À L'Assaut

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Un froid matin de novembre, après à peine cinq heures de sommeil, vous vous réveillez à l’aube d’une autre journée de misère sur le front ouest. Vous vous étirez en vous frottant les yeux, puis vous enfilez vos bottes, laissées la veille près de votre lit de camp. Vous constatez en un rapide coup d’oeil autour de vous dans l’abri que la plupart de vos compagnons sont déjà éveillés et sont soit en train de se raser, soit de se brosser les dents.

– «’Jour Edmond!» lance Henri Lavallée, de l’entrée de l’abri.

– «’Jour Henri», répondez-vous en étouffant un bâillement. «Quel temps fait-il?»

– «Oh…froid, nuageux, boueux, infesté de poux, désolant… comme d’habitude, quoi. Et pas un signe de boche, avec ça.»

Juste à ce moment apparaît, dans l’ouverture de l’abri, la tête d’un homme grand et mince. Vous reconnaissez le lieutenant Denonville, le commandant de votre peloton.

– «Assez traîné. Debout là-dedans et préparez-vous au branle-bas de combat!»


Le branle-bas de combat. L’exercice quotidien qui consiste à se tenir debout dans les tranchées, une demi-heure avant le lever du soleil, armés jusqu’aux dents, dans l’éventualité d’une attaque des Allemands. Bien entendu les Allemands savaient que vous les attendiez et n’attaquaient donc jamais si tôt le matin. Il n’en restait pas moins que vous et vos  compagnons observiez quotidiennement ce rituel depuis votre arrivée dans le Nord de la France il y a six mois.

Six mois! Déjà six mois? N’était-ce pas hier seulement, que vous vous trouviez au bureau de recrutement, au centre ville de Montréal? Vous aviez décidé de vous porter volontaire parce que la plupart de vos amis l’avaient fait. Et puis un dollar par jour, c’était raisonnablement bien payé. De plus, et c’était là le plus important, vous n’alliez certainement pas manquer cette
chance de voyager outre-mer.

Cependant, la vie dans les tranchées n’était pas exactement l’idée que vous vous étiez faite d’une aventure excitante. Au lieu de la glorieuse entrée en Allemagne qu’on vous avait  promise, vous vous trouviez, après six mois, dans le même trou de boue où on vous avait mis à votre arrivée en France. Pas de fougueuse charge de cavalerie, pas de lauriers pour vous couronner, pas de traversées de pâtures ensoleillées et fleuries. Rien que la fastidieuse et interminable vie dans les tranchées, les paysages de boue, les poux envahissant tout et les cieux gris. Mais tout cela était peu en comparaison du tir d’ artillerie qui vous mettait les nerfs à vif par l’incessant passage des projectiles au-dessus de vos têtes, parfois plusieurs jours d’affilée. Il était presqu’impossible de trouver le sommeil dans de telles conditions. Le manque de sommeil pouvait rendre un homme fou. Dieu merci, l’épuisement, au bout de journées entières à transporter des planches à tasseaux pour recouvrir la boue, à tendre des barbelés dans le No Man's Land et à parcourir les campagnes à la recherche de nourriture et d’eau, pouvait terrasser les plus nerveux des hommes et les faire tomber dans un bienheureux et profond sommeil. Si seulement vous aviez pu dormir une semaine ou deux!