Il y a consensus sur le fait qu'avec l'introduction des vases en poterie
chez les Maritimiens récents peu avant 500 avant J.-C., les
développements culturels subséquents ont conduit
directement à la formation des Micmacs, des Malécites et
des Passamaquoddy que les Européens ont rencontrés au
début du 17e siècle. L'apparition des vases en
poterie, tout importante qu'elle soit aux yeux des archéologues,
ne représente que l'ajout d'un élément technique
qui a été incorporé à l'outillage
antérieur. Partout dans l'est de l'Amérique du Nord, une
convention archéologique veut que l'apparition de la poterie soit
utilisée pour marquer la fin de l'Archaïque et le début
du Sylvicole. On a d'abord cru que la fabrication de la poterie
était le fait de sociétés de plus en plus complexes
qui s'adonnaient à l'horticulture et au rituel des tumulus
funéraires, ce qui témoignait de la mise en place d'un
stade de développement culturel substantiellement plus
élaboré qu'à l'Archaïque
précédent. Les recherches subséquentes ont
cependant démontré que, partout en Amérique du
Nord, la poterie ne correspondait qu'à l'introduction d'un
élément technique qui n'entraînait aucun effet
important sur les modes de vie antérieurs. En effet, à
certains endroits, des répliques en poterie ont simplement
remplacé les récipients en pierre autrefois en usage.
L'enregistrement archéologique témoignant de la transition
entre l'Archaïque et le Sylvicole est malheureusement restreint.
En fait, on a pensé que la période entre 1 500 et 500
avant J.-C. constituait une césure culturelle
(Keenlyside 1984 : 2).
Comme on l'a esquissé pour la Période III
(Wright 1995), on se demande
encore si les Archaïques récents ou terminaux de la
région ont été partie prenante du Maritimien moyen
(Archaïque des Maritimes), du GLSaint-Laurentien (Archaïque
laurentien), de l'Archaïque susquehannien, ou d'une combinaison
des options précédentes. La propagation vers le nord des
Archaïques susquehanniens semble avoir à peine touché
les provinces maritimes. Ces migrations se situent donc
généralement en périphérie des
événements qui se sont déroulés au cours
de cette période. L'enregistrement restreint et la
béquille potentiellement traîtresse de la simplicité
nous incitent à croire que les Archaïques récents
des provinces maritimes émanent d'une culture indigène
apparentée au Maritimien moyen et que les Maritimiens
récents constituent les descendants directs de cette culture.
Cette déduction repose sur la continuité de la
technologie, des modes d'établissement et de la subsistance.
L'outillage du Maritimien récent se compose de pointes de
projectile à gros pédoncule et à encoches
latérales larges ou à pédoncule divergent, de gros
grattoirs qui deviennent de plus en plus petits et nombreux avec le
temps, un nombre limité de lames de hache simples en pierre
polie, des affûtoirs et d'autres outils grossiers en pierre.
Enfin, des vases de poterie façonnés,
généralement décorés à l'aide
d'une sorte d'outil dentelé, apparaissent vers 500 avant
J.-C. et peut-être avant. La méthode de manufacture de la
poterie, ainsi que les motifs, les techniques de décoration, et
la forme générale des vases, sont en tout point semblables
à la poterie de la haute vallée du Saint-Laurent, du
Québec et de l'Ontario. À cet égard, la poterie
ancienne des provinces maritimes représente le déploiement
le plus oriental d'une tradition de poterie distinctement nordique sur
le plan des caractères et de la distribution. Une tradition de
poterie assez différente consistant en vases en forme de
gobelet, le plus souvent estampés tant à
l'intérieur qu'à l'extérieur à l'aide d'un
battoir cordé, a été identifiée dans des
sites contemporains situés immédiatement au sud.
Même si on a suggéré que cette poterie
particulière ait pu être apportée au
Nouveau-Brunswick par le complexe meadewoodien du GLSaint-Laurentien
récent, la présence de ce complexe n'a pas
été démontrée de façon convaincante
et repose sur des traits funéraires et des formes de pointes de
projectile de caractère très général
(Deal 1986;
Ferguson 1988 : 17-18;
Turnbull and Allen 1988).
