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Histoire des Autochtones du Canada
Tome I (10 000 à 1 000 avant J.-C.)

Les Maritimiens moyens (Sommaire, Chapitre 14)

Douglas Byers (1959) a le premier suggéré l'existence d'une population archaïque distincte adaptée à la côte orientale des maritimes, qu'on a subséquemment appelée "Archaïque des maritimes" (Tuck 1971; 1976a). L'importante antiquité attribuée à la culture des maritimes (phases ancienne, moyenne et récente), d'abord avancée dans l'ouvrage d'Elmer Harp sur la côte sud du Labrador (Harp 1964), a depuis été confirmée (Fitzhugh 1972; McGhee and Tuck 1975). On a formulé des opinions divergentes concernant l'intégrité culturelle d'une formation archéologique qui s'étendait du nord du Maine jusqu'au nord du Labrador et de l'île de Terre-Neuve en remontant le Saint-Laurent jusqu'à la ville de Québec. Les variations régionales que comportait cette distribution culturelle étendue ne semblaient pas suffisantes pour justifier des classifications culturelles multiples à ce moment. Deux facteurs qui ne s'appliquent pas à la plupart des chasseurs et cueilleurs de la terre ferme, favorisent la distribution étendue du Maritimien moyen (phase moyenne de la culture des Maritimes). Premièrement, des embarcations hauturières qui réduisent le problème du portage des biens entraînent un degré exceptionnel de mobilité. Deuxièmement, alors que les régions occupées chevauchaient quatre principales provinces de végétation (McAndrews et al. 1987), les ressources marines dans ces région sont essentiellement les mêmes ou équivalentes, notamment la chasse au morse au nord et la chasse à l'espadon au sud. Sauf quelques variations régionales, le phoque, le morse, la baleine, le poisson marin et anadrome, les crustacés, le castor, l'ours, les oiseaux marins, le caribou, le chevreuil, et l'orignal auraient constitué les aliments marins et terrestres les plus importants. Invisibles dans les dépôts archéologiques mais vraisemblablement de grande importance auraient été le capelan et l'éperlan qui formaient des bancs énormes à la période de frai, ainsi que le calmar, le crabe et le homard.


Chasseurs maritimiens moyens - Vidéoanthrop Inc.; MCC I-A-39, S95-23502
Retour de chasseurs maritimiens moyens à leur campement estival

Cette reconstitution, dans le décor de la côte du Labrador en 2 000 avant J.-C., illustre des chasseurs débarquant, de leur embarcation hauturière recouverte de peaux, des phoques, des pingouins géants maintenant exterminés, et des œufs de goéland. À l'arrière-plan se trouve l'habitation communautaire alors que, sur la plage, d'autres canots de peaux sont en sécurité contre le vent et sont surélevés sur des piles de pierres pour garder l'entoilage de peaux hors de portée des chiens affamés. Des goélands argentés tournoient au-dessus du site alors qu'un énorme essaim de mouches noires danse autour de la tête de l'homme en avant-plan.

(Peinture exécutée par Vidéanthrop Inc., Montréal, à contrat avec le Musée canadien des civilisations. La peinture a été réalisée par M. François Girard à l'aide de croquis et d'information technique compilés par M. Marc Laberge et l'auteur.)


