Dans ce qu'on admet être une généralisation
grossière, l'archéologie de toute la région durant
la Période IV (1 000 avant J.-C. à 500 après
J.-C.) a été divisée entre les complexes de l'ouest
et de l'est avec la vallée du fleuve Mackenzie agissant comme un
tampon mal compris entre les deux. Il se pourrait que "...le district
ouest du Mackenzie soit intermédiaire entre le Yukon et le centre
du district de Mackenzie
(cf. Morrison 1984)"
(Clark 1987 : 188). Les
complexes sont le complexe du lac Taye à l'ouest et le complexe
de Taltheilei à l'est, remontant à la Période III
(4 000 à 1 000 avant J.-C.) et vraisemblablement plus
tôt, alors que le complexe Taltheilei a été le
produit d'un déplacement exceptionnel de gens en direction est,
vraisemblablement sortant du nord-est de la Colombie-Britannique et du
territoire voisin du Yukon par l'intermédiaire de la
rivière Peace et de la rivière Liard, les deux affluents
majeurs du fleuve Mackenzie. Ce déplacement de population s'est
étendu jusqu'à 1 500 km à l'est du fleuve
Mackenzie en se rapprochant de la baie d'Hudson, au nord jusqu'à
la côte de l'océan Arctique et au sud jusqu'aux
étendues septentrionales de l'Alberta, de la Saskatchewan et du
Manitoba. En dépit de la magnitude géographique
exceptionnelle de cette migration, elle n'a pas, pour des raisons
inconnues, attiré l'attention de beaucoup de chercheurs.
Peut-être parce que cet événement qui a eu lieu dans
les barrengrounds et les forêts du nord, a été trop
isolé des considérations du sud et a manqué la
romance de l'arctique. Apparaissant dans les barrengrounds du district
de Keewatin vers 700 avant J.-C., au moment où le climat se
réchauffait, l'occupation la plus intensive de ces territoires de
la part des gens du complexe de Taltheilei, autrefois occupés par
les Paléoesquimaux anciens, semble être survenue vers la fin
de la Période IV
(Gordon 1996).
Les deux complexes, du lac Taye et de Taltheilei, ont des facies
régionaux et, alors qu'ils partagent plusieurs traits, accusent
quelques différenceses l'un de l'autre. En un sens, il pourrait
être plus approprié de considérer les deux complexes
comme des traditions culturelles qui ont bifurqué l'une de
l'autre à la Période IV. Une considération
détaillée de la relation entre les deux complexes est
gravement inhibée par la manque d'information
archéologique provenant du nord de la Colombie-Britannique et
de la vallée du fleuve Mackenzie. Pour les fins de cet exercice,
les deux complexes sont utilisés comme des reconstitutions
rudimentaires qui ont une quelconque cohérence interne mais
dont la relation entre les deux à titre de parties composantes
de la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase récente)
n'est pas encore démontrable. Sous plusieurs aspects, la culture
de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase récente), comme
c'était le cas de la culture de la Côte-Ouest (phase
récente), peut le mieux se comparer à un tissu dont la
chaîne verticale ou les traditions technologiques locales sont
tenues ensemble par la trame horizontale de styles d'outils
généralement partagés et d'autres traits. Cependant,
le tissu de la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase
récente) est même plus effiloché que celui de la
côte du Pacifique. Une partie du problème rencontré
par les archéologues est que la technologie de la culture de
l'Intérieur du Nord-Ouest (phase récente) aurait
été dominée par des objets façonnés
en bois, en écorce, en peau, en nerf, et d'autres
matériaux périssables (voir
Rogers and Smith 1981).
Même les os survivent rarement dans les sols acides qui
caractérisent une bonne partie de la région,
spécialement le Bouclier canadien. Plusieurs des
catégories d'outils servant traditionnellement à la
reconstitution de l'histoire culturelle, notamment les microlames et
les pointes encochées, ont ce qu'on peut appeler une
distribution capricieuse dans le temps et l'espace en Amérique
du Nord. Une approche récente, prometteuse pour clarifier les
aspects de l'histoire culturelle, est l'étude
détaillée des méthodes de taille de la pierre
pour produire des éclats-outils occasionnels ou des
éclats-supports. Ces études tiennent compte de la
considération de caractères comme la
variété des plates-formes préparées
et l'angle d'enlèvement des éclats
(Gotthardt 1990;
LeBlanc 1984). En fait, les
simples éclats en pierre étaient indubitablement les
instruments les plus importants de l'outillage de la culture de
l'Intérieur du Nord-Ouest. Quelques formes de nucléus
en pierre et les méthodes d'enlèvement des éclats
auraient été un comportement culturel profondément
ancré et peut bien, à long terme, constituer un
témoignage plus significatif que les outils finis auxquels les
archéologues se sont fiés pour reconstituer l'histoire
culturelle. Les méthodes innovatrices d'analyse sont
certainement requises si la situation par laquelle "...rarement tant
de gens ont autant cherché à trouver si peu"
(Workman 1983 : 87) doit
être remédiée.
