En dépit d'un enregistrement archéologique plus riche,
plusieurs problèmes gênent notre perception du GLSaint-Laurent
moyen ou, comme on l'appelle souvent, de l'Archaïque laurentien. Au
premier rang de ces problèmes se trouve le fait que l'outillage des
sites a en majorité été récupéré
à la surface de champs labourés. Même dans le cas de
fouilles, l'outillage des sites du GLSaint-Laurentien est habituellement
mélangé de façon inextricable à des
débris archéologiques plus anciens ou plus récents.
Les sites d'une seule occupation, particulièrement les plus anciens
de la Période III et ceux qui sont situés à l'est de
l'Escarpement du Niagara dans le sud de l'Ontario, sont extrêmement
rares. On fait aussi face à un problème taxonomique; la
priorité variable accordée à certaines facettes de la
technologie peut conduire à assigner un site à
différentes cultures, notamment le Maritimien moyen ou le Lamokien
de l'État de New York et de la péninsule voisine de Niagara
dans le sud de l'Ontario. La montée du régionalisme et la
difficulté de faire une distinction entre les innovations techniques
et les intrusions de populations ont davantage compliqué l'analyse,
particulièrement vers le fin de la Période III. En outre, il
semble y avoir des différences significatives entre les
sociétés qui ont occupé l'un ou l'autre
côté de l'Escarpement du Niagara. Les ressources abondantes
de chevreuils, de dindes et de noix dans les forêts plus riches de
l'ouest ont pu avoir permis des modes d'établissement plus
dispersés qui ne comportaient pas, comme ça semble
être le cas dans les établissements contemporains à
l'est, des rassemblements à des endroits favorables à la
pêche en saison chaude. Par contre, à l'embouchure des
rivières à l'ouest, plusieurs endroits potentiels de
pêche de saison chaude ont probablement été
noyés. Même si la visibilité archéologique des
sites s'est améliorée, cette amélioration n'est que
relative par rapport à la Période II. Le changement du niveau
des eaux dans les Bas Grands Lacs, particulièrement avant 3 500
avant J.-C. mais aussi récent que 1 000 avant J.-C. dans
certaines régions, a contribué à l'inondation de
plusieurs sites; par contre, la fluctuation du niveau des eaux du Lac Huron
et la décharge accrue des Hauts Grands Lacs dans la rivière
des Outaouais ont engendré des modes d'établissement qui ne
correspondent que partiellement à la conformation actuelle des
rivages et des limites des rivières. Même dans les aires de
grande stabilité dont la haute vallée du fleuve Saint-Laurent,
le fait que des gens aient occupé les mêmes endroits pendant
plusieurs milliers d'années ont produit des sites dont les
occupations multiples sont mélangées. Cette difficulté
d'isoler les différentes couches et des échantillons
représentatifs a contribué de façon importante
à aggraver les problèmes courants de classification.
Le cur du GLSaint-Laurentien moyen ou de l'Archaïque
laurentien était la forêt mixte de bois franc (feuillus)
et de bois mou (conifères) du bassin du Haut Saint-Laurent de
Québec et de l'Ontario, des Bas Grands Lacs et du nord des
États de la Nouvelle-Angleterre jusque dans l'intérieur
du Maine et du Nouveau-Brunswick. Selon les mots mêmes de
l'inventeur du concept de l'Archaïque laurentien, "On peut
considérer que le Laurentien fait partie intégrante
d'une longue continuité culturelle de l'Archaïque,
largement répandue dans tout le nord-est de l'Amérique
du Nord et dont la région principale de son développement
et de sa diffusion serait le sud-est de l'Ontario, le sud du
Québec, et le nord de l'État de New York. Ses traits
les plus diagnostiques se manifestent dans une variété
morphologique considérable, comprenant la gouge, l'herminette,
les pesons, les pointes et les couteaux en ardoise polie dont la forme
semi-circulaire ou l'oulou qui se trouve aussi en pierre taillée;
des formes simples de poids de propulseur; une variété de
pointes de projectile en pierre taillée, principalement certaines
formes comportant des lames larges et des encoches latérales; et
la pointe en os barbelée"
(Ritchie 1965 : 79-80).
