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Une image d'une personne sur un écran vert à Ottawa, près du Musée canadien de la guerre.

L’art de guerre canadien

Auteurs

  • Dr. Laura Brandon

Dépêches: documents d'information sur l'histoire militaire du Canada

(Il est à noter que certains contenus de cette série sont obsolètes et font l’objet d’un réexamen.)

Avec les années, le nombre de Canadiens ayant vécu les deux guerres mondiales diminue inévitablement. Parallèlement, les 13 000 pièces des collections d’art de guerre du Musée canadien de la guerre forment un lien entre ces conflits et ceux qui les ont connus. Jusqu’à un certain point, les peintures qu’elles contiennent sont des illustrations: mais elles transmettent aussi les sentiments des combattants, ce qui est peut-être leur plus important héritage.

Trois collections existent: le Fonds de souvenirs de guerre canadiens de la Première Guerre mondiale (1914-18); les Archives militaires canadiennes de la Deuxième Guerre mondiale (1939-45); et le Programme d’aide des Forces canadiennes aux artistes civils pour l’après-guerre (1968-95). La collection de la Première Guerre mondiale rassemble environ 1 000 oeuvres produites par plus de 100 artistes dont plus du tiers était canadien. Elle a une envergure internationale, en partie due à sa diversité. En plus de souligner le rôle joué par le Canada dans cette guerre tragique, elle a énormément influencé l’art canadien. Une bonne partie des paysages aujourd’hui familiers que le célèbre Groupe des Sept a reproduits, trouve son origine dans les scènes vues et enregistrées dans la boue des tranchées françaises et belges du front occidentale.

La collection fut imaginée par Sir Max Aitken, appelé à devenir Lord Beaverbrook, qui, né au Canada en 1879, s’était bâti une fortune durant les premières années d’expansion du pays. Après avoir déménagé en Angleterre, il commença par s’impliquer financièrement dans le Daily Express, en 1911, avant d’acheter ce journal cinq ans plus tard, l’utilisant pour y véhiculer ses idées et étendre son influence. La Grande Guerre avait alors deux ans et le Corps d’armée canadien, malgré des pertes énormes, était devenu une force professionnelle, compétente. En 1916, Beaverbrook, toujours Canadien de cœur et plein de ferveur nationaliste, décida de créer un programme pour enregistrer le déroulement des faits militaires canadiens. Il créa donc le Bureau des archives militaires canadiennes.

Les intérêts médiatiques d’Aitken en faisait un candidat idéal pour documenter la guerre par le film, la photographie et l’impression. Son expérience d’un quotidien à grand tirage lui permettait de connaître les goûts du lectorat. L’horrible attaque allemande au gaz menée contre les Canadiens lors de la deuxième bataille d’Ypres, en avril et mai 1915, le convainquit que l’art devait également devenir un instrument de documentation de la guerre. Aucune photographie n’avait été prise de ces combats. En novembre 1916, il mit sur pied le Fonds de souvenirs de guerre canadiens, une extension du Bureau des archives militaires canadiennes, et commanda une peinture grand format de 3,7 x 6 mètres à Richard Jack, un peintre de la société anglaise. Ce fut une réussite qui, combinée au fait que l’on croyait, à l’époque, que les photographies ne dureraient pas plus de vingt-cinq ans, conduisit Aitken à commander des toiles à d’autres artistes dans le même but. Lui-même et son conseiller en art du journal l’Observer, Paul Konody, privilégiaient les grosses commandes. Mais ils savaient que les artistes devaient aller sur les champs de bataille pour y faire des esquisses qui auraient valeur d’archives et qui, plus tard, pourraient éventuellement être transformées en oeuvres de plus grande dimension.

Une peinture représentant des gens dans un train exposée au Musée canadien de la guerre à Ottawa.