Le complexe du lac Taye est souvent assigné à
l'Archaïque septentrional, reconstitution culturelle qui, de plus
en plus rejetée ou qualifiée d'étayage
hypothétique, ne peut pas se conformer à l'enregistrement
(Clark 1992 : 79;
Morrison 1987;
Wright 1995 : 386).
Assignées au complexe du lac Taye dans cet ouvrage sont
la phase de Old Chief Creek du nord du Yukon et la phase du lac
Taye du sud du Yukon. Ce n'est pas une proposition originale
(Greer and LeBlanc 1983 :
33). La phase du Old Chief Creek conduit, croit-on, aux Athapascans Kutchin
et la phase du lac Taye du sud-ouest du Yukon aux Athapascans Tutchone.
Remontant à entre 1 000 avant J.-C. et 700 après J.-C.,
la phase du lac Taye
(LeBlanc 1984 : 437) constitue
le lien le plus étroit avec la phase de Old Chief Creek. Les traits
partagés sont des pointes lancéolées, de grands
couteaux bifaciaux, diverses formes de grattoirs, des chithos, de rares
coins et des chutes de galet, et une absence de microlames. Par contre,
des burins sur éclats, présents dans le sud, sont absents
dans le nord. De même, le site Callison dans le nord de la
Colombie-Britannique correspond au complexe du lac Taye
(MacNeish 1960 : 1;
Workman 1978 : 417) ainsi
qu'avec le complexe du Mackenzie du lac Fishermans dans le sud-ouest
des territoires du Nord-Ouest
(Millar 1968). Les traits
partagés sont des pointes lancéolées, des burins
sur éclats et des formes de grattoirs dont des
variétés encochées.
Même si le terme "Taltheilei" a été introduit par
MacNeish (1951), le complexe
a été défini pour la première fois par
Noble (1971;
1981) sur la base d'une
série d'assemblages récupérés de
terrasses élevées à l'est du Grand Lac des
Esclaves. La tradition Taltheilei de Noble était
composée de plusieurs phases anciennes et récentes qui
se terminaient avec les Athapaskans Couteaux Jaunes documentés
historiquement quoique les Chipewyans et les Côtes de Chiens et
potentiellement d'autres groupes étaient indubitablement
impliqués dans le même complexe. Pour la Période
IV, cette séquence de phases comprenait Hannessey, Taltheilei
et Windy Poind. Paradoxalement, en raison en grande partie à
l'effet d'entonnoir des routes de migration des caribous et l'usage
répété des traverses de rivières/lacs sur
les établissements humains, les sites dans les barrengrounds
ont tendance à produire un plus grand nombre d'instruments que
leurs contemporains de l'ouest. Les grands sites stratifiés ne
sont pas rares et, ainsi, sous plusieurs aspects, la nature de la
technologie du complexe de Taltheilei est mieux connus
(e.g. Gordon 1996) que celle
du complexe du lac Taye.
Le caribou revêtait une importance capitale auprès des
gens de la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase
récente), non seulement pour la viande mais aussi pour les peaux,
les nerfs, les os et l'andouiller. Alors que le poisson revêtait
une grande importance, particulièrement à l'automne et au
début de l'hiver en vue de l'entreposage de la nourriture
hivernale, nourriture pour les chiens et ressource de dernier ressort,
sans le caribou il n'y aurait eu personne dans cette région. Le
même commentaire pourrait être fait quant au poisson car
c'était une combinaison de caribou et de poisson qui était
essentiel à la survie. D'autres aliments constituaient, en grande
partie, un complément à ces deux aliments principaux. La
nourriture hivernale était particulièrement importante
dans un territoire aux étés courts avec 24 heures de
lumière diurne et des hivers comportant 6 heures de
lumière diurne et de fréquents manques de nourriture. Le
caribou même semple avoir influencé les naissances humaines
dans l'est où "...quatre naissances sur cinq arrivaient en
février, mars et avril dans les camps d'hiver en forêt, neuf
mois après l'interception massive des troupeaux aux traverses des
rivières de la toundra, neuf mois après le moment où
les caribous en bon état de santé fournissaient
suffisamment de gras pour permettre aux femmes dénées de
concevoir"
(Gordon 1996 : iii). À
l'est d'une ligne traversant le Grand Lac de l'Ours et le Grand Lac des
Esclaves et le lac Athabasca se trouvent plusieurs hardes distinctes de
caribous des barrengrounds (Rangifer tarandus groenlandicus)
alors qu'à l'ouest et au sud de ce repère le caribou des
bois (Rangifer tarandus caribou) dominait sauf dans le nord du
Yukon et dans l'Alaska voisin où une autre espèce des
barrengrounds ou de la toundra est représentée
(Rangifer tarandus granti)
(Banfield 1961 : Figures 5
et 6). Les hardes majeures regroupant les caribous des barrengrounds de
l'est ont des régions spécifiques de mise bas au nord de
leur territoire hivernal et des routes définies de migration
entre les deux et ainsi il y a une corrélation entre les
traverses traditionnelles des rivières par les caribous et les
occupations humaines d'autrefois. À tire d'observation
générale, on peut affirmer que la majorité des
endroits des sites sont soit directement reliées aux caribous ou
aux poissons ou aux deux, quoique avec une emphase saisonnière.
