaux,
héritiers d'une longue tradition de construction navale en bois.
La demi-maquette est taillée avec toute l'adresse que
confère l'expérience des siècles, mais dans un
seul bloc de bois, contrairement aux demi-maquettes des navires en
bois, plus gros, qui sont habituellement réalisées
à partir de couches démontables chevillées en un
bloc homogène. Une fois que le constructeur et le client se
sont mis d'accord sur la forme définitive, tous les points de
la maquette sont reportés sur un tracé grandeur nature,
au sol, et la construction commence. Les bois locaux de diverses
essences sont généralement mis à contribution,
selon la disponibilité : du bois dur pour la quille,
l'étrave, les couples et l'étambot ou le tableau
arrière; du bois tendre pour les bordés, les ponts
et les petites pièces d'armature.
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Bateau du type Cape Island
Bateau du type Cape Island qui mouille dans le port de Stonehurst,
comté de Lunenburg.
(Gracieuseté : David Walker)
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Il a une tille au toit en pente et une bigue gracieuse à
un montant. Notez les casiers à homards qui attendent et
le long cockpit ouvert qui servira à leur transport en
mer lorsque s'ouvrira la saison de pêche.
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Les bateaux sont montés sur une quille en bois dur
composée de l'étrave, de l'étambot, de
l'allonge de voûte et du gousset du barrot arrière.
Ces parties sont d'abord choisies, taillées et
assemblées dans l'atelier et consolidées en
prévision du mouvement. Ensuite, de l'étrave
à l'étambot, la quille reçoit une
série de pièces transversales (gabarits)
temporaires posées à égales distances
les unes des autres et fabriquées d'après les
formes grandeur nature couchées sur le sol à
tracer. Afin de procéder au réglage de ce moule,
on entoure les gabarits de baguettes longues et minces. À
ce stade, l'ordre de construction varie. Certains constructeurs
fixent les bordés sur le moule et habillent
complètement la coque, enlevant les baguettes à
mesure qu'ils avancent. Ils étuvent ensuite les membrures
en bois dur pour les ramollir, et une fois qu'elles sont
chauffées et souples, ils les mettent en place dans la
coque en leur faisant épouser la courbure de celle-ci.
D'autres commencent par placer les membrures cintrées
à la vapeur entre les baguettes, puis ils y clouent les
bordés. Dans tous les cas, les bordés sont
fixés aux membrures au moyen de clous à vis
galvanisés.
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Détails de construction
(Gracieuseté : David Walker)
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Arrière d'un bateau fraîchement recouvert de son
bordé, avec tous les clous enfoncés partiellement
dans la coque. Ils seront ensuite enfoncés à travers
les membrures cintrées à la vapeur. Un ouvrier se
tenant à l'extérieur cognera les clous qui seront
vissés contre un « tas » en métal,
pour qu'ils se recourbent et reviennent s'enfoncer dans les
membrures.
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Il s'agit là d'une méthode de fixation presque universelle
dans la construction navale. Un clou d'acier galvanisé, carré
et rugueux, est enfoncé dans un petit trou percé à
l'avance dans le bordé et la membrure. La pointe vient buter
contre un « tas » d'acier maintenu de telle sorte
que le clou n'est pas seulement rivé, mais délicatement
recourbé en S et renfoncé dans la membrure
afin d'être vissé. Chaque clou devient ainsi un serre-joints
miniature. La tête est noyée dans le bordé et
mastiquée par mesure de protection. C'est une forme de fixation
peu coûteuse et adéquate, mais guère durable
hélas, car la couche de protection est presque toujours
endommagée durant l'opération. Une fois entamée,
elle ne protège plus le métal, et la corrosion commence
bientôt ses ravages. De nombreux bateaux ont vite le mal des
clous.
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Détails de construction
Détails de construction d'un bateau en bois. Intérieur
d'une section d'une épave bordée à clins,
montrant les clous à vis rouillés qui joignent les
bords des planches et attachent les membrures aux bordés.
(Gracieuseté : David Walker)
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Quel que soit l'ordre choisi par les constructeurs de bateaux
de Cape Island, l'embarcation finie est la même. Les
coques se valent et on ne sait trop pourquoi ni comment l'ordre
varie.
L'étroite partie arrière de la carène, entre
la quille et les hanches plates et larges, s'appelle
« courbe d'étambot ». Une des
particularités des bateaux en bois de la Nouvelle-Écosse,
c'est la courbe d'étambot creuse qui est ailleurs un massif de
bois plein. La coque, légère, flotte mieux et a toujours
constitué une particularité des bateaux
« novi », comme les appellent les habitants du Maine.
