La perspective canadienne
14. L'éventail complet des sujets traités à la
Conférence, dont les pêches, la pollution, l'exploitation
des grands fonds marins et le règlement des conflits, touchaient
aux intérêts du Canada dans une plus vaste mesure qu'à
ceux de la plupart des autres participants. Même les questions
archipélagiques touchaient le Canada, puisque l'archipel
arctique est situé à l'intérieur des frontières
canadiennes. Voici plusieurs exemples pour l'illustrer.
15. Le Canada avait déjà recensé de précieux
dépôts d'hydrocarbures dans la plate-forme continentale de
sa côte est (qui se prolonge, au large de Terre-Neuve, beaucoup
plus loin dans l'océan que la plupart des plateaux). Le Canada
tenait à garder pour lui, autant que possible, les avantages de
ces ressources, particulièrement pour la province de Terre-Neuve
pour laquelle de nouvelles ressources revêtaient une importance
toute particulière. (L'UNCLOS, au bout du compte, prévoirait
un arrangement de partage pour les régions situées en dehors
de la zone de 200 milles
marins[9].) En ce qui concerne
les ressources des grands fonds marins, le Canada avait deux grandes
préoccupations. Il craignait que l'exploitation des minéraux
des grands fonds marins, avec sa production prévue de nickel, puisse
faire baisser le cours mondial du nickel et avoir des répercussions
négatives sur les compagnies et les collectivités
minières du Canada. Le Canada voulait aussi s'assurer que le
régime légal adopté pour l'exploitation des grands
fonds marins suffirait à protéger les droits des
entreprises privées, dont feraient en principe partie les
compagnies canadiennes, souhaitant établir et exploiter des
sites miniers.
16. Au sujet des ressources biologiques, les secteurs côtiers
pacifique et atlantique du Canada détenaient les ressources
halieutiques parmi les plus riches du monde. Au moment du début
de la Conférence des Nations Unies, en 1973, les eaux territoriales
et les zones de pêche du Canada couvraient au total 70 600 milles
marins carrés. Avec l'expansion jusqu'à 200 milles marins,
elles couvriraient 673 000 milles marins carrés, lesquels
représentaient 96 p. 100 du total des prises qu'avaient
enregistré les navires canadiens et autres navires qui avaient
pêché au large de la côte est. Sur la côte
pacifique, le territoire et la zone de pêche du Canada passeraient
d'un total de 46 600 à 135 546 milles marins
carrés(10).
17. Les ressources de la côte est du Canada avaient, pendant des
siècles, attiré les navires de pêche de nombreux pays.
Dans la période qui a suivi 1958, un éventail toujours
croissant de nouveaux participants de l'Europe de l'Est et de l'Ouest se
sont joints aux exploitants traditionnels de l'Europe occidentale. La
capacité étrangère a connu une hausse
phénoménale tandis que la capacité canadienne restait
assez stable(11). Ensemble,
les prises canadiennes et étrangères ont fini par poser un
grave problème, l'amenuisement des stocks devenant apparent au
début des années
1970(12). L'organisation
internationale de gestion des pêches qui était en uvre
depuis la fin des années 1940, l'Organisation des pêches de
l'Atlantique nord-ouest (OPANO), ne parvenait pas à prévenir
l'appauvrissement des
stocks(13) et semblait
peu susceptible de pouvoir inverser la tendance.
18. Le gouvernement canadien était du même avis, sur ce qu'il
fallait faire, que de nombreux autres pays côtiers confrontés
à des problèmes similaires : étendre l'autorité
pour établir un contrôle sur la pêche afin de
protéger les stocks. Ainsi, les prises resteraient-elles dans les
limites requises pour assurer la conservation, et les pêcheurs
côtiers obtiendraient-ils la part préférentielle
maximale possible des prises. Le groupe de pays côtiers qui
partageaient ce point de vue à la Conférence des Nations
Unies était vaste et doté d'influence. Il était
composé, outre du Canada, des États-Unis, de la Russie,
de l'Argentine, du Chili, du Brésil, de l'Australie, de la
Nouvelle-Zélande, de la Norvège, de l'Islande et de beaucoup
d'autres. L'approche canadienne, cependant, différait de celle de
la plupart des autres pays côtiers parce que la limite de 200 milles
marins, considérée par beaucoup comme l'élargissement
maximal nécessaire, ne recouvrait pas d'importantes régions
d'habitat piscicole au large de la côte atlantique du Canada. La
plupart des régions situées au-delà de la limite de
200 milles marins fournissaient un habitat aux stocks de poissons
situés principalement à l'intérieur de la zone de
200 milles marins, mais qui évoluaient au-delà de ces 200
milles marins pendant une partie de l'année.
19. Les fonds de pêche au large de la côte atlantique du
Canada, appelés les « Grands Bancs »
s'étendaient bien plus loin que la zone de 200 milles marins
dans deux régions, celle du nord appelée le
« nez » et la région du sud appelée
la « queue » des Grands Bancs. L'habitat piscicole
situé au-delà des 200 milles marins couvre 327 000 milles
marins carrés, comparativement aux 673 000 milles marins
carrés situés à l'intérieur ce cette
limite(14). Cette situation
est la raison des propositions du Canada visant à accorder
à l'État côtier le contrôle sur le secteur
dépassant les 200 milles marins dans des situations
particulières où cela est sensé, du point de
vue de la gestion des pêches. Ces efforts, appuyés
principalement par l'Argentine dont la situation est similaire,
ont été vains.
20. Au moment où la limite de 200 milles marins était
proposée, seulement 4 p. 100 du total des prises au large de
la côte est du Canada, par le Canada et tous les autres pays,
venaient de l'extérieur de la zone de 200 milles
marins(15). Ce fait a
amené un autre écrivain, à ce moment-là,
à écrire que bien que ces régions au-delà
des 200 milles devaient faire partie intégrante de toute zone
de gestion du Canada, leur exclusion ne devait pas tellement nuire
à une gestion
efficace(16). (Cette
conclusion ne s'est cependant pas avérée juste; les
problèmes imprévus qui sont survenus sont décrits
plus loin.)
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