La propagation rapide des Paléoesquimaux anciens dans tout
l'arctique peut être attribuée à leur habilité
d'exploiter le territoire au-delà des migrations
saisonnières qui caractérisaient les cultures indiennes
qui dépendaient des forêts. En dépit de l'absence
d'une culture archéologique ancestrale située sur la
côte de la Mer de Béring dont pourrait dériver
le Paléoesquimau ancien, on privilégie une origine
occidentale étant donné l'absence de cultures
ancestrales potentielles en Alaska ainsi que l'apparition soudaine
du Paléoesquimau ancien dans de grandes régions
antérieurement inoccupées ou à peine
occupées. Dans le dernier cas, il y a une discontinuité
culturelle nette avec les occupations antérieures, ce qui
permet de conclure à un remplacement de populations
plutôt qu'à un changement culturel découlant
d'une diffusion d'ordre technologique. Quant aux langues
potentiellement parlées par les Paléoesquimaux
anciens, on a remarqué que quelques-uns des descendants
directs, les Tunis ou les Dorsétiens, étaient
des parlants inuits d'après les traditions orales des
parlants Inuits de notre époque dans l'arctique canadien
(Rasmussen 1931 :
113-114).
L'apparition soudaine et la dispersion rapide du
Paléoesquimau "...constituent non seulement le
début de la préhistoire de la plupart de
l'arctique américain mais révèlent aussi
l'un de ses principaux mécanismes d'intégration
à savoir le premier indice de l'intérêt dans,
et de l'habilité de coloniser, l'extrême arctique,
intérêt si fondamental à la conception qu'on
se fait généralement de la nature des Esquimaux
récents"
(Dumond 1984 : 74).
La caractéristique la plus singulière du
Paléoesquimau a certainement été
l'habilité de maintenir une population viable dans les
vastes toundras et sur le littoral gelé de l'arctique
de l'extrême nord. Une économie flexible, reposant
sur l'exploitation des ressources terrestres et marines, et une
technologie exceptionnelle ont permis à ces gens de
prospérer les premiers loin au nord de la
frontière forestière dans des régions
potentiellement habitables dès 5 000 avant J.-C.
(McGhee 1975 : 55).
Dans l'enregistrement archéologique de
l'hémisphère occidental, la propagation du
Paléoesquimau à travers l'Arctique canadien depuis
le nord de l'Alaska jusque dans le nord du Groenland pour
délimiter un territoire dont la configuration ressemble
à un triangle asymétrique de près de
5 000 km d'est en ouest et de 3 000 km du
nord au sud, constitue un accomplissement qui n'a été
dépassé que par la propagation des
Paléoindiens des milliers d'années auparavant. Il
y a des parallèles à établir avec les
migrations antérieures. La technologie du
Paléoesquimau ancien est d'une façon frappante
similaire depuis l'Alaska jusqu'au Groenland ce qui permet de
croire que la colonisation des nouveaux territoires n'a pas
été seulement une démarche rapide mais
qu'un degré inhabituel de cohésion culturelle et
de conservatisme a été maintenu dans le temps et
l'espace sur de vastes régions. Comme pour les
Paléoindiens, le déplacement des
Paléoesquimaux anciens s'est effectué dans des
territoires inoccupés sauf le long de la limite orientale
de leur territoire où ils ont remplacé ou
réoccupé l'ancien territoire des "Indiens". On
peut présumer que le gibier non habitué aux
prédateurs humains aurait constitué initialement
des proies faciles aux nouveaux arrivants, ce qui aurait
favorisé ainsi une propagation accélérée
des gens.
Dans toute cette région aussi énorme et topographiquement
diversifiée qu'est l'arctique, un degré exceptionnel de
mobilité a dû être maintenu afin de conserver les
secteurs culturels. L'homogénéité culturelle
aurait été favorisée par une organisation
sociale qui régissait de petites bandes et qui comportait des
règlements très flexibles eu égard à
l'adhésion des membres. Un tel système aurait le mieux
satisfait les exigences matrimoniales et sociales des bandes
individuelles et aurait contribué à former des bandes
étroitement reliées. Une série de bandes reposant
sur une parenté étendue aurait donc agi comme un
réseau social dans lequel les droits et les obligations
auraient fourni un degré de sécurité sociale de
toutes les parties composantes. Sans doute que les caprices de la
disponibilité des ressources dans l'arctique auraient
forcé le maintien d'une mobilité à la fois
physique et sociale dans un réseau social ample. Plusieurs
facteurs apparemment responsables du degré extraordinaire
d'homogénéité culturelle chez les
Paléoesquimaux anciens sont aussi présents chez leurs
voisins, les Bouclériens moyens qui vivaient plus au sud.