La courbe d'étambot creuse est structurellement faible, et il est
difficile de faire un bon raccord à la jonction des planches
verticales de la courbe et des pièces intercalaires planes et
horizontales. Les coutures des bordés ont tendance à
céder dans cette partie du bateau, et les membrures très
courbées fendent souvent. À mesure que les pêcheurs
vont remplacer leur petit moteur d'automobile de quatre ou six cylindres
par un moteur de huit cylindres, plus puissant et plus moderne, le
problème va s'aggraver. Les constructeurs essaieront de
l'éliminer de diverses façons, mais il semble qu'ils
n'y parviendront jamais tout à fait.
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Détails de construction
L'intérieur du bateau montre les membrures pas encore
fixées. On distingue clairement la courbe d'étambot
profonde et creuse, aussi appelée puits arrière, et
l'angle serré des membrures cintrées à la
vapeur.
(Gracieuseté : David Walker)
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Centres de construction de bateaux
n Nouvelle-Écosse,
les constructeurs de bateaux en bois sont disséminés un
peu partout sur le littoral allongé de la province. Ils sont
groupés près de leurs clients, les pêcheurs. La
majorité des bateaux de pêche qui mouillent dans un port
ont été achetés à un constructeur de
l'endroit, et seul un nombre infime d'embarcations viennent de
localités côtières avoisinantes. Il est rare
de voir un bateau loin du lieu où il a été
construit, à moins que son propriétaire ne l'ait
trouvé trop vieux et vendu pour le remplacer par un neuf,
commandé à un atelier local.
Les constructeurs de bateaux sont souvent fils ou petits-fils de
constructeurs de bateaux et ont parfois des frères ou
d'autres parents qui construisent eux aussi des bateaux. On se
souvient encore de jumeaux dont les ateliers étaient
voisins, à Scots Bay, et cela n'avait rien d'inhabituel.
On se rappelle également deux frères qui dirigeaient
des ateliers maritimes situés à deux pas l'un de
l'autre, à Cape St. Mary, et un père et ses deux
fils à la tête de trois ateliers dans le village
de Wallace. C'était monnaie courante, et quand les
constructeurs devenaient trop nombreux à un endroit,
certains d'entre eux déménageaient volontiers
là où l'on réclamait leurs services.
L'apprentissage de nouvelles techniques se faisait souvent ainsi.
La proximité des fonds de pêche et l'environnement
amène quantité de pêcheurs à
s'établir dans des îles avoisinantes, dont l'exemple
le plus connu est sans doute l'île Cape Sable. Grande
île située près des côtes de la province,
elle est maintenant rattachée à celle-ci par une
chaussée. D'autres îles abritent des
agglomérations de pêcheurs où vivent aussi
des constructeurs de bateaux. Qu'on pense à Scatarie,
à Madame et à Chéticamp, au large du Cap-Breton,
ou à Sober, à Pictou à Big Tancook et à
d'autres au large de la péninsule. Comme la population stable
des îles représente un marché limité, les
fils des constructeurs de bateaux quittent souvent leur île
pour le continent, plus vaste. Certains deviennent des constructeurs
itinérants qui se déplacent au gré des clients
et ne s'arrêtent que le temps d'un bateau.
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Familles de constructeurs de bateaux
es Stevens, les Langille,
les Levy et les Heisler sont des familles de constructeurs de bateaux
de l'île Big Tancook dont bon nombre de membres vont aller
exercer leur métier sur la terre ferme. Une branche des Levy
se déplacera vers l'est de la côte, quelques-uns
s'établiront dans l'île Sober, d'autres dans
l'île du Cap-Breton. Certains constructeurs de bateaux de
pêche de l'île Big Tancook vont se faire un nom en
créant des yachts. David Stephens, de Second Peninsula, et
Ben Heisler, de Chester, construiront des yachts à un
mât ainsi que de nombreuses goélettes destinées
à remporter prix et trophées. David Stephens est sans
doute surtout connu pour sa goélette Atlantica,
qu'il a construite pour l'Exposition universelle de Montréal,
en 1967. Les deux hommes sont également appréciés
de leurs concitoyens et peuvent revendiquer la paternité
de nombreux bateaux de pêche à moteur.
Un autre constructeur, William Frost, de l'île Long, dans le
comté de Digby, ira exercer ses talents au Maine, puis
reviendra construire des bateaux en Nouvelle-Écosse durant
la Première Guerre mondiale avant d'émigrer
là-bas et de devenir « l'homme qui enseigne les
techniques de construction du bateau à moteur rapide ».