Les deux traditions différentes de poterie mentionnées
ci-dessus sont géographiquement séparées, la
poterie estampée localisée au nord de la poterie à
impression cordée qui, elle, est située évidemment
plus au sud. Une exception importante à cette affirmation est
constituée par une avancée de la tradition de la poterie
à impression cordée vers le nord, dans la vallée
du Saint-Laurent entre approximativement Trois-Rivières et la
ville de Québec. Le lien nord-sud entre les deux traditions de
poterie des Maritimes est équivalent à celui qui, à
l'intérieur de l'Amérique du Nord, caractérisait
le GLSaint-Laurentien récent et le Bouclérien
récent de l'ouest par rapport à leurs voisins du sud. La
poterie lisse, comportant parfois de simples décorations
incisées ou ponctuées, est évidemment ancienne et
peut-être reliée aux traditions de poterie à
impression cordée et dentelée. Il a été
nécessaire de tenir compte des traditions de poterie car la
poterie a fréquemment été utilisée pour
identifier les cultures archéologiques, trop souvent à
l'exclusion d'autres considérations.
L'occupation par les Maritimiens récents des sites
situés sur les côtes et les rives fluviales se poursuit
fréquemment à la période suivante, la
Période V (500 après J.-C. jusqu'à l'arrivée
des Européens). Dans la région de Passamaquoddy Bay dans
le sud-est du Nouveau-Brunswick, où ont eu lieu de nombreuses
reconnaissances et des fouilles étendues, les sites se
caractérisent par une exposition au sud et au sud-est, sont
situés près des bas fonds riches en crustacés et
comportent des plages pour mettre des canots à l'eau ou pour
accoster, et dans la voisinage d'eau potable
(Sanger 1985). L'analyse
faunique permet de penser que les sites côtiers d'amas de
coquillages représentent des occupations de saison froide
même si quelques sites auraient pu être occupés sur
une base annuelle. Les sites riverains de l'intérieur,
situés près des courants forts et des rapides, ont
vraisemblablement été occupés au printemps et en
été pour profiter de la concentration des poissons lors
des fraies, notamment du capelan et de l'éperlan
(Osmeridae sp.), de l'esturgeon (Acipenser oxyrhynchus),
du gaspereau (Alosa pseudoharengus), de l'alose (Alosa
sapidissima), et du saumon (Salmo salar). Les concentrations
de l'anguille de l'Atlantique (Anguilla rostrata) et du poulamon
(Microgadus tomcod) à l'automne et en hiver respectivement,
auraient aussi été exploitées
(Scott and Scott 1988).
On a avancé la suggestion pertinente aux Maritimes que, sur la
côte de la Nouvelle-Angleterre, le ramassage des crustacés
constituait une activité limitée jusqu'à la fin de
l'Archaïque mais qui a augmenté en importance au Sylvicole
subséquent
(Braun 1974 : 582). Puisque
la majorité des sites côtiers de l'Archaïque ont
probablement été détruits par
l'élévation du niveau de la mer, on ne connaît
évidemment pas à quel point l'exploitation des
crustacés a constitué une activité de subsistance
importante. Au Maine, les amas de coquillages maritimiens moyens qui
ont survécu, notamment le Nevin Shellheap
(Byers 1979) et le Turner Farm
(Bourque 1976), laissent
croire que la destruction des amas de coquillages à la
Période III constitue une explication plus appropriée
à la rareté des anciens amas de coquillages qu'un
désintéressement de longue date à l'égard
d'une ressource nutritive facile à exploiter et à
traiter, et localement abondante. L'opinion que le ramassage
intensif des crustacés était associé à
des Archaïques récents déjà adaptés
aux ressources des rives de l'intérieur et étaient
attirés par les ressources littorales de la côte, ignore
la probabilité d'une histoire plus ancienne du ramassage des
crustacés. Alors que la relative instabilité de la
côte à l'époque des Maritimiens moyens a
voilé l'établissement de riches lits de crustacés
dans plusieurs régions, elle n'a vraisemblablement pas
affecté toutes les régions.
Dans le but d'expliquer la rareté de l'enregistrement
archéologique relié à la transition entre
l'Archaïque et le Sylvicole, on a proposé un certain nombre de
scénarios ou de modèles. Ces derniers varient de propositions
se rapportant à des écosystèmes instables qui auraient
forcé les chasseurs de l'intérieur à se fier aux
ressources du littoral ou se rapportant à une stabilité
environnementale qui aurait permis une exploitation efficace, par les
Archaïques susquehanniens qui, préalablement adaptés,
se déplaçaient vers le nord ou se rapportant aux descendants
de ces derniers qui auraient obligé les populations locales à
se déplacer ou éventuellement à se fusionner avec eux.