Un degré exceptionnel de mobilité, exigé par
le caractère dispersé des ressources d'origine animale,
se reflète dans les modes d'établissement. En plus de
l'adhésion flexible à une bande accessible aux
familles et aux individus, le mode de résidence des femmes
entre les bandes et d'autres mécanismes d'assurance
réciproque, notamment des partenaires de commerce entre
les bandes, auraient agi comme un agglutinant pour tenir ensemble
un système social géographiquement étendu.
À ce propos, les contraintes rencontrées par les
cultures de chasseurs dans l'arctique dénué d'arbres
et par les cultures de chasseurs forestiers, quoique
différentes en degré, auraient été
similaires de nature du fait que les deux régions exigeaient
un degré exceptionnel de mobilité et de
flexibilité sociale renforcée par un très
grand réseau de parenté consanguine et/ou fictive.
Alors qu'un tel réseau social aurait accommodé la
diffusion de caractères depuis l'arctique occidental,
notamment des outils en ardoise polie et des lampes en pierre,
les exigences locales auraient pu masquer le témoignage
de la diffusion en changeant la forme des techniques
introduites. L'insuffisante de nos connaissances quant au
rôle de la diffusion par stimulus, c'est-à-dire la
diffusion des connaissances technologiques plutôt que le
transfert physique direct et la reproduction des objets ou
ensembles techniques, a probablement inspiré la
supposition douteuse que les cultures de l'arctique
représentent des "systèmes fermés"
(Maxwell 1980 : 163).
Il y a controverse concernant l'opinion voulant qu'au moins deux
migrations initiales aient été impliquées
dans l'occupation de l'arctique canadien et du Groenland. Les
deux migrations auraient eu lieu lors des conditions climatiques
plus chaudes qui ont accru l'ampleur des plans d'eau qui
prévalaient entre 2 500 et 1 500 avant J.-C.
(McGhee 1978;
Nichols 1968;
1972). Se propageant
apparemment dans l'extrême arctique, la première
migration représentée par une sous-culture
appelée l'Indépendancien I
(Knuth 1952) n'a pas
été identifiée en Alaska et a
été datée par le radiocarbone à
une époque plus ancienne dans l'est que le
Paléoesquimau dans l'ouest. On présume donc
que les plus anciens sites de l'Alaska n'ont pas encore
été découverts. Cette migration entre
2 500 et 2 000 avant J.-C. a pu avoir été
suivie par un second mouvement de population qui a eu lieu dans
le bas arctique plusieurs siècles plus tard et qui est
attribuée à la sous-culture
pré-dorsétienne. Le Pré-Dorsétien
manifeste des similarités plus spécifiques avec le
Denbighien, sous-culture contemporaine du nord de l'Alaska, que
ce n'est le cas pour l'Indépendancien I. Subséquemment
à ces déplacements initiaux de colonisation, des
populations reliées à la sous-culture de
l'Indépendancien I semblent s'être dirigées
vers le sud en suivant la côte des îles de Baffin et
de là vers le nord de la côte du Labrador
(Cox 1978;
Fitzhugh 1976;
Tuck 1975) et jusqu'à
l'île de Terre-Neuve
(Tuck : Sans date). Dans la
même veine, vers 1 500 avant J.-C., des
Pré-Dorsétiens de la région du golfe du
Couronnement se dirigèrent depuis la côte arctique vers
l'intérieur lors d'une détérioration du climat
et s'établirent dans les Barrengrounds
(Clark 1987;
Gordon 1975;
Noble 1971). Quelques-uns de
leurs campements se retrouvent jusque sur la rive nord de lac
Athapasca en Saskatchewan
(Wright 1975) et dans le
nord du Manitoba
(Irving 1968). À peu
près en même temps que les Paléoesquimaux anciens
se déplaçaient dans les Barrengrounds, une population
apparemment petite de Pré-Dorsétiens adaptés
au milieu côtier se propageait en suivant les deux
côtés de la baie d'Hudson
(Nash 1969;
Taylor 1962).
Vers la fin de la Période III, plusieurs changements ont lieu
chez le Paléoesquimau ancien et marquent le début du
Paléoesquimau moyen, appelé Dorsétien, de la
Période IV. Le changement le plus significatif concerne,
croit-on, la construction d'iglous et l'établissement de
villages pour la chasse aux phoques sur la banquise. Des lampes
à l'huile en pierre ou des équivalents potentiels
non décelables en archéologie auraient constitué
des éléments techniques nécessaires au chauffage,
à la cuisson et à l'éclairage des iglous car
des foyers ouverts ne pouvaient pas être utilisés
dans des maisons de neige fermées. De telles lampes,
très rares chez les Paléoesquimaux anciens, deviennent
fréquentes après 1 000 avant J.-C.
