Nombreuses sont les raisons qui expliquent la pauvreté de
l'enregistrement archéologique. Sauf pour la côte-nord
du golfe du Saint-Laurent, où l'élévation du
littoral a soulevé les sites bien au-dessus du niveau de la
mer, plusieurs des aires potentiellement riches en sites impliquent
des terres qui sont maintenant submergées ou se trouvent sous
les eaux de l'Atlantique et des Grands Lacs ou dans des sols
perturbés ou ensevelis en raison des processus d'érosion
et de déposition. Les changements écologiques et les
événements culturels ont aussi contribué à
compliquer la situation. Les Planoïens débordèrent
des Plaines il y a 9 000 ans et se déployèrent vers
l'est jusqu'à l'Atlantique en suivant une bande étroite
de forêt à lichens et de forêt boréale
(McAndrews et al. 1987)
et en exploitant apparemment les troupeaux de caribous qui
envahissaient les terres récemment libérées des
glaciers et exposées suite au retrait des eaux des Grands Lacs.
Au sud des Planoïens, dans la région orientale des Grands
Lacs, un développement indigène issu des
Paléoindiens est appelé l'Archaïque inférieur
du centre ou le complexe Hi-Lo. Vers 9 500 A.A., il semble que les
Archaïques inférieurs du sud ont véritablement
pénétré dans le sud de l'Ontario. Il y a des
indices de contact direct entre les Planoïens et les Archaïques
inférieurs. La distribution des modes d'établissement
laisse d'ailleurs croire que les Archaïques inférieurs
du centre étaient contemporains des Planoïens. C'était
dans ces régions dont le milieu écologique et culturel
était diversifié et complexe que le dispositif du
propulseur a été introduit depuis le sud. Le sud de
l'Ontario a été au centre de ces événements.
Au nord, les chasseurs planoïens maintenaient les pratiques de
chasse des Paléoindiens anciens. Au sud, l'expansion vers le
nord des forêts à feuilles caduques avec leur nombreuses
ressources végétales, notamment les noix et les baies,
l'accessibilité à des ressources halieutiques abondantes
et un large éventail de gibier, exigeait de nouveaux
mécanismes adaptatifs. Par contre, sur le côte-nord du
golfe du Saint-Laurent au Québec et au Labrador, une adaptation
maritime ancienne a permis le maintien des modes d'établissement
et de subsistance pendant des milliers d'années. De tous les
Archaïques inférieurs du Canada, les Archaïques
inférieurs de l'est sont les plus connus mais l'accroissement
de l'information jette graduellement un éclairage
révélateur sur les Archaïques inférieurs
du sud. Les Archaïques moyens, qui ont vécu durant les deux
mille ans compris entre 6 000 à 4 000 avant J.-C., sont
encore plus méconnus que les Archaïques inférieurs en
raison de la submersion des sites par le niveau accru des eaux et d'un
sérieux problème d'identification. Ramassé à
la surface des champs labourés, le matériel de
l'Archaïque moyen est souvent confondu avec les outils des
formations archéologiques plus récentes auxquels il
ressemble. Pourtant, c'est bien cette base amorphe qui a contribué
au développement des cultures de cette Période vers
4 000 avant J.-C.
Contrairement à leurs ancêtres paléoindiens,
les tailleurs de pierre de l'Archaïque inférieur
utilisaient davantage la pierre locale. À l'encontre du
souci antérieur de se conformer à une chaîne
opératoire bien établie impliquant des techniques
précises pour la taille de nucléus et de
préformes, les Archaïques inférieurs
utilisaient une grande variété de nucléus
de diverses façons. Ils semblent très peu se
préoccuper de soumettre la pierre à différents
traitements contrairement aux habitudes des Paléoindiens.
Le but principal du tailleur de pierre semble avoir été
d'obtenir de simples éclats pour s'en servir comme outils
occasionnels quitte à les rejeter quand ils étaient
émoussés. La pierre exotique n'est pas
complètement mise de côté mais elle est
utilisée moins fréquemment et obtenue de sources
plus rapprochées que ce n'était le cas pour les
Paléoindiens. Des innovations techniques apparaissent
notamment des herminettes en pierre polie dans l'Archaïque
inférieur de l'est et du sud, et des poids de propulseur
tubulaires en pierre dans l'Archaïque inférieur du
sud. Certaines pointes en pierre qui armaient leurs armes
caractérisent toutes les formations archaïques. Il
semble que, vers 10 000 A.A., quelques individus
ingénieux vivant dans ce qui est maintenant le sud-est des
États-Unis inventèrent une arme nouvelle et
supérieure: le propulseur, dispositif qui utilisait le
même principe que celui qui est appliqué à la
chistera pour le jeu de pelote basque. Dans le cas du propulseur,
le dispositif permettait de lancer un javelot avec une force plus
grande et avec plus de précision que ce n'était
possible avec la main seulement. Cette nouvelle arme se
répandit rapidement dans la plus grande partie de
l'hémisphère occidental et particulièrement
dans l'est de l'Amérique du Nord. Les pointes de lance
minces et symétriques des Paléoindiens furent
à l'Archaïque inférieur remplacées
par des pointes encochées, pédonculées et
lancéolées, épaisses et souvent
asymétriques. On soupçonne que l'abandon des
techniques de fabrication des outils en pierre paléoindiens
coïncide étroitement avec l'introduction de cette
nouvelle arme et avec l'émergence de nouvelles conditions
écologiques.
