En dépit des ressources marines communes, les diverses
régions écologiques occupées par les
Maritimiens moyens ne pouvaient vraisemblablement constituer
l'écoumène d'une culture homogène. Des
variations régionales importantes de cette culture se
trouvaient sur la Côte-Nord du golfe du Saint-Laurent
depuis Québec jusqu'à la région adjacente
du Labrador et sa côte orientale, sur l'île de
Terre-Neuve, dans les provinces maritimes et le Maine voisin,
et dans l'estuaire du Saint-Laurent. Jusqu'à un certain
degré qu'on ne peut déterminer, ce
régionalisme reflète des données
archéologiques variables. C'est seulement au
commencement de la Période III que se termine dans les
provinces maritimes la "Grande Césure" des
données culturelles qui a suivi le Paléoindien
(Tuck 1984). Les
conditions locales du passé qui se rattachent au
changement des niveaux de la mer, à l'amplitude des
marées et à ses effets secondaires constituent
d'autres facteurs pertinents qui expliquent le peu de
visibilité des Maritimiens moyens. À 4 000
avant J.-C., par exemple, l'apparence géographique de
certaines régions était étonnamment
différente alors que l'île du Prince Édouard
était encore rattachée aux Nouveau-Brunswick et
à la terre ferme de la Nouvelle-Écosse. Le Labrador
et les régions adjacentes du Québec constituent
sans aucun doute la région la mieux connue en raison des
recherches archéologiques intensives qui y ont
été faites et de l'émergence de la
côte qui a isolé des sites sur des anciennes
terrasses. L'île de Terre-Neuve, sauf quelques exceptions,
n'a pas été soumise à un effort
concerté de recherche et souffre en outre de la submersion
de ses rives qui aurait noyé la plupart des sites d'avant
3 000 avant J.-C. Des recherches récentes dans
l'estuaire du Saint Laurent, au Québec, n'a produit que
quelques comptes rendus archéologiques importants.
L'émergence des côtes de cette région
où les mers Goldthwait et Champlain ont
découpé des terrasses bien démarquées
et géologiquement datées nous réserve des
surprises. Dans le moment, les sols généralement
acides de la grande partie de la région et la tendance
des sites à avoir un outillage important en pierre
taillée ont compliqué le procédé
comparatif. Dans les provinces maritimes et les régions
contiguës du Maine, la submersion et l'érosion des
côtes entre 8 000 et 3 000 avant J.-C. ont sans
doute été les facteurs les plus limitatifs.
Paradoxalement, il y a une abondance relative d'information sur
les pratiques mortuaires des Maritimiens moyens de cette
région. Les cimetières "Red Paint" sans "restes
humains" du Maine ont attiré beaucoup d'attention et
ont été le sujet de spéculation au
début du siècle
(Moorehead 1922;
Willoughby 1935).
En dépit de cette variabilité culturelle
régionale, les donnés reliées à
la technologie, à la cosmologie, à la subsistance,
et aux modes d'établissement laissent croire à
l'existence de plusieurs sociétés
indépendantes qui partageaient une culture plus ou moins
commune distincte de celle de leurs voisins. Les
éléments culturels comparables dans une
région aussi grande et variable sont vraisemblablement
dus aux facteurs interreliées d'une technologie commune,
un mode de vie similaire, des réseaux de commerce
intégrés, une perception cosmologique commune,
et la mobilité des femelles au mariage dans le cadre
de bandes de chasseurs exogames et patrilinéaires. Le
système de transport maritime aurait joué un
rôle de première importance pour développer
ces similarités culturelles. Certains chercheurs vont
probablement considérer que ce genre de reconstitution
appliqué aux Maritimiens moyens est
prématuré et repose trop lourdement sur des
pratiques mortuaires communes
(Sanger 1973 :
106).
Certains caractères communs aux Maritimiens moyens et aux
GLSaint-Laurentiens moyens (phase moyenne de la culture des
Grands-Lacs-St-Laurent) et aux gens des cultures de
l'intérieur (l'Archaïque laurentien) ont
été responsables de la confusion qui a
empêché d'isoler la culture distinctive des
Maritimiens moyens. Les gouges en pierre polie, les pointes en
ardoise polie, les baïonnettes, les couteaux
semi-circulaires (oulous), les pesons ont, en raison du
développement historique de la recherche
archéologique dans l'est de l'Amérique du Nord,
d'abord servi de fossiles directeurs de la culture de
l'intérieur
(Ritchie 1944). Par la
suite, on s'est rendu compte que la plupart de ces
caractères particuliers étaient plus anciens
sur les sites côtiers
(Harp 1964;
McGhee and Tuck 1975)
et qu'ils ont été seulement adoptés plus
tard par les gens de l'intérieur. En plus de partager
la plupart des principales catégories d'outils en pierre
polie, le mélange des styles distinctifs de pointes de
projectile dans ces deux cultures ainsi que d'autres outils en
pierre polie découverts dans des sites situés sur
le fleuve Saint-Laurent entre la ville de Québec et la
frontière de l'Ontario permettent de croire que des
contacts ont eu lieu entre les Maritimiens moyens et les
GLSaint-Laurentiens moyens. Au Maine et au Nouveau-Brunswick
voisin, les sites maritimiens moyens de l'intérieur ne
sont qu'à une courte distance des sites maritimiens
moyens côtiers et contemporains. Des données qui
peuvent être mises au compte des relations commerciales
proviennent vraisemblablement d'outils en cuivre du lac
Supérieur, de l'ivoire de morse et d'instruments en
quartzite du Labrador dans des sites situés dans la
basse région des Grands Lacs et du haut fleuve Saint-Laurent
(Wright 1994). En
dépit d'une impression d'homogénéité
culturelle créée par certaines catégories
communes d'outils en pierre polie, la technologie des Maritimiens
moyens est passablement distincte de celle de leurs voisins de
l'intérieur
(Bourque 1975;
Carignan 1975;
Fitzhugh 1972;
McGhee and Tuck 1975;
Wintemberg 1943).
