I. L'industrie des pêches
Son importance historique
Les pêches de l'Atlantique nord-ouest sont la première raison
de la venue en grand nombre des Européens sur le continent
nord-américain. C'est l'industrie de la morue salée qui
justifie l'établissement de colonies sur la côte atlantique.
Ses méthodes resteront les mêmes durant des centaines
d'années. Les pêcheurs pêchent localement avec des
bateaux plutôt petits et font sécher le poisson près
de la plage sur des treillis de bois (étendoirs). Ces pratiques
favorisent la création de villages tout au long de la côte
comme en témoignent encore aujourd'hui les cartes routières
des provinces de l'Atlantique.
À la fin du XVIIIe siècle et au XIXe,
les pêches se multiplient et l'on capture d'autres poissons de fond
à part la morue (les poissons de fond sont les espèces
à chair blanche telles que l'aiglefin, la goberge et la plie qui
vivent près du fond), le hareng, le saumon et le phoque. La
pêche au homard connaît un grand essor vers la fin du
XIXe siècle.
Durant ses beaux jours du XIXe siècle, l'économie
maritime de la côte est repose sur plusieurs activités
connexes : la pêche, la coupe de bois dans plusieurs endroits, la
construction navale, le transport et le commerce. Les expressions « du
bois, de l'eau, du vent » et « des navires de bois et
des hommes de fer » décrivent vraiment une
réalité canadienne. Toutefois, vers la fin du XIXe
siècle et au début du XXe, les industries
complémentaires perdent de leur importance relative et la pêche
devient l'unique soutien de nombreux villages.
Au XXe siècle, les bateaux à moteur avec leur
capacité de pêche accrue peuvent se déplacer sur de
plus longues distances. Après la Deuxième Guerre mondiale
surtout, les usines de congélation du poisson de fond et d'autres
espèces éliminent le besoin de la salaison et du
séchage extérieur près de la plage. La technologie
permet de centraliser les pêches et de réduire la
main-d'uvre. C'est particulièrement vrai pour les
espèces à nageoires comme le poisson de fond et le hareng
qui forment de larges bancs; les navires motorisés peuvent les
suivre et les transporter sur de longues distances.
De plus grandes pêcheries dominées par les usines de
transformation se développent dans les ports tels Lunenburg, Canso,
Trepassey et bien d'autres. Avec la prolongation de la saison de
pêche et la fiabilité accrue de la livraison du produit, ces
pêcheries prétendent souvent à une plus grande
efficacité.
Toutefois, certains soutiennent que les petits bateaux sont tout aussi
rentables. En outre, ils possèdent une valeur sociale, même
mal définie. Les petits ports s'accrochent à leurs
pêcheries et à leur mode de vie.
Pendant que les pays compétiteurs adoptent les techniques modernes,
les pêcheurs de la côte atlantique canadienne s'occupent moins
de leur productivité par personne. Au XXe siècle,
le pêcheur moyen de l'Atlantique ne gagne jamais autant que le
Canadien moyen. La vie de pêcheur peut être incertaine, dure
et dangereuse, et beaucoup abandonnent la profession.
Toutefois, les situations varient; certains s'en tirent plutôt bien.
D'autres facteurs peuvent compenser, notamment le plaisir et les
défis de travailler sur la mer et la solidarité des petites
collectivités.
L'industrie aujourd'hui : ses gens et ses collectivités
Sur la côte atlantique, le ministère des Pêches et des
Océans (MPO) dénombre environ 12 000 pêcheurs
« désignés » qui sont chefs d'une
entreprise, ont un lien avec la pêche ou en sont tributaires, et
qui détiennent les principaux permis dans le secteur. Les
pêcheurs peuvent détenir plus d'un permis; en 1997, le
nombre total de permis pour les différentes espèces et
zones de la pêche commerciale de l'Atlantique s'élève
à près de 45 000. Compte tenu des participants non
désignés, le nombre total de pêcheurs atteint quelque
43 000.
