Il est opportun de considérer la culture de l'Intérieur
du Nord-Ouest dans son milieu géographique. Le relief de la
région est topographiquement dominé par la
Cordillère en direction nord-ouest comprenant des chaînes
de montagnes près du littoral et à l'intérieur,
et des chaînes de montagnes plus petites séparées
par des plateaux. Les principaux systèmes de drainage sont la
rivière Yukon et le fleuve MacKenzie, deux des plus grands
cours d'eau au monde. Dans le cadre de cette mosaïque complexe
de formes terrestres, de petites bandes de chasseurs vivaient de
poisson et de caribou ainsi que de petit gibier disponible en saison,
d'oiseaux aquatiques, de mouflon de montage, d'orignal, de bison et
de baies. Survivre dans une région où les ressources
alimentaires sont très dispersées et où les
périodes de grande abondance suivent le périodes de
grande disette a toujours exigé un mode d'acquisition de la
nourriture fondé sur un comportement varié et
flexible.
Les rares vestiges archéologiques éparpillés
qu'ont abandonnés de petits groupes mobiles de personnes ont
obligé les archéologues à recourir à des
critères relativement simples et souvent équivoques
pour formuler les reconstitutions culturelles. Il ne faut donc pas
se surprendre des nombreuses controverses et de la
prolifération des désignations dont Denali, les
Microlames du Nord-Ouest, le Paléoarctique américain,
le Tuktu, et l'Archaïque du Nord-Ouest. Les deux dernières
formations comprennent des assemblages de pointes encochées
sans l'industrie des microlames pour les distinguer, croit-on, des
autres. La présence ou l'absence de ces deux
éléments techniques, les pointes de projectiles
encochées et les microlames, a constitué les deux
principaux critères susceptibles de distinguer les cultures
dans cette région. Par exemple, on a proposé que,
vers 4 000 avant J.-C., des chasseurs archaïques provenant
de l'extrême est de l'Amérique du Nord, possédant
des pointes de projectile encochées, essaimèrent vers
le nord depuis les plaines lors de l'expansion de la forêt
boréale et déplacèrent les populations
indigènes dont l'outillage se caractérisait par des
microlames
(Anderson 1970). En
dépit du fait qu'un enregistrement considérable
n'appuie pas le simple remplacement, par une culture
étrangère provenant des plaines, d'une culture
antérieure se servant de microlames, cette supposition est
encore généralement acceptée comme modèle
important d'histoire culturelle dans la région
(Clark 1987;
Dumond 1978) mais avec une
hésitation et une réticente croissantes
(Clark 1992). Pour se
conformer à l'enregistrement archéologique, la
conquête et l'assimilation explicites dans l'hypothèse
ont dû avoir eu lieu à différents moments dans
différentes régions. Dans cet ouvrage, on rejette
l'hypothèse d'un remplacement de population car le corpus
considérable de témoignage que fournit
l'enregistrement archéologique prêche en faveur
d'une continuité culturelle et non d'un remplacement
culturel. La discontinuité culturelle que suppose
l'hypothèse du remplacement semble découler d'une
acceptation excessivement optimiste des valeurs taxonomiques des
pointes encochées et des microlames comme repères
pour la totalité des cultures. À notre opinion,
l'apparition soudaine des pointes encochées ne
représente pas un influx de population mais constitue
plutôt la preuve de la diffusion vers le nord de l'ensemble
technique du propulseur, un procédé qui
débuta 4 000 ans plus tôt dans le sud-est de
l'Amérique du Nord. On a donc jugé nécessaire
de désigner la culture en question par un nouveau nom afin
d'éviter une association classificatoire avec, et une
dépendance des, microlames ou des pointes de projectile
encochées. La culture de l'Intérieur du Nord-Ouest
est, on l'admet volontiers, une reconstitution provisoire mais
elle est suffisamment flexible pour accommoder les caprices
d'un enregistrement archéologique appauvri dans une
région soumise à des influences provenant de
différentes directions. Les difficultés que
rencontrent les linguistes dans leur effort de classifier les
langues de la famille athaspascane qui, dans cette même
région, partagent des caractéristiques
linguistiques régionales
(Krauss and Golla 1981 :
68), semblent se refléter dans l'enregistrement
archéologique.
L'enregistrement archéologique limité qui remonte à
5 000 avant J.-C. dans le centre du district du Mackenzie
(Clark 1987 : 148) indique
qu'a eu lieu une poussée des Paléoesquimaux anciens dans
l'intérieur vers 2 000 avant J.-C. Cette situation ne
s'applique pas au sud-ouest du district du Mackenzie, au territoire
du Yukon, dans l'ouest de la région du Grand Lac de l'Ours,
dans d'autres parties du corridor du Mackenzie ni dans le nord-est
de l'Alberta
(Clark 1987;
Gordon and Savage 1973;
1974;
LeBlanc and Ives 1986;
Losey et al. : Sans date;
MacNeish 1954;
1955;
Millar 1981). Comme il n'y a
aucune explication environnementale pour justifier le vide humain
qu'on remarque dans le centre du district du Mackenzie, il s'agit
vraisemblablement d'un problème de visibilité
archéologique plutôt qu'une absence véritable
d'êtres humains.