Sir Edmund Walker, Président du conseil d’administration de la Galerie nationale du Canada (l’actuel Musée des beaux-arts du Canada), et Sir Eric Brown, directeur de cette institution, tout en appuyant l’initiative de Beaverbrook, désiraient s’assurer que le résultat réfléchisse véritablement le rôle du Canada dans le conflit. Leur inquiétude portait sur le fait que le programme offrait des commandes à trop d’artistes britanniques. Des échanges de correspondance entre Walker et Beaverbrook, quant à l’emploi de peintres canadiens, résultèrent en l’établissement du Comité consultatif sur les peintres de guerre canadiens. En 1917, Beaverbrook embaucha A.Y. Jackson, futur membre du Groupe des Sept, qui était alors un soldat recouvrant la santé suite à des blessures reçues en juin 1916. La réaction apparemment cavalière de Jackson, une fois revenu au froncomme peintre de guerre, traduit le contenu tragique de plusieurs de ses peintures: «même vieille guerre…même vieux soldats qui tiennent, écoeurés mais allègres, accomplissant des actes impossibles, même vieille boue et vieux trous d’obus.»

En 1918, Walker parvint à passer officiellement des commandes à quatre autres Canadiens. L’un d’eux, Frederick Varley, un autre membre du futur Groupe des Sept, fut attaché au Corps d’armée canadien en août 1918, alors que cette formation entreprenait son avance d’Amiens, en France, vers Mons, en Belgique, une offensive qualifiée de «Cent jours» dont les Canadiens étaient le fer de lance: la guerre, qui avait tué 60 000 des 620 000 Canadiens enrôlés, allait se terminer là-dessus. À nul autre pareil, Varley a su dépeindre brillamment ce qu’il avait vu dans des oeuvres remplies d’émotions, reproduisant l’aspect morne et empreint de désolation de la guerre.

Walker et Brown, membres du Comité consultatif sur les artistes canadiens de guerre, inclurent deux autres aspects dans leurs annales de la guerre: les femmes et le front intérieur. Arthur Lismer, peintre qui fera partie du futur Groupe des Sept, réalisa de mémorables images d’Halifax, Nouvelle-Ècosse, alors que Frank Johnston, aussi appelé à se joindre au Groupe des Sept, documenta par ses peintures l’entraînement de pilotes dans diverses bases ontariennes. La plupart du temps, les sujets de prédilection des artistes féminines étaient des travailleuses dans les usines de guerre. Le travail des femmes durant cette période fut transformé, des milliers d’entre elles entreprenant des tâches que les hommes avaient accomplies jusque-là.

Vers la fin de la guerre, Walker parvint à faire accepter l’idée qu’un édifice devrait être construit à Ottawa pour abriter toutes ces oeuvres. En même temps, Beaverbrook annonça qu’il avait personnellement commandé les esquisses pour un monumental mémorial, réservé à l’art de guerre, qui devait aussi être construit dans la capitale nationale. Après une décennie de pourparlers, les protagonistes ne parvinrent pas à faire accepter leurs idées. Beaverbrook perdit intérêt au projet, pensant, d’autre part, que son travail pour le Canada durant la guerre n’avait pas été apprécié à sa juste valeur. Par défaut, c’est finalement la Galerie nationale qui deviendra le dépositaire des peintures de guerre qu’il avait commandées.

Une peinture d'un paysage avec des arbres et des ruines à Ottawa.

Le Canada mit en place un programme entièrement différent durant la Deuxième Guerre mondiale. On n’y trouve pas de ces immenses tableaux soulignant la destruction, la tragédie et la misère, mais, plus de 5 000 petites peintures qui mettent une emphase quelque peu dépersonnalisée sur des lieux, des événements, de la machinerie et du personnel reliés à la guerre partout où le Canada l’a conduite.

Comme pour ce qui s’était passé durant la Grande Guerre, le plan qui entoura l’art, dans la Deuxième, reposa sur les épaules d’un petit groupe de personnes énergiques. Le Haut-commissaire canadien à Londres, Vincent Massey, en fut le principal acteur. La Grande-Bretagne avait mis en marche très tôt son programme d’art de guerre et, dès décembre 1939, la National Gallery de Londres en exposait les premières oeuvres, ce qui fit suggérer à Massey que le Canada devrait avoir un projet semblable. Au début, le ministère de la Défense nationale accueillit la suggestion avec indifférence. Mais le successeur d’Eric Brown à la direction de la Galerie nationale, H.O. McCurry, entreprit ses propres pressions.