Peu de femmes sont pêcheurs (en général, elles
préfèrent le titre de « pêcheurs »
plutôt que celui de pêcheuses). Elles sont beaucoup plus
nombreuses toutefois dans l'industrie de la transformation.
Les revenus varient beaucoup. Dans son rapport, le Groupe d'étude
fédéral sur les revenus et l'adaptation des pêches
de l'Atlantique de 1993 (rapport Cashin) déclare que quelques-uns
gagnent très bien leur vie, quelques autres assez bien et certains
plutôt mal. Il ajoute qu'en 1990 les deux tiers des pêcheurs
de l'Atlantique gagnent moins de 20 000 $ et près d'un quart
d'entre eux moins de 10 000 $.
Dans le même rapport, on indique que certains participants marginaux
utilisent les pêches pour obtenir de l'assurance-chômage, comme
on disait alors. L'assurance-chômage est un facteur majeur de
l'industrie et le demeure. Par exemple, en 1990, la moyenne des
pêcheurs autonomes de Terre-Neuve ou de
l'Île-du-Prince-Édouard déclarent tirer davantage
d'argent des prestations d'assurance-chômage que de la pêche
ou d'autres emplois.
L'histoire de l'industrie est marquée par la faiblesse des revenus
et l'instabilité. Néanmoins, aujourd'hui, malgré la
crise bien connue du poisson de fond, ceux qui restent dans l'industrie
semblent paradoxalement se tirer d'affaire presque aussi bien qu'auparavant
et parfois mieux.
Plus d'un millier de collectivités côtières, des plus
petites aux plus grandes, dépendent toujours en partie ou en tout
de la pêche. Beaucoup sont à la fois anciennes et,
jusqu'à un certain point, isolées, notamment à
Terre-Neuve et au Labrador. Depuis les quarante dernières
années, la route a rejoint presque tous les ports de l'île
de Terre-Neuve et la télévision est partout. Toutefois,
même aujourd'hui, si les membres des collectivités de
pêche se connaissent très bien les uns les autres ainsi
que leurs régions, certains sont, pour cette raison même,
de farouches protecteurs contre les intérêts
extérieurs.
Plusieurs pêcheurs de l'Atlantique n'ont pas de diplôme
d'études secondaires (quoique cette situation change). Ils ont
souvent commencé à pêcher très jeunes avec
leurs pères ou leurs proches ou avec quelqu'un qu'ils connaissaient
de la même région. Si ce système donne des
pêcheurs compétents, il élimine aussi d'autres choix
d'emploi. Cette situation renforce l'attachement à la pêche,
même quand des temps difficiles devraient inciter beaucoup d'entre
eux à chercher du travail ailleurs.
Les bateaux et les méthodes
La flottille totale qui comptait près de 29 000 bateaux en 1990,
n'en compte plus aujourd'hui que 20 300. La flottille comprend une grande
variété de types et de tailles de bateaux.
Les termes usuels de « côtier » et de
« hauturier » décrivaient mieux les petites
embarcations qui pêchaient près de la côte que les
goélettes qui pêchaient sur les bancs lointains durant des
semaines entières. Aujourd'hui, ces termes masquent la
réalité de la flottille. Des bateaux plutôt petits
peuvent très bien pêcher au large et de grands bateaux
peuvent pêcher près du littoral. Depuis la Deuxième
Guerre mondiale, un type de navire de taille moyenne ou
« semi-hauturier » long de 14 à 20
mètres, joue désormais un rôle très
important.
Les navires de plus de 30 mètres appartiennent habituellement
à de grandes entreprises (propriété d'actionnaires
ou familiale), qui possèdent pour la plupart des
intérêts dans des usines de transformation. Les navires de
cette taille pêchent habituellement au chalut (c'est-à-dire
qu'ils tirent des filets coniques destinés aux espèces
comme le poisson de fond et la crevette). Jamais nombreux même
avant le déclin du poisson de fond, on n'en compte plus que 80.
