Tel qu'esquissé dans le Tome I, les Bouclériens moyens,
ancêtres des Bouclériens récents de l'est, se
propagèrent vers l'est où se trouvaient des territoires
nouvellement disponibles soit en raison de leur
régénération suite à la glaciation et
à sa masse biotique défavorable soit en raison de leur
abandon de la part des occupants antérieurs, les Maritimiens
moyens. Une grande partie du Québec et du Labrador ne semble
pas avoir été occupée par les Bouclériens
moyens avant environ 2 000 ans avant J.-C., moment où les
établissements sont devenus progressivement plus
récents au nord et à l'est. C'est cette base culturelle
qui constitua la racine des Bouclériens récents de
l'est dans la plus grande partie du Québec au nord du fleuve
Saint-Laurent et des parties du Labrador. Ils ont maintenu leurs
rondes saisonnières; quelques bandes, en raison de leur
localisation, exploitèrent les ressources
côtières de façon saisonnière alors que
d'autres bandes ont subsisté principalement du caribou de
l'intérieur, de l'orignal, de petit gibier et, en
particulier, du poisson.
Les Bouclériens récents de l'est et les
Bouclériens récents de l'ouest
émergèrent tous des Bouclériens moyens de la
Période III (4 000 à 1 000 avant J.-C.). La
technologie constitue pratiquement le critère pour distinguer
ces deux groupes culturels étroitement apparentés car
leur mode d'établissement et leurs activités de
subsistance étaient très similaires, sinon identiques,
dans la plupart des cas. Les Bouclériens récents de
l'est ont retenu les anciennes traditions de la pierre taillée
de leurs prédécesseurs alors les Bouclériens
récents de l'ouest poursuivirent le développement des
Bouclériens moyens dans l'ouest, développement qui
impliquait l'abandon de l'usage des dépôts massifs
siliceux, tels que le quartzite and la rhyolite, dont l'industrie
comportait de larges outils bifaciaux et unifaciaux, en faveur des
nodules de chert des basses terres de la baie d'Hudson dont
l'industrie comportait le façonnage d'outils
comparativement plus petits. Alors que les deux groupes culturels
firent un usage extensif des veines locales de quartz comme des
blocs et des éclats pour couper et gratter, la pratique
semble avoir été plus générale dans
l'est. En outre, les Bouclériens récents de l'est,
ignorèrent, eux aussi, les vases en céramique comme
articles importants de leur outillage contrairement à leurs
parents de l'ouest
(Thibault 1978). En fait,
la poterie limitée dans les sites des Bouclériens
récents de l'est peut simplement représenter
l'uvre des femmes qui, provenant des Bouclériens
récents de l'ouest et des GL-St-Laurentiens récents,
quittaient leur territoire d'origine dans l'ouest et le sud pour
se joindre à la bande de leur mari au nord et à
l'est. La présence de la poterie devient progressivement
plus rare au fur et à mesure qu'on se déplace vers
l'est et le nord, c'est-à-dire au fur et à mesure
qu'on s'éloigne du territoire d'origine des cultures chez
lesquelles, croit-on, elle représentait un important
élément de la technologie
(Moreau et al. 1991 :
59). Par exemple, alors que la poterie est
généralisée chez les Bouclériens
récents de l'ouest (Laurelliens) et les GL-St-Laurentiens
récents (e.g. le complexe pointe-péninsulien)
seulement 14 tessons de poterie pertinents proviennent de toute
la région du lac Saint-Jean
(Moreau 1995 : 106 et
Table 1). Une telle situation a existé au lac Abitibi,
chevauchant la frontière ontarienne et québécoise
(Marois et Gauthier 1989;
Ridley 1966). Ce modèle
progressivement décroissant de la distribution des vases en
poterie à l'est se maintient jusque dans la Période V
(500 après J.-C. jusqu'à l'arrivée des
Européens) où les Cris de l'est, les Montagnais
(Naskapi), et les Attikamek du territoire des Bouclériens
récents de l'est ignorèrent généralement
le modelage de la poterie contrairement à leurs parents de
l'ouest et du sud, les Cris de l'ouest, les Algonquins, les Ojibwa
du sud et du nord, les Cris des bois de l'ouest, et les Sauteux
récent de Winnipeg. Là où il y a de la poterie,
elle est clairement reliée aux styles de l'ouest et
était vraisemblablement le produit des femmes, issues des
bandes de l'ouest, se joignaient à leur mari des bandes
de l'est.