Même si Massey et McCurry n’obtinrent pas immédiatement satisfaction quant à l’instauration d’un programme officiel, ils eurent quelque succès et des Canadiens produisirent bientôt des peintures de guerre. Plusieurs artistes peintres qui s’étaient enrôlés dans les forces canadiennes, ayant eu connaissance du programme d’art qui avait existé durant la Grande Guerre, prirent contact avec McCurry lui suggérant qu’ils seraient plus utiles comme peintres en uniforme. McCurry expédia leurs offres aux Quartiers généraux de la Défense nationale où le colonel A. F. Duguid, directeur de la section historique de l’état-major général, décida d’employer le soldat E. J. Hughes et le sapeur O. N. Fisher à dépeindre les activités de l’Armée. En Grande-Bretagne, Massey s’arrangea pour que le cavalier W. A. Ogilvie soit attaché à titre de peintre au Quartier général canadien.

Une peinture d'une route avec des camions et des arbres à Ottawa.

Massey et McCurry furent appuyés par un allié important en la personne du major C. P. Stacey, qui devint, fin 1940, l’officier historien de l’Armée canadienne à Londres. Une des premières tâches de Stacey fut de coordonner le travail de Henry Lamb, peintre britannique de renom qui, comme membre du programme d’art de la Grande-Bretagne, entreprit, en 1941, de réaliser des peintures représentant l’Armée canadienne installée dans son pays. Stacey, convaincu que cette initiative avait une valeur historique, obtint, début 1942, l’emploi, à titre de peintres de guerre, de Hughes, Fisher et Ogilvie à qui s’ajouta plus tard Lawren P. Harris. Ces hommes acquirent le grade de sous-lieutenant. Malgré ces faits et l’appui de la communauté artistique canadienne en général, bien peu des activités militaires des trois premières années du conflit furent mises sur canevas.

Fin 1942, l’infatigable Massey fit une nouvelle tentative. Sa demande perça la bureaucratie pour atteindre le bureau du Premier ministre, William Lyon Mackenzie King, qui l’approuva. Apparu officiellement en janvier 1943, ce programme fut dirigé du Canada par un comité composé de H.O. McCurry et d’officiers supérieurs tirés des trois services. En Grande-Bretagne, Massey servait de phare alors que des officiers s’assuraient du fonctionnement du projet. Ainsi, Stacey continua à contrôler l’art officiel dans l’Armée. Ce fut une vaste entreprise dont les archives contiennent des centaines de lettres de personnes en service, d’unités et de journaux demandant des peintures ou des informations, des centaines de notes d’officiers d’état-major relatives aux déplacements des peintres, ainsi que d’innombrables dossiers renfermant des listes des oeuvres picturales, des photos et des demandes de prêts.

Il y eut finalement trente et un artistes de guerre reconnus, tous officiers, avec la paie correspondante, recevant les outils nécessaires à leur travail et des instructions. Divisés presque également entre les trois services, ils serviront sur tous les théâtres de guerre occidentaux incluant la Grande-Bretagne, l’Italie, l’Europe du Nord-ouest et l’Atlantique. L’Armée prit le départ le plus rapide, comptant le plus grand nombre de peintres déjà au travail, suivie par l’Aviation. La Marine fut la dernière à se lancer. Molly Lamb, vingt-trois ans, seule femme dans le lot, qui avait débuté comme soldat dans le Service féminin de l’Armée canadienne, ne put aller en Europe qu’après la conclusion de la guerre en mai 1945. Le programme, tel que conçu au départ, négligeait le front intérieur et, surtout, le service militaire féminin qui, au cours de la guerre, avait tout de même attiré près de 46 000 femmes. McCurry, qui reconnaissait ce fait, n’engagea sa première artiste féminine qu’en 1944. Pegi Nicol MacLeod devait peindre le travail des femmes militaires à Ottawa.

Une peinture d'hommes montant à cheval sur un chemin de terre exposée au Musée canadien de la guerre à Ottawa.