Un groupe de pêcheurs indépendants et d'entreprises
intégrées possèdent 75 autres navires de 20 à
30 mètres de long.
Les navires de 14 à 20 mètres, y compris les petits
chalutiers de poisson de fond, les senneurs à hareng (qui utilisent
des filets flottants pour encercler les bancs de poisson) et d'autres
types, possèdent une très grande capacité de
pêche. On en compte près de 900. La plupart appartiennent
à des « indépendants » (des individus
ou des familles), malgré l'accroissement du contrôle ou de
l'influence des entreprises dans certains secteurs.
Des 20 300 bateaux de la flottille, plus de 19 000 comptent moins de 14
mètres de long et 13 000 de ceux-ci font moins de 11 mètres.
Les bateaux de moins de 11 mètres utilisent habituellement un
équipement passif tel la palangre (des cordelettes munies
d'hameçons appâtés, appelés également
« chaluts »), des filets maillants ou des casiers
comme dans le cas du homard. Les plus gros bateaux utilisent toute une
gamme de méthodes.
La plupart des méthodes sont très anciennes, mais la
technologie d'après-guerre les a transformées et a
multiplié leur capacité de pêche. Des bateaux
plus puissants de plus grand tonnage, de meilleurs moteurs, des cordes
et des filets en nylon, et des moteurs hydrauliques ont tous accru la
capacité de pêche. Grâce à la radio, les
pêcheurs dispersés gardent contact les uns avec les autres
et avec les marchés; le radar permet de voir la côte et
d'autres bateaux dans la brume; le sonar permet de voir le poisson
sous l'eau; la navigation électronique permet aux pêcheurs
de savoir avec précision où ils obtiennent les meilleurs
résultats et comment y retourner.
Les captures
Aujourd'hui, les crustacés dominent les pêches de l'Atlantique,
ce qui représente un changement historique depuis la dernière
décennie. Le volume du poisson de fond, historiquement la meilleure
capture, a chuté du plus haut au plus bas niveau, et l'inverse
s'est produit pour les crustacés. Personne ne sait s'il y aura
renversement de la tendance.
Volumes (tonnes métriques) |
1989 |
1999 (préliminaires) |
Morue et autres poissons de fond (p. ex., sébaste, plie, goberge, aiglefin) |
685 000 |
151 000 |
Hareng et autres poissons pélagiques (p. ex., capelan, maquereau, thon) |
359 000 |
250 000 |
Crustacés (p. ex., pétoncles, homard, crevettes, crabe, palourdes) |
228 000 |
373 000 |
|
Les crustacés rapportent habituellement davantage par kilogramme
que toute autre espèce. En 1989, ils représentent plus de
la moitié de la valeur au débarquement; en 1999, ils
atteignent les quatre cinquièmes de la valeur au débarquement.
Valeurs |
1989 |
1999 (préliminaires) |
Morue et autres poissons de fond |
359 000 000 $ |
188 000 000 $ |
Hareng et autres poissons pélagiques |
85 000 000 $ |
74 000 000 $ |
Crustacés |
503 000 000 $ |
1,3 milliard de dollars |
|
Malgré le déclin catastrophique des stocks de morue et
d'autres poissons de fond dans les années 1990, la valeur globale
au débarquement de la côte atlantique a augmenté
grâce à la croissance du nombre de crustacés. Les
exportations augmentent également, de 1,5 milliard de dollars en
1989 à 2,7 milliards de dollars en 1999.
L'importance socioéconomique de l'industrie
L'industrie des pêches conserve une grande importance
économique, particulièrement dans l'exportation, et demeure
la base de nombreuses collectivités. Toutefois, elle domine moins
qu'avant, du point de vue économique, social et même culturel.
Les récentes hausses de la valeur au débarquement masquent
le déclin des emplois tributaires du poisson de fond, dont la
pêche et la transformation occupent plusieurs milliers de personnes.