Une grande mobilité durant la température chaude et un
établissement plus sédentaire durant l'hiver auraient
caractérisé les modes d'établissement de toute la
région à l'étude.
L'enregistrement archéologique relié à la
cosmologie et à la biologie humaine est très limité.
Le traitement des défunts dont il est question dans les anciens
documents historiques impliquent habituellement des sépultures
de surface dont très peu sont susceptibles de résister au
temps. Les observateurs européens qui commentaient l'apparente
absence de cérémonie religieuse chez les divers peuples
athaspascans du nord n'appréciaient indubitablement pas
l'importance du pouvoir personnel, des esprits gardiens et les relations
complexes et importantes entre les humains et les animaux. Ni non plus
auraient-ils été conscients de l'importance des
rêves pour influencer les comportements. Les chamans,
dotés de pouvoirs exceptionnels qui leur permettaient d'agir
à titre d'émissaires entre les individus et le monde
surnaturel, représentaient l'un de ces cas où l'assistance,
au-delà des pouvoir personnel et de l'adhérence des tabous,
pouvait être recherchée.
Les relations avec leurs voisins lors de l'arrivée des
Européens étaient hostiles aux Inuits au nord et aux Cris
au sud-est. À la Période IV, la distribution culturelle
était la même dans la région occidentale que durant
la Période V mais, à l'est, a eu lieu un remplacement
culturel majeur. Quand les gens du complexe de Taltheilei se
propagèrent vers l'est dans tout cet énorme territoire
qu'ils devaient éventuellement occuper, ils remplacèrent
les Paléoesquimaux anciens. Il n'est pas encore clair si ce
remplacement remplissait le vide laissé par les
Paléoesquimaux qui s'en étaient retirés ou si les
premiers ont forcé les deuxièmes à se
déplacer. Le fossé temporel entre les derniers
Paléoesquimaux dans les barrengrounds et l'apparition des
premiers chasseurs du complexe de Taltheilei est étroit. Comme
le démontre clairement l'enregistrement archéologique,
les deux groupes culturels ont occupé les mêmes sites et
pour les mêmes raisons - le caribou. Il n'existe aucune
raison contraignante, tel un changement de climat, pour expliquer
pourquoi les Paléoesquimaux auraient été
inclinés à abandonner volontairement de riches
territoires de chasse qu'ils avaient exploités depuis 1 500
avant J.-C. Le caribou n'avait pas modifié ses habitudes,
à preuve le fait que toutes les cultures dans les barrengrounds,
des temps les plus anciens aux plus récents, ont occupé
les mêmes sites. On a spéculé qu'à l'est de
la vallée du fleuve Mackenzie, une grande partie des territoires
occupés par le complexe de Taltheilei impliqua le
déplacement de ce qui était vraisemblablement la
résidence saisonnière des Paléoesquimaux. De
même, les Paléoesquimaux anciens disparurent des
régions du nord de l'Alaska, du Yukon et de la région du
nord-ouest du district de Mackenzie. Des témoignages directs
d'hostilités peuvent rarement être détectés
dans l'enregistrement archéologique et étant donné
la nature de la guerre consistant en de petites et courtes
confrontations dans la région selon les documents historiques,
on ne peut s'attendre à en reconnaître les preuves. Ce
qui est clair dans l'enregistrement archéologique
(e.g. Gordon 1996 : Figure
8.1 contre Figure 5.1;
McGhee 1987 : Planche 11)
est que la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase
récente), tel que représenté par le complexe de
Taltheilei dans l'est et, croit-on, le complexe du lac Taye et/ou les
complexes apparentés dans l'ouest, ont remplacé les
Paléoesquimaux dans une grande partie de leur ancien
territoire dans les étendues nordiques du subarctique
occidental et dans les barrengrounds avoisinants.
Les sociétés de la culture de l'Intérieur du
Nord-Ouest (phase récente), comme celles de leurs descendants
à la Période V, auraient été
composées de plusieurs familles regroupées en bandes
régionales et, à un second niveau, de regroupements de
bandes qui constituaient une structure tribale lâche. Dans ces
sociétés égalitaires, une flexibilité
considérable de choix individuel aurait existé.
L'importance de petites unités familiales, hautement mobiles,
est clairement évidente par les restes archéologiques
généralement limités. La polygamie était
très répandue à l'époque de
l'arrivée des Européens même si peu d'hommes
pouvaient se permettre de supporter plus qu'une femme. La nature de
l'enregistrement archéologique est telle qu'il est
vraisemblablement impossible de déterminer depuis quand et
à quel point cette pratique était prévalente.
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