Le régime suivi par ces artistes différa très peu de celui de leurs prédécesseurs de la Première Guerre mondiale. De plus, les instructions émises par le comité de gestion du programme étaient très précises, laissant peu de place à l’interprétation. Elles spécifiaient la grandeur et la quantité des toiles à produire par chaque artiste ainsi que les sujets à étudier. Bien formés dans la tradition paysagiste, les peintres étaient en général pauvrement équipés pour faire face à la réalité de la guerre. La précision dominait tout, et le degré d’importance accordé à ce facteur est visible dans les milliers de détails contenus dans de petites esquisses d’équipement, de véhicules et d’uniformes. Les compositions finies à l’huile révèlent cependant que ces artistes ont très bien su adapter leurs habiletés aux exigences de la guerre. On y remarque que créativité et témoignage se combinent pour donner des oeuvres qui répondent à la fois aux critères historiques et artistiques.

Celles du peintre de l’Armée O.N. Fisher sont innovatrices. Pour préparer son débarquement en Normandie, le 6 juin 1944, Jour J, il s’attacha au poignet de petites bandes de papier imperméabilisé. Il courut jusqu’à la plage après avoir quitté sa péniche de débarquement et se mit aussitôt à faire des esquisses rapides des combats se déroulant autour de lui, sur un papier sec. Plus tard, loin du champ de bataille, il réalisa de grandes aquarelles. L’heure, la date, le lieu, l’événement et les noms des unités dépeintes étaient notés scrupuleusement à l’arrière des oeuvres. Avant qu’elles soient expédiées à Londres, les historiens militaires attachés aux mêmes unités que les artistes évaluaient l’exactitude des compositions de ces derniers, mais aussi s’il y avait violation des règles de la censure. Après mai 1945, les artistes revinrent au Canada où les militaires leur fournirent des ateliers afin qu’ils puissent terminer certaines peintures. Malgré des instructions contraignantes, un sujet nouveau et un environnement dangereux, les artistes de guerre ont laissé un témoignage remarquable du conflit. Leurs oeuvres picturales couvrent une diversité de styles et sondent les profondeurs des émotions vécues par 1,1 million de Canadiens qui ont servi et ont vu plus de 42 000 des leurs disparaître à jamais.

Un homme assis devant des décombres avec un chevalet au Musée canadien de la guerre, Ottawa.

La guerre terminée, comme cela était arrivé après la Grande Guerre, les agences gouvernementales ne surent trop que faire de ces oeuvres. En 1946, le Cabinet décida que la Galerie nationale les garderait, mais celle-ci ne désigna un premier conservateur pour cette collection qu’en 1960. Son successeur, le major R.F. Wodehouse, s’employa à la rendre populaire. Dans un premier temps, il documenta toutes les oeuvres, ce qui aboutit, en 1968, à la publication de Checklist of the War Collections. Cette même année, il lança un projet impliquant le Musée et le ministère de la Défense nationale afin que les activités militaires d’après guerre soient également l’objet de peintures. Le Programme d’aide des Forces canadiennes aux artistes civils (PAFCAC) est riche de près de 600 oeuvres qui illustrent l’expérience militaire canadienne telle que vécue dans des bases partout au Canada ou en service dans des lieux comme Chypre, Israël, la Somalie ou la Croatie. Les restrictions budgétaires de 1995 ont mis fin à ce programme.

En 1971, la Galerie nationale a léguée au Musée canadien de la guerre, à Ottawa, les collections des deux grandes guerres mondiales ainsi que la responsabilité du PAFCAC. Le Musée de guerre, qui manque d’espace d’exposition, les a rendues accessibles par l’intermédiaire de son site internet ainsi que par des expositions itinérantes et des prêts. Les œuvres d’art militaire sont un héritage unique offert aux Canadiens. Ce sont, à la fois, des descriptions éclatantes de faits militaires inspirées par l’expérience personnelle, et des éléments importants de l’histoire de l’art canadien. Elles constituent rien de moins qu’une partie de notre patrimoine national.

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