Après le moratoire sur la pêche à la morue du Nord en
1992 et l'arrêt de la pêche au poisson de fond dans d'autres
secteurs, quelque 40 000 personnes ont perdu leur emploi sur les bateaux
ou dans les usines. Depuis la fin des années 1980 et le début
du déclin du poisson de fond, le gouvernement fédéral
a dépensé plus de quatre milliards de dollars en aide
liée à la pêche au poisson de fond.
À Terre-Neuve, tout particulièrement, si la pêche
conserve son importance malgré l'effondrement de la morue, elle
a perdu ce qu'on pourrait presque appeler sa prédominance
culturelle. La combinaison du moratoire sur la pêche à la
morue et la croissance des autres industries, y compris l'exploitation
pétrolière en mer, a modifié le paysage
économique de la province et son attachement psychologique à
la pêche.
Propriété et bien commun
La plupart des pêcheurs sont des travailleurs autonomes, mais les
entreprises privées ont toujours exercé une grande
influence : par leur force comme acheteuses et exportatrices sur le
marché, par la puissance des grands bateaux qu'elles
possèdent souvent, par leur fréquent soutien financier
des « indépendants » et par leur
représentation bien organisée.
Les pêches sont le bien commun du peuple canadien et, jusqu'à
ces dernières décennies, l'accès à la plupart
des pêches de l'Atlantique était ouvert à toute
personne qui pouvait se payer un bateau. Après la mise en place
du permis officiel de pêche « à accès
limité » il y a près de 30 ans, les permis et
les quotas détenus par les propriétaires-exploitants ont
acquis une valeur monétaire.
Aujourd'hui, un propriétaire-exploitant, ou une personne qui
désire le devenir, doit souvent faire face au coût
élevé des navires modernes et des permis qui donnent
accès aux pêches. Parfois, les coûts grèvent
les ressources des exploitants indépendants.
Selon un règlement gouvernemental, les navires de moins de 20
mètres doivent être exploités par leur
propriétaire. Toutefois, dans certains secteurs, les transformateurs
ont acquis le contrôle réel d'une partie des navires
semi-hauturiers. C'est une question délicate dans de nombreuses
collectivités où la concentration de la
propriété s'oppose aux longues traditions des entreprises
individuelles ou familiales.
Diversité, compétition et rivalité
Lorsqu'on dénombre toutes les espèces, secteurs et types
d'engins, la pêche de l'Atlantique comprend des centaines de
pêches différentes. Cette situation crée de
féroces rivalités, surtout pour l'accès au poisson.
Ainsi, le thon, le maquereau ou le hareng peuvent migrer dans de nombreux
secteurs durant l'année; malgré tout, les pêcheurs de
chaque secteur les considèrent comme « leur
poisson ».
Dans la pêche au poisson de fond, au sein d'une même petite
collectivité, les palangriers, les fileyeurs et les chalutiers se
livrent une compétition farouche. Toutefois, ces
intérêts se sont souvent unis contre les chalutiers hauturiers
appartenant aux grandes entreprises, même celles basées
à proximité. Et tous ces groupes disparates peuvent joindre
leurs forces contre les intérêts des autres régions
ou provinces.
Les conflits au sujet de la répartition des ressources (qui
représentent de l'argent) existent dans presque toutes les grandes
pêches. À l'occasion, il faut l'intervention du premier
ministre pour les résoudre. Pour les gens des collectivités
et des flottilles, la répartition est souvent une question de
survie, décidée par les autres. Les gens sur place vivent
une grande frustration et beaucoup de chagrin, car ils ont l'impression
de n'avoir aucune influence sur ce qu'ils considèrent comme des
décisions mystérieuses faites derrière des portes
closes.
Les conflits liés à la compétition entre les
différents genres d'engins, de permis et de répartition
des récoltes constituent le principal enjeu et le fardeau de la
gestion des pêches. C'est la responsabilité des gestionnaires
de ressources d'équilibrer les demandes concurrentes et de
parvenir à un équilibre encore plus fondamental entre les
demandes des pêcheurs et les besoins écologiques de la
ressource vivante.
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