En dépit des ressources marines communes, les diverses régions écologiques occupées par les Maritimiens moyens ne pouvaient vraisemblablement constituer l'écoumène d'une culture homogène. Des variations régionales importantes de cette culture se trouvaient sur la Côte-Nord du golfe du Saint-Laurent depuis Québec jusqu'à la région adjacente du Labrador et sa côte orientale, sur l'île de Terre-Neuve, dans les provinces maritimes et le Maine voisin, et dans l'estuaire du Saint-Laurent. Jusqu'à un certain degré qu'on ne peut déterminer, ce régionalisme reflète des données archéologiques variables. C'est seulement au commencement de la Période III que se termine dans les provinces maritimes la "Grande Césure" des données culturelles qui a suivi le Paléoindien (Tuck 1984). Les conditions locales du passé qui se rattachent au changement des niveaux de la mer, à l'amplitude des marées et à ses effets secondaires constituent d'autres facteurs pertinents qui expliquent le peu de visibilité des Maritimiens moyens. À 4 000 avant J.-C., par exemple, l'apparence géographique de certaines régions était étonnamment différente alors que l'île du Prince Édouard était encore rattachée aux Nouveau-Brunswick et à la terre ferme de la Nouvelle-Écosse. Le Labrador et les régions adjacentes du Québec constituent sans aucun doute la région la mieux connue en raison des recherches archéologiques intensives qui y ont été faites et de l'émergence de la côte qui a isolé des sites sur des anciennes terrasses. L'île de Terre-Neuve, sauf quelques exceptions, n'a pas été soumise à un effort concerté de recherche et souffre en outre de la submersion de ses rives qui aurait noyé la plupart des sites d'avant 3 000 avant J.-C. Des recherches récentes dans l'estuaire du Saint Laurent, au Québec, n'a produit que quelques comptes rendus archéologiques importants. L'émergence des côtes de cette région où les mers Goldthwait et Champlain ont découpé des terrasses bien démarquées et géologiquement datées nous réserve des surprises. Dans le moment, les sols généralement acides de la grande partie de la région et la tendance des sites à avoir un outillage important en pierre taillée ont compliqué le procédé comparatif. Dans les provinces maritimes et les régions contiguës du Maine, la submersion et l'érosion des côtes entre 8 000 et 3 000 avant J.-C. ont sans doute été les facteurs les plus limitatifs. Paradoxalement, il y a une abondance relative d'information sur les pratiques mortuaires des Maritimiens moyens de cette région. Les cimetières "Red Paint" sans "restes humains" du Maine ont attiré beaucoup d'attention et ont été le sujet de spéculation au début du siècle (Moorehead 1922; Willoughby 1935). En dépit de cette variabilité culturelle régionale, les donnés reliées à la technologie, à la cosmologie, à la subsistance, et aux modes d'établissement laissent croire à l'existence de plusieurs sociétés indépendantes qui partageaient une culture plus ou moins commune distincte de celle de leurs voisins. Les éléments culturels comparables dans une région aussi grande et variable sont vraisemblablement dus aux facteurs interreliées d'une technologie commune, un mode de vie similaire, des réseaux de commerce intégrés, une perception cosmologique commune, et la mobilité des femelles au mariage dans le cadre de bandes de chasseurs exogames et patrilinéaires. Le système de transport maritime aurait joué un rôle de première importance pour développer ces similarités culturelles. Certains chercheurs vont probablement considérer que ce genre de reconstitution appliqué aux Maritimiens moyens est prématuré et repose trop lourdement sur des pratiques mortuaires communes (Sanger 1973 : 106).

Certains caractères communs aux Maritimiens moyens et aux GLSaint-Laurentiens moyens (phase moyenne de la culture des Grands-Lacs-St-Laurent) et aux gens des cultures de l'intérieur (l'Archaïque laurentien) ont été responsables de la confusion qui a empêché d'isoler la culture distinctive des Maritimiens moyens. Les gouges en pierre polie, les pointes en ardoise polie, les baïonnettes, les couteaux semi-circulaires (oulous), les pesons ont, en raison du développement historique de la recherche archéologique dans l'est de l'Amérique du Nord, d'abord servi de fossiles directeurs de la culture de l'intérieur (Ritchie 1944). Par la suite, on s'est rendu compte que la plupart de ces caractères particuliers étaient plus anciens sur les sites côtiers (Harp 1964; McGhee and Tuck 1975) et qu'ils ont été seulement adoptés plus tard par les gens de l'intérieur. En plus de partager la plupart des principales catégories d'outils en pierre polie, le mélange des styles distinctifs de pointes de projectile dans ces deux cultures ainsi que d'autres outils en pierre polie découverts dans des sites situés sur le fleuve Saint-Laurent entre la ville de Québec et la frontière de l'Ontario permettent de croire que des contacts ont eu lieu entre les Maritimiens moyens et les GLSaint-Laurentiens moyens. Au Maine et au Nouveau-Brunswick voisin, les sites maritimiens moyens de l'intérieur ne sont qu'à une courte distance des sites maritimiens moyens côtiers et contemporains. Des données qui peuvent être mises au compte des relations commerciales proviennent vraisemblablement d'outils en cuivre du lac Supérieur, de l'ivoire de morse et d'instruments en quartzite du Labrador dans des sites situés dans la basse région des Grands Lacs et du haut fleuve Saint-Laurent (Wright 1994). En dépit d'une impression d'homogénéité culturelle créée par certaines catégories communes d'outils en pierre polie, la technologie des Maritimiens moyens est passablement distincte de celle de leurs voisins de l'intérieur (Bourque 1975; Carignan 1975; Fitzhugh 1972; McGhee and Tuck 1975; Wintemberg 1943).