La situation géographique du nord-ouest de l'Amérique
du Nord est propice au rayonnement des influences provenant de
plusieurs directions mais ses affinités principales semblent
provenir de l'ouest, plus précisément de l'Alaska. Il
n'y a aucun témoignage d'influences provenant de l'est des
Barrengrounds du district du Keewatin et de l'est de district du
Mackenzie. En dépit des affirmations contraires, les
influences depuis le sud provenant des plaines semblent impliquer
la diffusion d'ordre technologique, notamment le propulseur,
plutôt que d'indiquer des intrusions démographiques.
Par exemple, les formes de pointes lancéolées de
l'intérieur du nord-ouest qui sont fréquemment
attribuées aux Planoïens des plaines semblent ne pas
être reliées à celles des plaines en raison
des datations, de l'existence d'une césure dans la
distribution géographique des pointes en question et de
différents caractères des pointes mais constituent
plutôt l'armature d'une arme distinctive d'un style de lance
du nord. Il est possible que l'importance de la chasse communale
aux troupeaux de caribous dans le nord-ouest de l'Amérique
du Nord ait contribué à la rétention de la
lance de main longtemps après sa disparition ou la
réduction de sa popularité dans d'autres
régions de l'Amérique du Nord. Le fait que de telles
pointes lancéolées se trouvent avec ou sans pointes
de projectile encochées ou de microlames souligne le
problème de se fier à un nombre limité de
"fossiles directeurs' pour classifier les cultures. Étant
donné les problèmes chroniques des petits
échantillons de matériels généralement
non décrits récupérés dans des
contextes faibles qui caractérisent l'archéologie
du nord-ouest de l'Amérique du Nord, il n'est pas surprenant
qu'il y ait des problèmes de classification. De tels
problèmes découlent directement des limites de la
base de données aggravées par une confiance indue
à l'égard des outils formels limités,
notamment les microlames, les burins, et les pointes de projectile
encochées et lancéolées.
Vers le début de la Période III, la technologie de
la culture de l'Intérieur du Nord-Ouest (phase moyenne)
se caractérise par l'industrie des microlames
détachées de nucléus cunéiformes et de
forme tabulaire, plusieurs variétés de burins dont
les burins transverses sont les plus distinctifs, des pointes
lancéolées, une variété de grattoirs
et de couteaux bifaciaux, des becs, des mèches de foret,
des poids de filet et d'autres objets de moindre importance. Les
outils les plus répandus étaient des outils
occasionnels sur éclats. Lorsque l'industrie des
microlames a commencé à décliner, les
pointes de projectiles encochées ont été
introduites. Il y avait aussi une augmentation des grands couteaux
bifaciaux et des grattoirs. Les pointes de projectile
encochées semblent s'être greffées sur un
assemblage déjà existant mais à
différents moments dans différentes régions.
Par exemple, les pointes encochées semblent aussi anciennes
que 5 500 avant J.-C. dans le nord de l'Alaska mais aussi
récentes que 3 750 avant J.-C. dans le sud-ouest du
Yukon.
La faible conservation des os restreint l'enregistrement relatif
à la consommation de la nourriture. La distribution des
sites indique que la pêche était une importante
activité en été et à l'automne
comportant des stations de pêche qui, vraisemblablement
à cette période de l'année, fournissait
l'occasion à une bande ou à des bandes de se
rassembler au même endroit pour arranger les mariages et
réaffirmer la solidarité de la société.
Cependant, une telle généralisation ne doit pas
nous faire oublier qu'un enclos de caribous réussi aurait
permis de grands rassemblements de personnes à un seul
site en hiver mais dont les endroits sont très difficiles
à découvrir par les techniques actuelles de
reconnaissance archéologique. Quant à la
distribution des modes d'établissement et à leur
pertinence au déplacement hypothétique des
utilisateurs des microlames sous la pression des utilisateurs
des pointes de projectiles encochées, les deux assemblages
se trouvent très souvent dans les mêmes sites
indiquant qu'il n'y avait aucun changement significatif dans
l'usage des sites et, par conséquent, de la nature de
la subsistance. Une telle continuité de mode
d'établissement et, on le présume, de subsistance
apporte un appui à l'argument qu'un remplacement culturel
n'a pas eu lieu et que le changement était le produit
d'une diffusion technologique et de tendances temporelles. Il
y consensus au sein des archéologues que la portion
récente de ce développement culturel a conduit
directement aux groupes historiques des parlants athapascans
du nord-ouest de l'Amérique du Nord.
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