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Des sculptures préhistoriques, particulièrement des mortiers et des pilons à tabac, témoignent de l'habileté des artistes haïdas à travailler la pierre. Un intéressant bol en pierre, datant probablement du XVIIIe siècle, représente une Libellule portant un humain, faisant peut-être allusion à des mythes où des Libellules transportent des âmes humaines. Une pièce en argilite plus tardive sur le même thème représente une figure humaine à cheval sur le dos d'une Libellule.
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Mortier en grès pour moudre des coquilles de palourde brûlées afin de faire de la chaux, que l'on mélangeait ensuite à des flocons de feuilles de tabac indigène séchées; la chaux libérait chimiquement les composés psychogènes du tabac, un peu comme la chaux et la noix de bétel dans le sud-est de l'Asie et certaines régions du Pacifique. Les mains tenant le bâton, qui indiquent qu'il s'agit d'un Castor, sortent de la bouche même de la créature, peut-être pour que la sculpture demeure très ramassée, car des bras davantage respectueux de l'anatomie seraient plus fragiles.
Recueilli dans Haida Gwaii en 1879 par Israel W. Powell.
MCC XII-B-318 (S91-946) |
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Mortier en ivoire de morse portant, gravée, une image du Corbeau tenant dans son bec un être humain. On écrasait des morceaux de coquilles de palourde brûlés dans ce mortier pour faire la chaux utilisée avec le tabac.
Recueilli à Masset avant 1884 par James Deans pour W.F. Tolmie, de la Compagnie de la Baie d'Hudson.
MCC VII-B-1001 (S92-4292) |
On sait comment les pipes en argilite, qui avaient jusque-là une fonction cérémonielle, sont devenues un article de troc ou destiné à la vente. Vers les années 1830, le commerce de la loutre de mer, qui avait en peu de temps considérablement enrichi les Haïdas, prit fin. Cependant, comme des navires effectuant le commerce d'autres fourrures continuaient de naviguer sur la côte, les Haïdas tentèrent de trouver des substituts aux peaux de loutre de mer en offrant des pommes de terre ainsi que du poisson frais et séché. La vente d'œuvres d'art devint également de plus en plus importante dans l'économie haïda. Lorsque la Compagnie de la Baie d'Hudson fonda un poste de traite à Fort Simpson, sur le continent, les canonnières britanniques substituèrent dans une grande mesure leur clientèle à celle des marchands. Des centaines de pièces d'argilite sculptée furent achetées et apportées chez eux comme souvenirs par des marins de Nouvelle-Angleterre, de Grande-Bretagne et d'ailleurs.
Lorsque le révérend Jonathan Green demeura près de Skidegate en 1829, il vit «des pipes que les Haïdas font avec une sorte d'ardoise et qui sont curieusement travaillées». L'historien de l'art Robin Wright a documenté en détail la floraison de la pipe-panneau, qui a perdu sa fonction funéraire originelle et commencé à exprimer des mythes et même à consigner des événements historiques.
Les pipes-panneaux furent les premières sculptures en argilite vendues aux touristes, mais les Haïdas se mirent bientôt à faire et à orner d'autres objets qui plaisaient aux Européens. Les plats étaient particulièrement populaires, car à l'époque victorienne on aimait beaucoup exhiber des plats, des bols et des assiettes dans des vaisseliers, sur des buffets, et sur des corniches courant tout autour des salons. Les pipes plaisaient énormément aux marins, tandis que les assiettes et les plats faisaient le bonheur de la dame de leurs pensées, à la maison.
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Plat en argilite réalisé vers 1835 et montrant des Européennes qui semblent en train de danser. Il est également orné de feuilles et de baies de tabac haïda indigène. Rosettes et motifs évoquant des chrysanthèmes sont également courants dans l'œuvre de cet artiste anonyme. Un autre plat du même sculpteur se trouve au Bristol Museum, en Angleterre.
MCC VII-B-1836 (S92-4293) |
Tout au long des années 1850, le style des pipes-panneaux est devenu de plus en plus baroque. On produisait aussi d'autres types de pipes, davantage de style européen, mais avec des motifs haïdas, ainsi que des assiettes et des plats toujours plus richement décorés. Il est intéressant d'observer qu'en Grande- Bretagne, à l'époque victorienne, la sculpture en jais était populaire. Le jais est une sorte de charbon métamorphosé que l'on trouve en association avec de nombreux gisements de charbon de Grande-Bretagne, et les mineurs invalides ou à la retraite se mettaient souvent à sculpter le jais lorsqu'ils ne pouvaient plus travailler. Les bijoux et figurines de jais qu'ils faisaient pour gagner leur vie convenaient bien aux rites funéraires et aux longues périodes de deuil de l'époque. Cela explique peut-être que les sculptures d'un noir lustré des Haïdas, particulièrement les pipes, les gobelets, les assiettes et les plats -- des objets familiers --, aient été acceptées d'emblée dans la Grande-Bretagne victorienne. Les sculptures en argilite haïdas, tout comme les sculptures africaines en ébène, gardèrent leur popularité tout au long de l'ère victorienne.
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