Les Maritimiens moyens ont cessé d'exister comme entité reconnaissable sur la Côte-Nord du golfe du Saint-Laurent et sur l'île de Terre-Neuve peu après 2 000 avant J.-C. Une série exceptionnelle d'événements qui ont eu lieu à cette époque rendent vraisemblablement compte de leur disparition. Sur la côte septentrionale du Labrador, la fin de l'épisode climatique de l'Altithermal entre 2 000 et 1 500 avant J.-C. et l'aube d'une température plus fraîche ont pu avoir un effet négatif sur les Maritimiens moyens qui vivaient à l'extrême nord de leur territoire. On a déjà mentionné à cet égard que l'expansion des Maritimiens moyens au Labrador et à Terre-Neuve avait eu lieu à la faveur d'une période de climat chaud et stable (Fitzhugh 1978). Un autre facteur critique aurait été l'apparition relativement synchrone de deux cultures étrangères à certains endroits de la côte. Les Paléoesquimaux anciens ont commencé à faire des excursions sur la côte depuis le nord vers 2 250 avant J.-C. (Fitzhugh 1985) alors que les chasseurs bouclériens moyens de l'intérieur apparurent sur la côte au centre et au sud à environ la même période (Nagle 1978). Des deux intrusions, l'apparition des Bouclériens moyens a vraisemblablement constitué l'événement le plus disruptif et, avec le changement climatique, a probablement contribué à ce que les Maritimiens moyens abandonnent éventuellement la Côte-Nord du golfe du Saint-Laurent. On croit que l'occupation de l'intérieur des terres par les Bouclériens moyens qui faisaient des excursions saisonnières sur la côte ont empêché les Maritimiens moyens d'obtenir leur approvisionnement annuel en peaux de caribous dont ils avaient besoin pour la confection de leurs vêtements. Alors que la nourriture marine était probablement en mesure de combler leurs besoins essentiels de subsistance, il aurait été difficile, sinon impossible, de survivre dans les climats nordiques sans avoir accès aux qualités isolantes des vêtements en peaux de caribou. Même si on a déjà supposé que les Maritimiens moyens vivant sur l'île de Terre-Neuve se sont éventuellement transformés pour devenir les Béothuks dont font mention les documents historiques (Tuck 1976a), il semble plus plausible que l'absence périodique des espèces saisonnières qui constituaient des proies a entraîné un certain nombre d'extinctions humaines sur l'île y compris celle des Maritimiens moyens (Tuck and Pastore 1985).

Une autre combinaison d'événements naturels et culturels semble avoir eu un impact similaire sur plusieurs Maritimiens moyens des provinces maritimes et du Maine peu après 1 500 avant J.-C. Après 3 000 avant J.-C., un accroissement de l'amplitude des marées aurait diminué l'abondance des espadons, élément important de la subsistance des Maritimiens moyens de la région, mais aurait favorisé un accroissement des palourdes (Sanger 1975 : 61). Le refroidissement du climat vers 1 700 avant J.-C. aurait eu un impact défavorable sur la population de chevreuils dont dépendaient les Maritimiens moyens. Par contre, pour leurs voisins au sud, l'Archaïque susquehannien, dont ces changements favorisaient le mode de subsistance, semble avoir en fait occupé le Maine et une partie contiguë du Nouveau-Brunswick. Ce remplacement culturel, provoqué par des conditions environnementales changeantes favorables à une adaptation culturelle plutôt qu'à une autre, est aussi considéré comme l'événement sur lequel repose la base culturelle des peuples de la famille linguistique algonquienne rencontrés par les Européens (Sanger 1975 : 69-72). Alors que les Archaïques susquehanniens semblent avoir occupé depuis le sud la plupart du Maine et une partie adjacente du Nouveau-Brunswick, le reste des provinces maritimes n'a pas été affecté. Même si les données sont équivoques, il semble que les peuples indigènes maritimiens moyens aient continué à occuper la plus grande partie des provinces maritimes et aient donné les populations subséquentes (les Maritimiens récents). Cependant, la rapidité et la nature des changements culturels ont obscurci les données d'une continuité culturelle (Tuck 1975a; 1984).

À cette étape de la recherche dans l'estuaire du Saint-Laurent, on peut offrir peu d'explications sur le destin des Maritimiens moyens même si on dispose de données sur les Bouclériens moyens qui, du nord de l'intérieur, exploitaient la Côte-Nord (Chevrier 1978). Plus loin, la péninsule de Gaspé semble avoir été au moins partiellement abandonnée après l'occupation des Planoïens (Benmouyal 1987). À un niveau spéculatif, on suggère que les bandes de Bouclériens moyens ont adopté un mode saisonnier d'exploitation des ressources marines à divers endroits de la Côte-Nord de l'estuaire du Saint-Laurent, particulièrement à l'embouchure des rivières principales qui aurait servi de routes de transport entre l'intérieur et la côte. Un développement ancien de ce mode d'exploitation aurait fourni à ces gens des connaissances maritimes suffisantes pour rendre compte de leur apparition soudaine et persistante sur la Côte-Nord du golfe du Saint-Laurent et sur la côte du Labrador vers 2 000 avant J.-C.


 
Tome ITome II

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