Apparaît aussi ce qui est considéré comme des
couteaux destinés à la coupe des blocs de neige pour
la construction des iglous. Cependant, le témoignage
indirect indique que les villages hivernaux pour la chasse aux
phoques sur la banquise ont peu avoir existé durant la
Période III.
Sauf quelques exceptions, la conservation des restes organiques
dans les sites du Paléoesquimau ancien est faible ou nulle.
Cette situation constitue un contraste évident par rapport
aux occupations subséquentes, car le développement
croissant du pergélisol a assuré la conservation
non seulement des os mais des matériaux organiques,
notamment le bois. Par conséquent, l'étude de la
technologie du Paléoesquimau ancien doit compter sur
l'inventaire de l'outillage en pierre, une industrie
dominée par une classe distinctive de burins et leurs
chutes de ravivage. Si on en juge par les études de
l'usure des burins
(Gordon 1975;
Maxwell 1985), ils
fonctionnaient comme un genre de plane sur des matériaux
durs, notamment l'ivoire et l'os. Les chutes obtenues par la
méthode de "raviver" le tranchant du burin en
détachant un seul éclat ont pu avoir servi de
perçoirs. Les microlames obtenues de nucléus
spécialement préparés constituaient un
autre outil fréquent. Ces objets de grande importance
et les armatures, en moins grand nombre, de pointes
triangulaires et de pointes à pointe double pour les
flèches et les têtes de harpon, et les becs se
trouvent dans tout l'arctique de l'océan Pacifique
à l'océan Atlantique
(Maxwell 1985 :
Figure 3.4). Lorsque les instruments en os survivent, de
petites aiguilles comportant des chas ténus sont
généralement présentes. Plus rares sont
les harpons, initialement des types non basculants suivis des
variétés basculantes.
Le témoignage direct eu égard à la
subsistance est limité. Même quand les os sont
conservés, leur signification culturelle est douteuse,
particulièrement dans l'extrême arctique,
étant donné l'habitude de brûler les os
comme combustible et d'entreposer la nourriture
accumulée en automne en vue de leur consommation
hivernale. Le brûlage des os crée une distorsion
de l'échantillon faunique en faveur des restes de
petits gibiers qui étaient inappropriés comme
combustible, et l'entreposage saisonnier de la nourriture
confond les efforts pour déterminer la saison. Le
Paléoesquimau a généralement
été décrit comme ayant une
économie d'acquisition de la nourriture impliquant
l'exploitation des mammifères tant marins que
terrestres mais la nature variable du territoire immense en
question entraînait une variation régionale des
économies. Dans certaines régions, par exemple,
la chasse annuelle pouvaient se concentrer sur les caribous
et les bufs musqués ou, dans d'autres
circonstances, sur les phoques. De tous les
sous-systèmes culturels, les modes
d'établissement plus que les restes limités
d'origine faunique fournissent la base la plus fiable pour
juger des activités d'acquisition de la nourriture.
L'emplacement des sites dans tout le territoire du
Paléoesquimau indique que les adaptations pouvaient
être diffuses ou concentrées selon les
circonstances locales. Cependant, la majorité des
emplacements des sites indiquent une exploitation
saisonnière équilibrée des animaux
marins et terrestres impliquant la chasse au phoque sur
les plans d'eau en été, la chasse aux caribous
en automne dans l'intérieur vraisemblablement
conjointement avec la récolte de l'omble en
retournant sur les lacs de l'intérieur depuis
l'océan, et la chasse aux phoques sur la banquise en
hiver. Comme on l'a indiqué, il y avait plusieurs
variations dans les rondes saisonnières visant
l'acquisition de la nourriture mentionnée
précédemment, notamment l'importance
accordée à la chasse aux bufs
musqués par l'Indépendancien I dans le
nord-est de l'extrême arctique. Un autre
écart des rondes saisonnières
destinées à l'acquisition de la nourriture
impliquant la dichotomie mer/terre était le fait
des chasseurs adaptés au caribou de
l'intérieur et des pêcheurs des Barrengrounds
du district du Keewatin quoique qu'on ne peut percevoir
clairement si l'adaptation à l'intérieur des
terres revêtait un caractère permanent ou
constituait un événement saisonnier.
Un très faible témoignage nous donne un
aperçu des croyances cosmologiques des
Paléoesquimaux anciens. Quelques fragments de
petits masques en os provenant de sites très
récents situés dans la région d'Igloolik
(Maxwell 1985)
constituent des indices d'une forme quelconque de chamanisme.