Les modes d'établissement et de subsistance demeurèrent
inchangés depuis les périodes précédentes
et, en fait, demeurèrent inchangés jusqu'à
l'arrivée des Européens. Les sites tels que le site
de Chicoutimi à la jonction des rivières Saguenay et
Chicoutimi
(Chapdelaine 1984)
contenaient des débris d'occupation s'échelonnant sur
plus de 3 000 ans et prenaient fin avec l'occupation historique
des Montagnais. Malheureusement les dépôts culturels de
ce site étaient désespérément
mélangés. Tout comme d'autres grands sites, le site de
Chicoutimi constituait un endroit privilégié où
se réunissaient une bande ou, plus vraisemblablement,
plusieurs bandes de façon saisonnière.
Les rapports des GL-St-Laurentiens récents (e.g.
Pointe-Péninsule) et des Bouclériens récents
de l'ouest (Laurelliens) avec quelques-unes des bandes des
Bouclériens récents de l'est semblent sous-entendre
que des femmes, membres des deux cultures,
déménageaient dans le territoire des
Bouclériens récents de l'est, véhiculant avec
elles les connaissances de la fabrication des contenants et/ou de
la poterie, pour habiter dans la communauté de leur mari.
Quelques lames de haches simples polies et des outils tirés
du chert d'Onondaga, dont la source géologique est à
l'extrémité occidentale du lac Ontario, indiquent
aussi des contacts avec le sud et l'ouest. De tels rapports
rappelant ceux de la Période III représentent un
établissement de longue durée d'un modèle
de contacts culturels étroits. Sur une échelle plus
réduite, dans le nord de l'intérieur du Québec,
de petites quantités de quartzite de Ramah dans des sites
du Bouclérien récent de l'est à des endroits
comme le lac Caniapiscau
(Denton et al. 1980 :
296) laissent croire à des échanges avec les
Paléoesquimaux moyens qui vivaient sur la côte du
Labrador où se trouve la source de cette pierre ou,
encore, à de vraies expéditions de la part des
gens de l'intérieur vers les carrières de Ramah
situées sur la côte. Il est aussi possible qu'un
peu de quartzite de Ramah ait été pillé
de sites de l'intérieur abandonnés par des
Maritimiens moyens. Contrairement à l'opinion de Tuck
(1976 : 59), on ne croit
pas que les Maritimiens moyens aient abandonné la
côte-nord du golfe du Saint-Laurent et du Labrador avant
la fin de la Période III et que des contacts importants
aient pu avoir eu lieu avec les gens qui vivaient de l'autre
côté du golfe où les descendants des
Maritimiens moyens semblent s'être réfugiés
depuis le nord. Il y a aussi témoignage d'une
participation au complexe funéraire adénien. Sur
la côte nord du golfe du Saint-Laurent à Mingan,
l'érosion a mis au jour la sépulture d'une jeune
fille dont le corps avait été enveloppé
d'écorce, sépulture qui comportait un collier en
perles de cuivre, des perles en coquillages, plusieurs grandes
lames bifaciales et de l'ocre rouge. Des travaux
subséquents sur le site ont détecté
d'autres sépultures indiquant l'existence d'un
cimetière. Il est révélateur de noter
que de la poterie pointe-péninsulienne était
présente dans ce site
(Clermont 1990 :
12-14). Une découverte effectuée dans le centre
de la côte du Labrador représente l'enregistrement
le plus nordique d'une participation dans le complexe
funéraire adénien. Au site Daniel Rattle, une
cache comportant 10 grattoirs, une grande lame bifaciale
à encoches baso-latérales, un affûtoir,
une nodule de graphite non modifiée, et un caillou en
quartz, a été trouvée à la surface
de ce belvédère
(Loring 1989 : 52).
On présume que la cache représentait des
offrandes placées à la surface d'une
sépulture (couverte de rondins?) dont toute autre
trace d'enregistrement a disparu sauf les outils en pierre.
L'intérêt particulier de cette sépulture
réside dans le fait que la grande lame bifaciale
à encoches baso-latérales correspond à
un article typique du complexe funéraire adénien
alors que les grattoirs sont des outils typiques des
Bouclériens récents de l'est. Tous les
matériaux lithiques sont d'origine locale mais,
contrairement aux grattoirs, le biface encoché
ne porte aucune trace d'usage.
|