Vers le début de la Période III, le GLSaint-Laurentien
moyen pénétra dans l'ouest du Nouveau-Brunswick et dans
certains secteurs de la Nouvelle-Angleterre. L'occupation semble avoir
correspondu à des excursions de courte durée quoique des
développements plus récents de l'intérieur sont
encore mal compris. Les gens qui vivaient dans le réseau de
lacs et de rivières reliés entre eux et compris dans la
province végétative de la forêt des
Grands-Lacs/Saint-Laurent dépendaient du chevreuil et du poisson
ainsi que d'une grande variété de petits gibiers et de
plantes comestibles. L'outillage ancien comprenait certaines
catégories d'instruments acquis des Maritimiens anciens et
moyens de la basse vallée du Saint-Laurent et de la côte
atlantique. Ces objets : des baïonnettes, des pointes de
projectile et des oulous, tous en ardoise polie, des pesons et des
gouges ont fini par être considérés comme des
outils diagnostiques des GLSaint-Laurentiens moyens en dépit
de leur nombre limité et de leur origine depuis une autre
culture. La distribution de ces traits diminue progressivement au fur
et à mesure qu'on se dirige vers le sud et l'ouest
(Wright 1962). Il y a donc un
problème de classification; des sites contenant un outillage
typique en pierre taillée ne sont pas assignés au
GLSaint-Laurentien "classique" simplement parce qu'il leur manque
le saupoudrage requis d'instruments "diagnostiques" en pierre polie.
Dans un effort pour surmonter ce problème, de tels sites
remontant à la Période II ont été
appelés proto-laurentiens
(Funk 1988). Cependant, cette
nomenclature n'explique pas la grande distribution des sites qui,
remontant à la Période III, sont dénués
d'outils en pierre polie mais partagent tous un outillage en pierre
taillée
(Dragoo 1959;
1966). Certains
archéologues ont regroupé dans l'Archaïque des
lacs et forêts
(Snow 1980;
Tuck 1978) les assemblages
qui témoignent de l'industrie de la pierre taillée.
En plus d'adopter des traits originaires du Maritimien moyen, le
GLSaint-Laurentien a emprunté les poids de propulseur ou
d'atlatl en pierre polie du sud. En fait, le GLSaint-Laurentien
constitue un excellent exemple de la manière avec laquelle
des traits empruntés à des cultures avoisinantes se
greffent sur un outillage prédominant en pierre taillée
pour produire un outillage dont la variété spatiale
présente des problèmes de classification qui confondent
les archéologues. À une classification restrictive du
GLSaint-Laurentien
(Ritchie 1965 : 79-80),
on préfère une définition plus étendue
qui privilégie un outillage dominant, quoique simple, en
pierre taillée plutôt que des outils relativement
rares en pierre polie dont faisait état la définition
originelle. L'évocation de ce problème de
classification se trouve dans plusieurs articles
(Funk 1988;
Tuck 1977).
Dans les rares cas où des outils en os ont survécu,
ces derniers comprennent des aiguilles, des harpons
unilatéralement barbelés avec ou sans trous de ligne,
des harpons coniques à tête basculante avec un trou de
ligne, des pointes de lances, des poignards, des alènes et
des outils en incisives de castor. Des instruments en cuivre natif,
quoique largement répandus, ne sont courants que dans la
vallée de l'Outaouais qui semble avoir été un
centre de manufacture et de distribution d'objets en cuivre
(Kennedy 1962;
1966;
1970). Parmi la grande
variété d'objets en cuivre, les alènes, les
perles, les barrettes à pointe double, les pointes de lances,
et les couteaux sont les plus fréquents.
Vers le début de la Période III, les cimetières
apparaissent en association avec de grands camps de base
érigés pour la saison de la pêche. Quoique les
sépultures en position étendue et fléchie sont
les plus nombreuses, les sépultures en faisceau et les
crémations permettent de croire qu'on s'efforçait de
rapporter à des camps de base particuliers les restes de ceux
qui mouraient ailleurs. Ceci permet de supposer que de tels sites
dépassaient leurs fonctions économiques et
constituaient des "endroits sacrés". La mise en place
d'offrandes funéraires auprès des défunts et
l'usage d'ocre rouge dans les sépultures étaient
variables mais devinrent de plus en plus fréquents avec le
temps. Les gens étaient robustes et avaient une musculature
forte. Une nourriture abrasive engendrait une grave perte de dents
et entraînait une maladie périodontale mais la plupart
des individus étaient libres de pathologies identifiables
sauf les cas de fractures et, chez les plus vieux, d'arthrite. La
parenté biologique avec les populations environnantes qu'ont
retracée les anthropologues physiques est plutôt
ambiguë (e.g.