Cette fonction découle partiellement de l'art
varié en deux ou trois dimensions du
Paléesquimau moyen durant la Période IV. Un
petit masque saisissant découvert dans l'extrême
arctique semble représenter le tatouage d'un
individu mais le symbolisme du motif est inconnu
(Helmer 1986). Comme
pour la plupart des groupes de chasseurs, les
Paléoesquimaux croyaient vraisemblablement que tous
les objets et les éléments avaient des pouvoirs
spirituels. Ces pouvoirs, généralement
indifférents aux humains qui constituaient aussi une
partie intégrale du système, pouvaient, en
fonction du comportement approprié ou non de la part
des individus, provoquer des réactions bonnes ou
mauvaises. Les chamans étaient les individus dont
les pouvoirs spéciaux permettaient de manipuler
les esprits dangereux.
Sauf les contacts culturels avec l'arctique occidental
qu'entraînaient l'essaimage et la mobilité des
individus et des familles, les Paléoesquimaux anciens
semblent avoir eu relativement peu de contacts avec leurs
voisins. Leurs voisins au Canada étaient la culture
de l'Intérieur du Nord-Ouest dans le subarctique
oriental, le Bouclérien moyen dans le sud du district
du Keewatin et dans toute la forêt boréale
jusqu'à la côte du Labrador, et le Maritimien
moyen sur la côte du Labrador. Au fur et à
mesure que les Paléoesquimaux anciens franchirent
la frontière nord de ses voisins, on peut
présumer que, en dépit d'une certaine
contraction vers le sud de ces dernières cultures
en raison de la détérioration du climat, les
intrus étaient considérés comme des
ennemis. Le témoignage de contacts directs entre
les Paléoesquimaux anciens et les Maritimiens moyens
dans le nord de la côte du Labrador revêt la
forme d'outils étrangers diagnostiques impliquant
l'addition à la technologie du Paléoesquimau
ancien relative aux harpons à tête basculante
qui ressemblaient aux formes du Maritimien moyen et, dans
les sites du Bouclérien moyen, l'apparition de
pointes de projectile à encoches latérales
symétriques, qu'on croit être des pointes de
flèche. De telles formes de pointes de projectile
ont des prototypes dans des sites du Paléoesquimau
ancien. Ainsi, il semble y avoir eu un échange
d'éléments techniques se rapportant à
la chasse, notamment les harpons à tête basculante
du Maritimien moyen et l'ensemble arc et flèche du
Paléoesquimau ancien
(Tuck 1976a).
Un nouveau né ou un enfant prématuré
découvert dans un sol d'occupation du site Rocky Point
sur l'île Devon
(Helmer and Kennedy 1986)
représente les seuls restes squelettiques en
existence qui peuvent certainement être attribués
au Paléoesquimau ancien. Étant donné
l'âge de l'individu, on ne peut rien dire de ses
affinités biologiques. La conservation limitée
des os durant la Période III et la possibilité
que les restes des défunts aient été
détruits par leur exposition aux éléments,
réduisent les chances que des échantillons
susceptibles d'éclairer les affinités raciales
soient jamais découverts. Cependant, quant au
Paléoesquimaux moyen (Dorsétien) de la
Période IV, il semble "vraisemblable de prédire en
toute sécurité que les restes squelettiques de ces
cultures vont se conformer au modèle morphologique des
Mongoloïdes de l'arctique"
(Oschinsky 1964 :
32).
En dépit de la surface exceptionnelle des sites mis au jour,
spécialement dans l'extrême arctique, la nature du
témoignage du Paléoesquimau ancien souffre de limites
importantes. Ces limites découlent des reconnaissances
archéologiques souvent restreintes aux centres actuels de
populations et de transport, la faible visibilité
archéologique des vestiges archéologique peu
nombreux laissés par des chasseurs très mobiles,
les conditions des sols qui ont détruit les
matières organiques, le soulèvement isostatique
isolant les anciens sites à l'écart des
régions des activités humaines récentes,
l'érosion et la poussée des glaces sur les rives
des rivières, les conditions du pergélisol qui
ont détruit ou mélangé les
dépôts stratifiés, et l'accumulation des
dépôts de tourbe dans le bas et l'ouest de l'arctique
qui a enseveli les restes archéologiques les plus anciens.
En compensation partielle de ces inconvénients, on note
la nature facilement reconnaissable de l'industrie lithique
des Paléoesquimaux anciens et l'usage
préféré par ces derniers des cherts de
haute qualité et souvent de couleurs brillantes.
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