L'enregistrement d'une modification environnementale d'une ampleur
suffisante pour appuyer de tels réajustements drastiques est faible.
Il semble plutôt que les Maritimiens récents et leurs
ancêtres possédaient des systèmes flexibles,
susceptibles de s'adaptter à diverses situations. La césure
culturelle que les uns perçoivent ou les changements rapides
suscités par l'environnement que les autres appréhendent ne
sont pas responsables de la nature mal comprise de l'enregistrement
archéologique de cette époque. Il semble bien que les
méthodes analytiques inadéquates peuvent être
largement responsables de la rupture perçue dans la continuité
culturelle. Ce n'est pas un hasard sila confusion à
interpréter l'enregistrement archéologique coïncide
avec la disparition de plusieurs traits diagnostiques de l'Archaïque
récent, notamment les gouges, les projectiles-lances ou les
pointes-couteaux en ardoise polie, les pesons et les pratiques mortuaires
spécifiques, et avec l'apparition d'une nouvelle grande classe
d'objets: la poterie. La difficulté que pose l'enregistrement
archéologique de la Période IV pourrait être
causée par un manque constant d'objets commodes, dits "fossiles
directeurs". Cependant, comme plusieurs chercheurs l'ont noté,
l'industrie de la pierre taillée montre une claire continuité
entre les sites qui comportent ou non de la poterie. Cette continuité
est renforcée par des correspondances dans les modes
d'établissement et les modes de subsistance de l'Archaïque
récent/période avec céramique.
Un événement important qui est survenu dans la région
des Maritimes et de Gaspé implique l'apparition du complexe
mortuaire d'Adéna provenant de la vallée de l'Ohio.
On ne peut évoquer les raisons qui expliquent pourquoi les
cérémonies mortuaires élaborées du
Maritimien moyen ont disparu pour être remplacées
éventuellement, près de 1 000 ans plus tard, par des
pratiques mortuaires provenant de l'intérieur de
l'Amérique du Nord à quelque 1 700 km de distance.
Si l'expansion du complexe mortuaire adénien dans les Maritimes est
reliée à l'expansion du réseau d'échange, quel
était le but de cet échange, où se trouve
l'enregistrement archéologique d'un échange séculier
par opposition à un échange religieux, et pourquoi la
direction du contact a changé de l'intérieur du continent
en direction des anciennes routes le long de la côte de l'Atlantique?
Que s'est-il passé pendant les 1 000 ans de fossé qui
sépare les deux systèmes mortuaires du Maritimien moyen et
récent? Et, comme ce fut le cas avec le GL-St-Laurentien
récent et le Bouclérien récent de l'ouest, pourquoi
seulement une très petite proportion des Maritimiens récents
a apparemment participé à l'introduction de ces
cérémonies funéraires? Même si la nature
hautement prescrite du cérémonial mortuaire adénien,
identifié dans une région étendue du nord-est de
l'Amérique du Nord, laisse croire à l'existence d'un
clergé superviseur ou d'une classe de prêtres-chamans, il y
a aussi un enregistrement évident d'une participation locale aux
activités cérémonielles reflétées par
des instruments tirés de matériaux locaux et aux styles
locaux manifestés dans les sépultures. L'adhésion
relativement rigide à un ensemble spécifique de pratiques
funéraires et l'usage de classes spécifiques d'offrandes
mortuaires, une certaine forme hautement structurée d'un
comportement sanctifié émanant d'un centre de la
vallée de l'Ohio se reflète dans l'enregistrement. La
participation des Maritimiens récents à cette manifestation
religieuse, quoique limitée, inclut un tumulus funéraire
près de la rivière Miramichi qui, de mémoire d'homme,
était encore considérée comme un lieu sacré
par les résidants de la population micmaque. Ceci permet de croire
à l'existence d'une tradition orale peut-être vieille de
2 500 ans. Un autre tumulus funéraire apparenté,
en grande partie détruit par des activités de construction,
a été identifié à l'extérieur
d'Halifax (Dr. Steven Davis, St.Mary's University, Halifax :
Communication personnelle et examen personnel). La distribution des sites
suggère que le complexe funéraire adénien se
propagea dans les provinces maritimes via le fleuve St-Laurent
plutôt que vers le nord le long de la côte de l'Atlantique.
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