Pfeiffer 1977 contre
1979), ce qui n'est pas
trop surprenant étant donné la nature dispersée
et de l'état généralement petit et
fragmentaire des échantillons comparatifs. Lorsque les
échantillons de sépultures proviennent de la
même région mais s'échelonnent sur
différentes périodes, notamment aux sites de
l'île Morrison-6 et de l'île aux Allumettes dans la
vallée de l'Outaouais
(Kennedy 1966;
Sans date), un lien
biologique étroit est apparent
(Pfeiffer 1979). La
distribution de certains outillages et d'objets exotiques indique
que les GLSaint-Laurentiens moyens avaient des contacts non
seulement avec des bandes apparentées mais aussi avec leurs
voisins les Maritimiens et Bouclériens ainsi qu'avec
d'autres gens au sud.
Vers 2 000 avant J.-C., des éléments de la culture
de Susquehanna sont présents sur la côte du
Nouveau-Brunswick
(Sanger 1975), dans la
vallée du Saint-Laurent
(Clermont et Chapdelaine 1982;
Dumais 1978) et dans le
sud de l'Ontario
(Kenyon 1980;
Watson 1981). On discute
encore pour attribuer ces éléments à des
mouvements de populations ou à une transmission de technologie.
Cette influence semble avoir été marginale au
GLSaint-Laurentien moyen qui, on le suppose, a continué
à se diversifier régionalement et à
établir la culture de base du GLSaint-Laurentien récent
de la période IV. La difficulté d'isoler les sites
à couche unique pour des fins de comparaison a affaibli la
démonstration archéologique de ce développement
in situ. Une synthèse récente de l'Archaïque de
l'Ontario méridional
(Ellis et al. 1990) fait
état d'une interprétation différente. Dans cette
synthèse, la chronologie est divisée en trois
unités consécutives après 3 259 avant J.-C.
et repose sur la forme des pointes de projectiles : les Pointes
étroites, les Pointes larges, et les Pointes petites,
respectivement
(Ibid : Figure 4.1, 69).
Les données pour établir cette série de pointes
proviennent en très grande partie de sites de surface
situés à l'ouest de l'Escarpement du Niagara dans
l'Ontario méridional et, par extrapolation, de sites dans
l'État de New York. Cette reconstitution est en net contraste
avec la situation dans la vallée de l'Outaouais où les
fluctuations du débit d'eau a altéré les modes
d'établissement locaux et ont permis un certain isolement des
couches d'occupation. Au site de l'île Morrison-6
(Kennedy 1966), certaines
pointes de projectiles typiques du GLSaint-Laurentien moyen (phase
de l'Archaïque laurentien-brewertonien) étaient
associées à des pointes qui auraient été
autrement classifiées comme des "Pointes étroites" ou
des "Petites Pointes". L'Archaïque des "Pointes Larges"
(l'Archaïque de Susquehanna) est considéré comme
une "diffusion technique" dans le sud de l'Ontario plutôt que
d'être le produit de l'intrusion d'une population
(Ellis et al. 1990 :
99-100). L'étude approfondie du complexe de Satchett, une
manifestation de l'horizon très répandu des Pointes
larges
(Kenyon 1980 : 18), a
souligné que ce phénomène peut ne pas être
"...une désignation taxonomique valide pour une phase ou une
culture archéologique..." mais plutôt la diffusion
d'une technique de chasse qui a commencé dans le sud-est des
États-Unis et a gagné le nord jusqu'à la
côte atlantique et l'ouest jusqu'aux bas Grand Lacs. La
corrélation de certaines variétés de larges
pointes avec la province végétative de la forêt
de feuillus, mais non avec la province végétative des
Grands-Lacs-Saint-Laurent, permet de supposer que des populations
plus abondantes de chevreuils dans la première ont
constitué un facteur favorable à l'expansion de ces
types de pointes. Au contraire, les données provenant du site
Inderwick dans la région des lacs Rideau dans l'est de
l'Ontario méridional
(Watson 1981) soulève
la possibilité d'une intrusion de la part de la population
des "Pointes larges". Dans ce site, un assemblage évidemment
relié à l'Archaïque de Susquehanna est
très distinct des objets attribués au
GLSaint-Laurentien. Malheureusement, le contexte archéologique
du site a été perturbé par des niveaux d'eau
élevés et, comme dans le cas des collections
généralement de surface de l'ouest de l'Ontario
(Kenyon 1980 : 24),
n'apporte rien au débat concernant une diffusion
technologique ou l'intrusion d'une population. On a alors
l'impression que, jusqu'à ce que plus de renseignements
proviennent de sites constituants bien identifiés, la
constitution culturelle du GLSaint-Laurentien moyen devrait
demeurer ouverte et flexible.
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