Il existe peu de données concernant la subsistance. Les modes
d'établissement indiquent que les Archaïques inférieurs
de l'est exploitaient des ressources marines saisonnières. De
même, l'association des sites archaïques inférieurs
du centre avec les belvédères et les rives des lacs
laissent croire que le caribou était encore un gibier important.
Certaines données indiquent que les Archaïques
inférieurs du sud avaient accentué leur dépendance
à l'égard de la nourriture végétale mais on
ne peut percevoir clairement à quel point cette
caractéristique s'applique aux sites situés au sud des
Grands Lacs par opposition aux sites situés dans le sud de
l'Ontario. Comme la forêt de feuillus peuplée de chevreuils,
de dindes, et d'autres espèces du sud se répandit vers le
Nord aux dépens de la Forêt Boréale et de la
végétation de la toundra peuplée de caribous et
d'animaux nordiques de différentes espèces, les modes de
vie devaient s'y ajuster. La disparition des Planoïens et des
Archaïques inférieurs du centre, par exemple, a plus
vraisemblablement découlé de leur adaptation, y compris
la modification complète de leur outillage de pierre,
plutôt que de leur remplacement par des populations
méridionales qui auraient empiété sur leur
territoire.
On ne connaît rien de la cosmologie ou de la biologie humaine
des Archaïques inférieurs et moyens du Canada. Quant aux
liens externes, il est évident que ces Archaïques
maintenaient des contacts avec des groupes de colons des Archaïques
inférieurs du sud. Il existe des témoignages directs
de contacts entre les Planoïens et les Archaïques
inférieurs de l'Ouest et du sud. La proximité des
différents groupes les uns des autres dans la région
des Grands Lacs durant cette période aurait rendu les situations
de contacts culturels inévitables. Ce voisinage culturel aurait
aussi favorisé la diffusion des techniques et des idées
comme en témoigne l'expansion du propulseur et potentiellement
du filet. On peut seulement supposer que ces sociétés se
composaient de familles nucléaires organisées en bandes
et que les mariages entre membres de bandes voisines auraient
constitué la norme.
Comme l'information relative aux Archaïques inférieurs
est limitée, la description de la plupart des cultures sera
abrégée en conséquence.
L'Archaïque moyen (Sommaire)
La période de temps qui, entre 6 000 et 4 000 avant J.-C.,
englobe l'Archaïque moyen est essentiellement inconnu dans de grandes
régions de l'est de l'Amérique du nord. Au contraire, dans
des régions de la Nouvelle Angleterre
(Dincauze 1976) et sur la
côte-nord du golfe du Saint-Laurent, les événements
qui sont survenus durant cette période sont relativement bien
connus. Cependant, à l'intérieur des terres il y a un vide
archéologique virtuel. En plus des sites noyés du littoral
dans les régions des Grands Lacs et du lac Champlain, les sites de
l'intérieur sont extrêmement difficiles à distinguer
des sites beaucoup plus récents. Pour ces raisons, si les objets
ne proviennent pas de formations archéologiques qu'on peut dater,
on ne les reconnaît généralement pas comme anciens.
En Nouvelle Angleterre entre 8 000 et 7 000 A.A., il y a
quelques faibles traces d'un horizon côtier de pointes de
projectile pédonculées
(Dincauze 1976), qu'on
retrouve aussi à l'intérieur des bas Grands Lacs
et dans la haute vallée du Saint-Laurent
(Ellis et al. 1990;
Wright 1978). Vers 6 000
A.A., on détecte des indices du début de la transition
vers la culture ancienne des Grands-Lacs-Saint-Laurent. En
général, cependant, l'enregistrement archéologique
est insuffisant pour permettre de distinguer les objets pertinents
à l'Archaïque moyen et les outils beaucoup plus
récents. Cette opinion a reçu un appui de l'enregistrement
du site John's Bridge dans le nord-ouest du Vermont
(Thomas and Robinson 1980).
Ce site, daté à 8 000 A.A., a livré des pointes
à encoches latérales et baso-latérales, des couteaux
bifaciaux en pierre taillée dont quelques-uns devaient être
emmanchés, une variété de formes de grattoirs, des
becs, de gros couteaux ou hachoirs tabulaires, des aiguisoirs, des
rognons de graphite, et une mèche de foret. Si ces objets avaient
été ramassés dans un champ labouré, la
plupart des archéologues auraient vraisemblablement daté
cet outillage à moins de 4 000 avant J.-C. Un examen
personnel de dépôts archéologiques
mélangés de sites situés dans le prolongement du
lac Saint-François, haut fleuve Saint-Laurent, a
révélé la présence de pointes de projectile
virtuellement identiques à celles qu'a livrées le site de
John's Bridge, permettant de croire que de tels assemblages peuvent
être plus largement distribués mais simplement
méconnus pour ce qu'ils sont. Le site de John's Bridge contient
aussi des foyers et des fosses. On suppose qu'un éparpillement
des déchets lithiques associés à un foyer contenant
des os calcinés et à des fosses représente un sol
d'occupation
(Thomas and Robinson 1980 :
123-125).
En raison des limites de l'enregistrement archéologique pour les
deux mille ans avant 4 000 avant J.-C., il est probablement mieux
ne pas se frapper la tête contre un mur d'obscurité. Qu'il
soit suffisant d'observer que les développements culturels
beaucoup mieux connus de la Période III survenus à
l'intérieur des terres dans l'est de l'Amérique du Nord
doivent néanmoins leur existence à un nombre
indéterminé de ces formations amorphes qu'on attribue
à "l'Archaïque moyen".
|