C'est lui qui construit le Redwing, l'ancêtre des
bateaux de Jonesport, qui sont les cousins de la Nouvelle-Angleterre
du bateau du type Cape Island. En Nouvelle-Écosse et au Maine,
Frost n'a pas seulement été un pionnier de la
construction des bateaux à moteur, il a aussi contribué
à faire connaître les premiers moteurs à
étincelles. Une branche de la famille Frost est restée
en Nouvelle-Écosse et a continué de construire des
bateaux. Quant à Kingsley Frost, il a pris sa retraite à
Maitland, en Nouvelle-Écosse, il y a dix ans environ.
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Ateliers de construction de bateaux
omme les ouvriers des
grands chantiers de construction navale, nombre de constructeurs
de bateaux de pêche à moteur travaillent à
l'origine en plein air, sans le bénéfice d'un abri.
Lorsqu'ils commencent à utiliser des outils et du
matériel mécaniques, ils gardent habituellement
ceux-ci dans un petit atelier, tout près. Même
après la Deuxième Guerre mondiale, on verra des
bateaux en bois construits à ciel ouvert.
Nombre d'édifices sont conçus et érigés
à seule fin de construire des bateaux et conviennent
admirablement à ce genre de production. Presque toujours
en bois, surmontés d'une toiture inclinée, ils sont
dotés d'une large porte à l'une des
extrémités étroites et d'une plus petite
à l'intention du personnel, non loin de la maison du
constructeur. Une rangée continue de fenêtres est
percée dans chacun des deux longs murs bordés d'un
établi où tombe la lumière du jour.
L'aménagement rappelle un poste d'amarrage asséché
flanqué de quais en bois. Un plancher en bois en forme de U
ceint une aire de montage centrale en terre battue ou recouverte de
cendres. Si l'atelier ouvre directement sur la mer, le plancher de
construction descend en pente jusqu'aux grandes portes. Dans les
nombreux cas contraires, le plancher est généralement
plat, et l'on « fait glisser » l'embarcation
jusqu'à la mer.
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L'atelier de construction navale Heisler
Un atelier de construction navale situé dans l'île
Gifford, au large de Indian Point (Nouvelle-Écosse).
(Gracieuseté : David Walker)
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L'atelier où travaillait Clarence Heisler en 1976 avait
été doublé par l'ajout d'une seconde aire
de montage, à gauche de la première. L'entreprise
est à présent dirigée par Cecil, le fils
de feu Clarence Heisler.
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Les machines à bois sont le plus souvent rangées le
long de l'autre l'extrémité étroite de
l'atelier, en face des grandes portes. On y trouve en
général une scie à ruban, une planeuse à
rabotage et une perceuse à colonne ainsi que l'omniprésente
étuve dans laquelle on chauffe et ramollit la charpente en bois
pour la courber. La vapeur peut être obtenue de diverses
façons, mais elle vient la plupart du temps de l'unité
alimentée en bois à brûler qui sert aussi à
chauffer l'atelier. Dans les endroits dépourvus
d'électricité, les machines sont souvent actionnées
par un moteur à essence fixe par l'intermédiaire d'une
courroie. Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que
l'ensemble des régions rurales sera alimenté en
électricité. Les scies circulaires sont rares, car la
majorité des constructeurs achètent leur bois
dressé en gros sur mesure d'une scierie. L'atelier
générique que nous venons de décrire correspond
au type le plus courant d'atelier unifamilial où l'on construit
un bateau à la fois.
Par complet contraste, des édifices aux vocations fort diverses
seront transformés en chantier naval. Des granges, des maisons,
de vieilles écoles, et même une vieille petite église
seront évidées et converties en atelier de construction
navale. Dans ces édifices, les carences en aménagement
sont généralement compensées par une grande aire
de travail et un prix d'achat peu élevé.
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École convertie en atelier de
construction navale
Un nouveau homardier sort de l'ancienne école où
il a été construit, à Terence Bay
(Nouvelle-Écosse).
(Gracieuseté : David Walker)
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Les villageois en grand nombre rendent l'opération
aisée. Les mêmes personnes ont accompagné
le bateau tout au long de son premier
« voyage » d'un kilomètre sur route,
jusqu'à son lieu de mise à l'eau.
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De nos jours, les chantiers où l'on construit des coques
en fibre de verre ou en plastique renforcé à la
fibre de verre sont souvent des édifices d'acier modernes
dont les planchers en béton sont plats. Ces installations
industrielles diffèrent peu des autres entrepôts ou
usines de fabrication. Certains constructeurs de bateaux en fibre
de verre continuent de travailler dans des édifices
transformés, mais des édifices en général
beaucoup plus vastes que ceux de leurs prédécesseurs,
du temps des bateaux en bois.
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