Les Maritimiens moyens ont cessé d'exister comme
entité reconnaissable sur la Côte-Nord du golfe du
Saint-Laurent et sur l'île de Terre-Neuve peu après
2 000 avant J.-C. Une série exceptionnelle
d'événements qui ont eu lieu à cette
époque rendent vraisemblablement compte de leur disparition.
Sur la côte septentrionale du Labrador, la fin de
l'épisode climatique de l'Altithermal entre 2 000 et
1 500 avant J.-C. et l'aube d'une température plus
fraîche ont pu avoir un effet négatif sur les
Maritimiens moyens qui vivaient à l'extrême nord
de leur territoire. On a déjà mentionné
à cet égard que l'expansion des Maritimiens moyens
au Labrador et à Terre-Neuve avait eu lieu à la
faveur d'une période de climat chaud et stable
(Fitzhugh 1978). Un autre
facteur critique aurait été l'apparition relativement
synchrone de deux cultures étrangères à
certains endroits de la côte. Les Paléoesquimaux
anciens ont commencé à faire des excursions sur la
côte depuis le nord vers 2 250 avant J.-C.
(Fitzhugh 1985) alors que
les chasseurs bouclériens moyens de l'intérieur
apparurent sur la côte au centre et au sud à environ
la même période
(Nagle 1978). Des deux
intrusions, l'apparition des Bouclériens moyens a
vraisemblablement constitué l'événement le
plus disruptif et, avec le changement climatique, a probablement
contribué à ce que les Maritimiens moyens
abandonnent éventuellement la Côte-Nord du golfe du
Saint-Laurent. On croit que l'occupation de l'intérieur
des terres par les Bouclériens moyens qui faisaient des
excursions saisonnières sur la côte ont
empêché les Maritimiens moyens d'obtenir leur
approvisionnement annuel en peaux de caribous dont ils avaient
besoin pour la confection de leurs vêtements. Alors que la
nourriture marine était probablement en mesure de combler
leurs besoins essentiels de subsistance, il aurait
été difficile, sinon impossible, de survivre dans
les climats nordiques sans avoir accès aux qualités
isolantes des vêtements en peaux de caribou. Même si
on a déjà supposé que les Maritimiens moyens
vivant sur l'île de Terre-Neuve se sont
éventuellement transformés pour devenir les
Béothuks dont font mention les documents historiques
(Tuck 1976a), il semble
plus plausible que l'absence périodique des espèces
saisonnières qui constituaient des proies a
entraîné un certain nombre d'extinctions humaines
sur l'île y compris celle des Maritimiens moyens
(Tuck and Pastore 1985).
Une autre combinaison d'événements naturels et
culturels semble avoir eu un impact similaire sur plusieurs Maritimiens
moyens des provinces maritimes et du Maine peu après 1 500
avant J.-C. Après 3 000 avant J.-C., un accroissement de
l'amplitude des marées aurait diminué l'abondance des
espadons, élément important de la subsistance des
Maritimiens moyens de la région, mais aurait favorisé
un accroissement des palourdes
(Sanger 1975 : 61). Le
refroidissement du climat vers 1 700 avant J.-C. aurait eu un
impact défavorable sur la population de chevreuils dont
dépendaient les Maritimiens moyens. Par contre, pour leurs
voisins au sud, l'Archaïque susquehannien, dont ces changements
favorisaient le mode de subsistance, semble avoir en fait occupé
le Maine et une partie contiguë du Nouveau-Brunswick. Ce
remplacement culturel, provoqué par des conditions
environnementales changeantes favorables à une adaptation
culturelle plutôt qu'à une autre, est aussi
considéré comme l'événement sur lequel
repose la base culturelle des peuples de la famille linguistique
algonquienne rencontrés par les Européens
(Sanger 1975 : 69-72).
Alors que les Archaïques susquehanniens semblent avoir
occupé depuis le sud la plupart du Maine et une partie
adjacente du Nouveau-Brunswick, le reste des provinces maritimes
n'a pas été affecté. Même si les
données sont équivoques, il semble que les peuples
indigènes maritimiens moyens aient continué à
occuper la plus grande partie des provinces maritimes et aient
donné les populations subséquentes (les Maritimiens
récents). Cependant, la rapidité et la nature des
changements culturels ont obscurci les données d'une
continuité culturelle
(Tuck 1975a;
1984).
À cette étape de la recherche dans l'estuaire du
Saint-Laurent, on peut offrir peu d'explications sur le destin
des Maritimiens moyens même si on dispose de données
sur les Bouclériens moyens qui, du nord de
l'intérieur, exploitaient la Côte-Nord
(Chevrier 1978). Plus loin,
la péninsule de Gaspé semble avoir été
au moins partiellement abandonnée après l'occupation
des Planoïens
(Benmouyal 1987). À
un niveau spéculatif, on suggère que les bandes de
Bouclériens moyens ont adopté un mode saisonnier
d'exploitation des ressources marines à divers endroits de
la Côte-Nord de l'estuaire du Saint-Laurent,
particulièrement à l'embouchure des rivières
principales qui aurait servi de routes de transport entre
l'intérieur et la côte. Un développement
ancien de ce mode d'exploitation aurait fourni à ces gens
des connaissances maritimes suffisantes pour rendre compte de leur
apparition soudaine et persistante sur la Côte-Nord du golfe
du Saint-Laurent et sur la côte du Labrador vers 2 000
avant J.-C.
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